CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 73

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 73

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DE D’ALEMBERT.

 

A Paris, ce 12 de Décembre 1770.

 

 

      Je vous ai déjà averti, il y a quelques jours, mon cher et illustre maître, que le président de Brosses est sur les rangs pour l’Académie, et qu’il a des partisans. J’ai été depuis aux informations, et j’ai su que le nombre de ses partisans est en effet considérable, et que nous sommes menacés de cette plate acquisition, si nous ne faisons pas l’impossible pour la parer. Or vous saurez que le grand promoteur de ce plat président est le doucereux Foncemagne (1), qui peut-être craindrait de vous désobliger s’il savait que vous serez offensé d’un pareil choix. Je voudrais donc que vous en écrivissiez, sans dire de quelle part l’avis vous vient, à M. d’Argental, intime ami de Foncemagne, et que M. d’Argental parlât à Foncemagne de votre part. Vous auriez soin de mettre dans votre lettre quelque chose d’honnête pour Foncemagne, qui en serait flatté, qui vraisemblablement aurait égard à ce que vous lui feriez dire, et qui ignore aussi vraisemblablement que vous avez à vous plaindre du président de Brosses. Il serait bon aussi que vous en écrivissiez fortement à l’abbé de Voisenon, qui sans cela pourrait être favorable au président, étant gagné, à ce que je crois, par l’archevêque de Lyon (2), qui assure que nous ne pouvons faire un meilleur choix à la place du président Hénault.

 

      Il paraît jusqu’à présent que la place de Moncrif sera pour Gaillard ; ce choix n’est pas délicieux, mais passable : encore ne faut-il pas trop dire l’intérêt que vous y prenez, car ce motif pourrait lui faire perdre des voix qu’il aurait eues. Pour la Harpe, je vois clairement qu’il n’y faut pas penser en ce moment, et que nous ne réussirions pas, si ce n’est peut-être à lui casser le cou. Je ne vois que deux moyens pour nous sauver d’un mauvais choix, c’est de prendre l’abbé Delille, ou d’engager quelqu’un de la cour à se présenter. Je ne désespère pas que nous ne réussissions à l’un ou à l’autre. Adieu, mon cher et illustre maître ; écrivez à M. d’Argental et à l’abbé de Voisenon, et surtout ne dites pas que l’avis vous vient de moi. Je vous embrasse de tout mon cœur, et serait jusqu’à la fin tuus ex animo.

 

 

1 – Voltaire avait eu maille à partir avec ce savant relativement à l’authenticité du testament de Richelieu. Voyez, Des mensonges imprimés, nouveaux doutes. (G.A.)

 

2 – Montazet. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

19 de Décembre 1770.

 

 

      Je suis bien embarrassé, vrai ami, vrai philosophe. Si j’étais à Paris, je ferais le moulinet ; mais des bords du lac Léman je ne peux rien. Vous savez ce que je vous ai écrit sur Marin. Quels bons ouvrages a-t-il faits ? dira-t-on. Je réponds qu’il n'a pas fait les Fétiches, et qu’il est très utile aux gens de lettres. Le président nasillonneur a fait les Fétiches et même les Terres australes, et n’a jamais été utile à personne. Si j’écris au petit abbé, il se mettra à rire, montrera ma lettre, comme cela lui est arrivé plus d’une fois ; si j’écris à d’Argental, il n’en parlera pas à Foncemagne, parce qu’il ne s’agit pas là de comédie ; la seule ressource est Delille. Sa traduction des Géorgiques de Virgile est la meilleure qu’on fera jamais ; on dit d’ailleurs que c’est un honnête homme.

 

      Si vous ne le prenez pas, ne pourriez-vous pas avoir quelque espèce de grand seigneur ?

 

      Vous avez bien remarqué, sans doute, dans l’édit du roi contre le parlement (1), ce qu’on dit de l’esprit de système. Il se trouve que les philosophes ont gâté le parlement ; on dit qu’ils font actuellement enchérir le pain, et qu’ils sont l’unique cause de la guerre entre l’Angleterre et l’Espagne. N’est-ce pas aussi la philosophie qui nous a pris nos rescriptions ? Par ma foi, il n’y a de plaisir à être philosophe que comme le roi de Prusse, avec cent cinquante mille soldats.

 

      Le roi philosophe de Danemark a-t-il fait ce qu’il disait (2) ? Laleu prétend que non, mais c’est que Laleu n’était pas encore apparemment au fait.

 

      Parbleu, je prends mon parti ; vous pouvez faire lire habilement la déclaration ci-joint à l’abbé de Voisenon et à tous les gens de lettres intéressés à la chose (3).

 

 

1 – 27 novembre. Ce fut le commencement des attaques de Maupeou contre le parlement. (G.A.)

 

2 – A-t-il souscrit ? (G.A.)

 

3 – Il s’agit d’une déclaration par laquelle M. de Voltaire renonçait au titre d’académicien, si on lui donnait le président de Brosses pour confrère. (K.)

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