CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 101

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 101

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DE VOLTAIRE.

 

15 de Juin 1774.

 

 

      Mon cher maître, le petit discours patriotique de M. Chambon (1) a réussi chez tous les étrangers ; c’est le premier éloge vrai que j’aie jamais lu. Si Louis XV pouvait revivre, il le signerait ; mais il l’a signé, puisqu’il dit précisément la même chose dans son testament.

 

      Je vois que vous êtes mécontent de ces mots : « Ce que Louis XV a établi, et ce qu’il a détruit, mérite notre reconnaissance. » Mais ce qu’il a établi, c’est l’École militaire ; ce qu’il a détruit, c’est la faction intolérable des jésuites ; j’ose y ajouter la faction de MM. Crépin. Quatresous, Quatre hommes, Gilet, Poirau, qui firent la guerre de la Fronde, et leurs successeurs (2), qui ont fait la guerre aux beaux-arts et à la raison. Ce n’est pas à vous de prendre le parti des éternels ennemis de ces arts et de cette raison dont vous êtes le soutien.

 

       Le feu roi ne voulait et ne pouvait vouloir que le bien, mais il s’y prenait mal. Son successeur semble inspiré par Marc-Aurèle ; il veut le bien, et il le fait. S’il continue, il verra son apothéose avant l’âge où les badauds sont majeurs.

 

      Je suis fâché de mourir avant d’avoir vu les prémices du beau règne dont vous allez jouir. Je sens que je n’en ai que jusqu’à la chute des feuilles.

 

      J’emploie mes derniers jours à faire réformer, si je puis, la plus détestable injustice que l’ancien parlement ait jamais faite (3) : si j’y réussissais je mourrais content. La seule chose dont Raton soit très mécontent, c’est de partir sans avoir embrassé son cher Bertrand.

 

 

 

1 – Voyez l’Éloge funèbre de Louis XV. (G.A.)

 

2 – Voltaire désigne ici les parlementaires. (G.A.)

 

3 – La condamnation de La Barre et de d’Étallonde. Voyez l’Affaire La Barre. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

17 d’Auguste 1774.

 

 

      Mon très cher Bertrand, le discours de M. Suard est hardi, mais sage ; il peut faire beaucoup de bien et nul mal.

 

      S’il n’y avait pas dans la Lettre d’un théologien à Sabatier (1) une douzaine de traits sanglants et terribles contre des gens puissants qui vont se venger, l’auteur de cette lettre, qui est assurément Pascal second du nom, serait le bienfaiteur de tous les honnêtes gens ; mais voilà une guerre affreuse déclarée.

 

      Si vous saviez ce qu’on entreprenait, ce qu’on demandait, ce qu’on était près d’obtenir, vous seriez fâché comme quoi qu’on ait fait paraître si mal à propos un si excellent et si funeste ouvrage (2).

 

      Vous savez qu’un nommé Chirol, autrefois domestique de Cramer, a reçu le manuscrit de Paris, qu’il l’a fait imprimer à Genève, qu’il a employé mon orthographe : il sait pourtant, aussi bien que vous, que je ne l’ai pas fait ; il l’avoue hautement, et il le dira juridiquement.

 

      Les circonstances où cet admirable écrit paraît me mettent dans la nécessité de publier combien je suis incapable d’atteindre à ce genre d’éloquence. J’attends de la probité et de la candeur de l’auteur qu’il fera au moins comme Chirol, et qu’il ne me laissera pas accuser publiquement d’avoir rendu un si dangereux service à la raison. Il faut avoir cent mille hommes à des ordres pour faire de tels écrits.

 

Coré et Dathan, ne faites pas de moi le bouc émissaire ; vous ne serez pas engloutis, mais ne perdez pas un innocent.

 

      Il est bien étrange qu’un gueux comme Sabatier devienne le prétexte d’une persécution ou d’une révolution entière dans l’opinion des hommes.

 

 

1 – Par Condorcet. (G.A.)

 

2 – Voltaire venait d’écrire au chancelier pour l’affaire La Barre et d’Étallonde, et c’était à lui qu’on attribuait cette Lettre qui devait irriter le clergé. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

27 d’Auguste 1774.

 

 

      La femme du frère de feu Damilaville m’écrit, de Landernau en Basse-Bretagne, une lettre lamentable. Ils prétendent qu’on persécute en eux le philosophe qui est mort entre vos bras ; ils disent que depuis sa mort on a toujours cherché à les dépouiller d’un emploi qui les faisait vivre, et qu’on vient enfin de leur ôter. Ils imaginent que M. Turgot peut donner à ce frère de Damilaville une place de sous-commissaire de la marine. Ils paraissent réduits à la dernière misère, et ils ont des enfants.

 

      C’est à mon cher Bertrand et à M. de Condorcet à voir s’ils peuvent obtenir cette place de sous-commissaire pour le frère d’un de leurs Ratons. Je ne connais point ce nouveau martyr, et je me trouve dans une situation qui me rend bien inutile aux fidèles et à moi-même. Je ne parle point cette fois-ci de la lettre du théologien, qu’on attribue à l’abbé du Vernet (1), et que je n’impute à personne.

 

      J’ai vu dans ma retraite un grand-vicaire de Toulouse qui m’a paru très instruit et très bien intentionné. Il dit que nos ennemis sont plus acharnés que jamais. Dans la tempête adorez l’écho, disait Pythagore ; et vous savez que cela veut dire : Tenez-vous à la campagne, loin des méchants ; mais aussi il est bien triste d’être loin de ses amis.

 

 

1 – Voltaire nomme du Vernet pour sauvegarder Condorcet. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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