CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 78

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 78

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DE VOLTAIRE.

 

15 de Mars 1771.

 

 

      On me mande, mon cher ami, qu’on a élu Lemierre (1) ; en ce cas, vous avez sans doute rengaîné ma lettre en faveur du traducteur de Virgile (2), que je ne connais point du tout. Je n’avais écrit que pour la décharge de ma conscience. Je vous avoue, par le même motif, que j’aurais donné ma voix à celui qui a mis par écrit l’édit du roi pour la création des six parlements ou conseils nouveaux. Non seulement les jugements en dernier ressort au parlement de Paris épuisaient les pauvres plaideurs, obligés de faire cent cinquante lieues pour se ruiner, mais les criminels qu’on transférait à Paris, du fond de l’Auvergne et du Limousin, coûtaient à l’État des sommes immenses. En un mot, cet édit me paraît jusqu’à présent un service essentiel rendu à la nation ; et puis d’ailleurs vous savez si j’ai sur le cœur le sang du chevalier de La Barre et du comte de Lally.

 

 

1 – Auteur dramatique. (G.A.)

 

2 – La lettre à l’Académie française. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

18 de Mars 1771.

 

 

      Mon très cher philosophe, je pense, comme vous, que le sujet en question (1) serait excellent pour l’académie de Zug ou de Schafhouse. Je n’avais jamais vu l’extrait baptistaire du traducteur des Géorgiques. N’est-il pas majeur ? Nous avions plus d’un conseiller au parlement qui décidait de la fortune, de l’honneur, et de la vie des hommes à vingt-cinq ans ; et puisque l’abbé Delille a été en âge de traduire Virgile, il me semble qu’il était assez âgé pour être auprès du traducteur de Milton (2).

 

      Je ne le connais point, encore une fois. Il ne saura point mes bonnes intentions. Je me bornais à être juste ; mais il me paraît que je ne suis qu’un franc provincial qui ne connaît pas le monde.

 

      J’apprends, par un autre provincial qui est à Paris, qu’on m’attribue une petite feuille (3) qui paraît sur le parlement de Paris et sur les conseils souverains. Elle est, Dieu merci, d’un jésuite qui est en Piémont ; c’est le même qui fit : Il est Temps de parler et Tout se dira (4).

 

      Vous savez que je n’ai point approuvé la conduite du parlement de Paris, et que j’approuve infiniment les six conseils ; mais assurément je suis bien loin de rien imprimer sur de telles affaires. Je suis le prête-nom de quiconque veut écrire hardiment et ne se point compromettre : cette situation est triste.

 

      Quant à votre triple bandeau (5), on a dû mettre,

 

Qui du triple bandeau vengea cent diadèmes ;

 

et il m’a semblé qu’on disait tous les jours la tiare pour le pape, et les diadèmes pour les rois. On venge le trône de l’autel si je me trompe, je passe condamnation.

 

      Voici ma réponse : Décidez de mon effigie, c’est à vous que je la dois c’est à vous de me donner un habit si cela vous plaît. Soyez sûr que, vêtu ou non, je suis à vous jusqu’à ce que je ne sois plus rien.

 

      Adieu ; je n’ai jamais été si malade ; je suis aveugle et goutteux ; il faut supporter tous les maux du corps et de l’âme. Pour me consoler, je vous demande en grâce de m’envoyer vos deux discours (6) En vérité, vous soutenez seul l’honneur des lettres, et je ne sais point d’homme plus nécessaire que vous.

 

 

1 – Lemierre. Il avait fait une tragédie sur Guillaume Tell. (G.A.)

 

2 – Dupré de saint-Maur. (G.A.)

 

3 – Avis important d’un gentilhomme. Voyez LÉGISLATION, Opuscules. (G.A.)

 

4 – C’est l’abbé Dazès qui est l’auteur de Il est temps de parler ; mais Voltaire attribuait cette brochure à l’abbé Caveyrac. (G.A.)

 

5 – Voltaire répond ici à une observation de d’Alembert sur un vers de l’épître adressée à celui-ci. La lettre de d’Alembert, où se trouve cette observation, manque. (G.A.)

 

6 –Il s’agit sans doute de discours à l’Académie des sciences. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, 8 d’Avril 1771.

 

 

      Mon très cher philosophe, je vous rends mille grâces des moments agréables que vous m’avez fait passer. J’ai entendu la lecture de vos deux discours, car il ne m’est pas permis de les lire. Nos neiges ont mis mes yeux dans un si triste état, que me voilà un petit Tirésie ou un petit Œdipe ; et j’ai bien la mine de rester aveugle pour le peu de temps que j’ai encore à vivre.

 

      Je n’entendrai jamais rien dans les Champs-Élysées, où je compte bien aller, qui vaille votre Dialogue entre Descartes et Christine (1). Je ne sais rien de plus beau que votre éloge du roi de Prusse. Il ne vous avouera pas tout le plaisir qu’il aura eu d’être si bien peint par vous dans l’Académie des sciences, mais il le sentira de toutes les puissances de son âme. Non, personne n’a rendu la philosophie et la littérature plus respectables. Il n’y a peut-être à présent que notre cour qui n’en sente pas le prix ; mais je lui pardonne, si elle établit en effet six conseils pour rendre hardiment la justice, et si elle paie les frais que les pauvres diables de seigneurs de paroisse font pour la rendre dans leurs taudis. Cela me paraît un des plus beaux règlements du monde. Je serai attaché jusqu’à mon dernier soupir à un ministre (2) qui m’a fait beaucoup de bien. Je ne le serai point du tout à des corps qui ont fait du mal ; et puis d’ailleurs comment aimer une compagnie ? on ne peut aimer que son ami ou sa maîtresse.

 

      Je pense, puisqu’il faut servir, qu’il vaut mieux servir sous un lion de bonne maison que sous des rats mes confrères, dont la conduite est insolente et ridicule. Vous savez d’ailleurs que le sang crie vengeance ; vous savez qui le premier a persécuté l’Encyclopédie ; et quand on voit les oppresseurs opprimés à leur tour, on doit bénir Dieu.

 

      Adieu, mon cher ami ; je vous recommande beaucoup de courage, et beaucoup de mépris pour le genre humain.

 

 

1 – Voltaire le trouva si beau qu’il le fit réimprimer à la suite de sa tragédie des Lois de Minos. (G.A.)

 

2 – Choiseul, alors exilé. (G.A.)

 

 

 

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