CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 86

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 86

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DE VOLTAIRE.

 

1er de Janvier 1773

 

      Mon cher et digne soutien de la raison expirante, je pourrais vous dire : Si vous voulez voir un beau tour, faites-le ; mais vous êtes nécessaire à la bonne cause, vous êtes dans la fleur de l’âge, vous êtes secrétaire de quarante gens pleins d’esprit ; je suis inutile, je suis sur le bord de ma fosse, je n’ai rien à risquer ; je serai très volontiers le chat qui tirera les marrons du feu. Le Non magis m’a tant fait rire, tout malingre que je suis, que je n’en ai pu dormir de la nuit, et que j’ai passé les premières vingt-quatre heures de l’année 1773 à me brûler la patte en tirant vos marrons.

 

      Tout ce que je crains, c’est que les pauvres diables ne se doutent de leur sottise, et ne changent leur non magis et non minùs, ce qui rendrait ma nuit blanche absolument inutile.

 

      Mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous savez sur ces belles choses, et tout ce qui peut ranimer ma vieillesse, car j’ai résolu de me moquer des gens jusqu’à mon dernier soupir. Je suis volontiers comme Arlequin condamné à la mort, à qui le juge demanda de quel genre de mort il voulait périr : il choisit fort sensément de mourir de rire.

 

     N’oubliez pas le charmant Savatier (1). Dites-moi, si vous le savez, le nom du procureur et de l’avocat ; car, après tout, il s’agit du salut de la république, et il ne faut rien négliger.

 

      Vous ne me parlez point des Lois de Minos, que M. de Rochefort doit vous avoir prêtées à vous seul. Je vous avertis, en honnête conjuré, que si ces Lois sont sifflées, les pattes du chat sont coupées. Je n’aurai point le prix de l’Université, et la bonne cause ira à tous les diables.

 

      On m’a envoyé un livre de maître Pompignan, évêque du Puy-en-Velay, contre le théisme, le déisme, l’athéisme, et le jansénisme (2) ; cela m’a paru parfait en son genre. C’est, ou je me trompe fort, un chef-d’œuvre de bavarderie et de bêtise. Dieu nous conserve ce cher homme !

 

      Vous ne m’avez point répondu sur la correspondance de Luc.

 

     Adieu, mon très cher ami ; mes respects à Laurent et à Tartufe (3) ; mais mille sincères et tendres amitiés à tous vos amis.

 

 

1 – Pour Sabatier. (G.A.)

 

2 – La Religion vengée de l’incrédulité par l’incrédulité même, 1772. (G.A.)

 

3 – Radonvilliers et Batteux. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

4 de Janvier 1773.

 

 

      J’ai découvert, mon cher ami, que l’auteur du discours pour les prix de l’Université s’appelle Belleguier (1), ancien avocat dans je ne sais plus quelle classe du parlement. Son style m’a paru médiocre ; mais tous les faits qu’il rapporte sont si vrais et si incontestables, que je tremble pour lui.

 

      Souvenez-vous, dans l’occasion, de l’avocat Belleguier, et ne vous moquez pas trop de l’Université, de peur qu’elle ne se rétracte.

 

      La belle Catau (2) m’a envoyé copie de la lettre qu’elle vous a répondue. J’aurais voulu qu’elle y eût joint la vôtre. Vous voyez qu’elle est une bonne philosophe, et qu’elle est bien loin d’envoyer en Sibérie des étourdis de Welches (3) qui sont venus faire le coup de pistolet pour l’honneur des dames, dans un pays dont ils n’avaient nulle idée. Vous verrez qu’elle finira par les faire venir à sa cour, et par leur donner des fêtes, à moins qu’on n’envoie encore de nouveaux Don Quichottes pour conquérir l’aimable royaume de Pologne. Pour moi, j’imagine que tout se traitera paisiblement d’un bout de l’Europe à l’autre, et même qu’on paiera nos rentes.

 

      Je suppose que je dois une réponse à M. de Condorcet ; il ne signe point, et je prends quelquefois son écriture pour une autre. Cette méprise même m’est arrivée avec vous, mon cher philosophe. Je crois qu’il faudrait avoir l’attention de mettre au bas de ce qu’on écrit la première lettre de son nom, ou quelque autre monogramme, pour le soulagement de ceux qui ont mal aux yeux comme moi ; par exemple, je signe Raton, et Raton aime Bertrand de tout son cœur.

 

 

1 – Personnage imaginaire. Voyez le Discours de Me Felleguier. (G.A.)

 

2 – Catherine II. (G.A.)

 

3 – Les volontaires français qui étaient allés soutenir les Polonais. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

Du 9 de Janvier 1773.

 

 

      Raton tire les marrons pour Bertrand, du meilleur de son cœur ; il prie Dieu seulement qu’il n’ait que les pattes de brûlées. Il compte que vous et M. de Condorcet, vous ferez taire les malins qui pourraient jeter des soupçons sur Raton ; cela est sérieux au moins.

 

      J’ai deux grâces à vous demander, mon cher et grand philosophe : la première est de vouloir bien me faire envoyer sur-le-champ, et sous l’enveloppe de Marin, ou sous quelque autre contre-seing, la dissertation de M. de La Harpe sur Racine, qu’on dit un chef-d’œuvre.

 

      La seconde, c’est de me dire comment se nommait le curé de Fresnes. Il y a une fameuse prière à Dieu d’un curé de Fresnes du temps de M. d’Aguesseau. Ce bon prêtre parle à Dieu, avec effusion de cœur, de la tolérance qu’on doit à toutes les religions, et qu’elles se doivent toutes les unes aux autres, attendu qu’elles sont tout à fait ridicules ; mais, pénétré de l’amour de Dieu et des hommes, il chérit Dieu autant que Damilaville le haïssait. J’ai son manuscrit, il est cordial. Je voudrais savoir le nom de ce philosophe tondu (1).

 

      M. le chevalier de Chastellux, qui devait être naturellement le seigneur de ce curé, fera ma félicité, s’il veut bien vous dire tout ce qu’il sait sur cet honnête pasteur. Rendez-moi donc ces deux bons offices, qui pressent, et le tout pour le maintien de la bonne cause. Raton embrasse Bertrand de tout son cœur, et lui est bien attaché pour le reste de sa fichue vie.

 

 

1 – C’est à cause de cet alinéa qu’on a attribué à Voltaire La Prière du curé de Fresnes, que nous n’avons pas jugée assez authentique pour avoir place dans notre édition. (G.A.)

 

 

 

 

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