CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 104

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 104

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

9 de Décembre 1775.

 

 

      Le vieux malade a reçu une lettre du 1er de décembre de M. Bertrand, le secrétaire des sciences (1), et une du 3 de décembre de l’autre secrétaire (2). Il n’importe à qui des deux Bertrands bienfaisants le Raton aux pattes roussies écrive. Tout ira bien, encore une fois, et rien ne presse. Il faut laisser passer le froid mortel que nous éprouvons. Nous sommes entourés de neiges et de glaces, et persécutés d’un vent du nord qui nous met en Sibérie. Nous ne nous occupons, au coin du feu, qu’à rendre grâces aux deux sages et généreux Bertrands ; mais voyez ce que c’est que de nous ! voyez, mon très cher sage, dans quelle prodigieuse erreur vous êtes tombé ; dans quel tome des Mille et une Nuits avez-vous pris que je parais avoir envie d’employer dans cette affaire le crédit d’un de nos académiciens (3) ? il faudrait que la tête m’eût tourné, pour que j’eusse une telle envie. Je vous ai mandé (4) que je devais respecter une ancienne liaison et d’anciens bon offices ; mais certainement il n’a jamais été ni dans ma pensée ni au bout de ma plume que j’eusse dessein de me servir de lui dans notre affaire. Je me flatte qu’avec votre secours et celui de l’autre Bertrand elle réussira d’une manière ou d’autre. Nous ne mettrons dans la confidence que les personnes qui y sont déjà. Nous ne compromettrons qui que ce puisse être. On ne rejettera sûrement pas la demande d’un grand prince. Madame la duchesse d’Enville nous appuiera de toute la chaleur qu’elle met dans sa profession de faire du bien.

 

      J’ignore lequel des deux Bertrands a le bonheur d’être lié avec elle. Peut-être ont-ils tous deux cet avantage, tant mieux. Il faut que tous les honnêtes gens se tiennent bien serrés par la main. Ce que j’aime de madame la duchesse d’Enville, c’est qu’elle a un peu d’enthousiasme dans sa vertu courageuse. Je suis comme cet autre (5) qui disait, à ce qu’on prétend, qu’il n’aimait pas les tièdes, et qu’il les vomissait de sa bouche. L’expression n’est ni noble ni juste ; mais cela lui arrive souvent.

 

      La personne (6) qui veut bien avoir la bonté de vous faire parvenir la lettre de Raton a bien autre chose à faire qu’à la lire. Il a un furieux fardeau à porter mais il le portera toujours heureusement, ou je me trompe fort.

 

      Philosophez, réjouissez-vous, aimez-moi comme je vous aime. RATON.

 

 

1 – Condorcet. (G.A.)

 

2 – On n’a pas cette lettre de d’Alembert. (G.A.)

 

3 – Richelieu. (G.A.)

 

4 – Lettre du 7 novembre. (G.A.)

 

5 – Jean, dans l’Apocalypse. (G.A.)

 

6 – Turgot. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

28 de Janvier 1775.

 

 

      Le jeune écolier, qui vous adresse ce chiffon (1), mon cher philosophe, craint beaucoup de vous ennuyer. Cependant il y a dans ce fatras une petite pointe de vérité et de philosophie qui pourra obtenir votre indulgence pour mon jeune étourdi.

 

      Il se sert d’abord de la permission que lui a donnée M. de Rosny-Colbert-Turgot de lui adresser de petits paquets pour vous et pour M. de Condorcet.

 

 

N.B. – Je crois avoir découvert les manœuvres infernale dont se servit un dévot pour perdre madame l’abbesse de Villancourt, le chevalier de La Barre, et d’Etallonde. Si je vis encore six mois, nous verrons beau jeu (2).

 

 

1 – La tragédie de Don Pèdre, dédiée à d’Alembert. (G.A.)

 

2 – Voyez, le Cri du sang innocent. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

8 de Février 1775.

 

 

      Un secrétaire de l’Académie devrait bien avoir ses ports francs. Je suis persuadé, mon cher et vrai philosophe, qu’il vous en coûte par an, en lettres inutiles, beaucoup plus que votre secrétariat ne vous rapporte. Cependant il faut que je vous mande, par la poste, que je suis très en peine d’un ministre à qui j’ai adressé quatre paquets de rogatons pour vous, parmi lesquels rogatons il y a quelques marrons de Raton pour les Bertrands.

 

      Je m’aperçois, par une lettre de M. de Condorcet, que ni vous ni lui n’avez reçu aucun de ces rogatons académiques. Cependant, la première chose qu’avait faite le ministre était de me dire : Envoyez-moi tous les marrons pour les Bertrands, et je les leur ferai tenir. Je vois que vous ne tenez rien, et que vous n’avez pas perdu grand’chose.

 

      Dites donc à M. de Condorcet qu’il aille à l’office, et qu’il se fasse rendre son plat et le vôtre ; car, lorsque je brûle mes pattes pour vous, je veux du moins que vous mangiez un peu de mon plat.

 

      Je ne doute pas que vous n’ayez écrit à Luc beaucoup de bien de mon jeune homme, que vous ne connaissez pas, et que vous aimeriez si vous le connaissiez ; car il est devenu un très bon géomètre praticien ; et c’est assurément tout ce qu’il faut dans son métier. On n’ouvre point une tranchée, on ne bat point en brèche avec des x x. Le maréchal de Vauban n’aurait pas résolu le problème des trois corps ; mais Euler conduirait peut-être fort mal un siège.

 

      Ut ut est, je ne quitte pas prise : j’écris lettre sur lettre à son maître Luc. Je ne démordrai de mon entreprise qu’en mourant. Vous me direz que je mourrai bientôt ; cela est vrai, donc il faut se hâter ; cela est conséquent.

 

      Raton vous embrasse bien vivement, bien tendrement, du fond de son trou et du milieu de ses neiges.

 

 

 

Commenter cet article