CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 80

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 80

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DE VOLTAIRE.

 

19 d’Auguste 1771.

 

 

      Mon cher ami, j’ai vu le descendant du brave Crillon, qui est venu avec le prince de Salm, tous deux instruits et modestes, tous deux très aimables et dignes d’un meilleur siècle.

 

      Quel homme de lettres donnerez-vous pour successeur à un prince du sang (1) ? Il se présente beaucoup de poètes : ne faut-il pas donner la préférence à M. de La Harpe ou à M. Delille ?

 

      Vous savez ce que c’est qu’un banneret, qu’à Berne on appelle banderet. Or le banderet de la république de Neuchâtel (2) ayant joint à sa dignité celle d’imprimeur, faisait une très belle édition du Système de la nature. Les dévotes de Neuchâtel, éprises d’une sainte rage, sont venues brûler son édition. Le gonfalonier de la république a été obligé de se démettre de sa charge ; mais on ne lui a point fait d’autre mal ; il n’en aurait pas été quitte à si bon marché dans Abbeville.

 

      On a battu des mains à Rennes quand l’ancien parlement a été cassé, et qu’on en a érigé un nouveau.

 

      On a déjà six volumes de l’Encyclopédie d’Yverdun ; personne ne la lit, mais on l’achète. Je doute fort que celle de Genève entre de sitôt à Paris. Nous revenons au temps où l’on agitait la question De mathematicis ab urbe expellendis.

 

      Je suis tout étonné, moi malingre et aveugle, de vous dire des nouvelles du fond de ma solitude et de mon lit.

 

      J’ai donné des paperasses pour vous à M. de Crillon.

 

      Adieu, mon cher et grand philosophe, que j’aimerai jusqu’au dernier moment de ma vie.

 

 

1 – M. le comte de Clermont. (K.)

 

2 – Nommé Ostervald. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

13 de Septembre 1771.

 

 

      Mon très cher philosophe, tâchez que nous ayons une douzaine de comtes de Crillon et de princes de Salm à la cour de France, et quelques rois de Prusse à l’Académie, alors tout ira bien.

 

      Je vois qu’on réforme tous les parlements ; mais je suis sûr qu’aucun ne prêtera son ministère au rappel des jésuites. S’il reparaissaient,  ce ne serait que pour être en horreur à la France ; et la philosophie y gagnerait, bien loin d’y perdre. Nous aurions le plaisir de voir les loups et les renards se mordre, et le petit troupeau des philosophes serait en sûreté.

 

      On dit que vous avez prononcé à l’Académie (1) un discours aussi agréable qu’instructif. Ne permettrez-vous pas qu’on l’imprime dans les papiers publics ? Vous ne dites jamais que des vérités éloquentes ; il n’est pas juste que nous en soyons privés.

 

      On m’a envoyé un imprimé d’un autre genre. C’est une Apparition de notre Seigneur Jésus-Christ dans une paroisse de l’évêché de Tréguier en Basse-Bretagne, et un discours qu’il a prononcé devant monsieur l’évêque sur les péchés des Bas-Bretons ; le tout avec approbation et privilège (2). Cela est bien consolant, et vaut assurément tous vos discours académiques.

 

      Adieu, mon cher et respectable ami ; je suis toujours souffrant et aveugle. Si j’étais Bas-Breton, Jésus-Christ m’aurait guéri ; mais je vois bien qu’il ne se soucie pas des Suisses.

 

 

1 – Le 25 Août 1771, avant la distribution des prix. (G.A.)

 

2 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article SUPERSTITION. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

28 de Septembre 1771.

 

 

      Mon cher ami, voici donc de quoi exercer la philosophie. La Harpe persécuté pour avoir fait un chef-d’œuvre d’éloquence dans l’éloge de Fénelon (1) ! J’ai eu de la peine à croire cette aventure. Vous me direz que plus elle est absurde, plus je la dois croire, et que c’est le cas du credo quia absurdum. Cette extravagance aura-t-elle des suites ! l’Académie agira-t-elle ? est-ce à l’Académie qu’on en veut ? la chose est-elle sérieuse, ou est-ce une plaisanterie ? Je vous demande en grâce de me mettre au fait, cela en vaut la peine.

 

      Nous avons ici madame Dixneufans (2), dont vous êtes le médecin. Elle a perdu de son embonpoint, mais elle a conservé sa beauté. Son mari nous a dit des choses bien extraordinaires ; tous deux sont très aimables ; ils méritent de prospérer, et ils prospéreront. Pour moi, je me meurs tout doucement. Bonsoir, mon très cher et très grand philosophe.

 

      J’ajoute que La Harpe m’ayant pressé très vivement d’écrire à monsieur le chancelier, j’ai pris cette liberté (3), quoique je la croie assez inutile ; mais enfin je lui ai dit ce que je pensais sur les discours académiques, sur la Sorbonne, et sur l’Encyclopédie.

 

 

1 – Cet éloge, qui avait obtenu le prix de l’Académie, avait été dénoncé au conseil par l’archevêque de Paris comme contenant des propositions très répréhensibles. (G.A.)

 

2 – Madame la comtesse de Rochefort. (G.A.)

 

3 – La lettre manque. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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