ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLES IV - Partie 41-2

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ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLES IV - Partie 41-2

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CATALOGUE DES EMPEREURS

 

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(Partie 2)

 

 

CHARLES IV,

 

 

BULLE D’OR.

 

 

 

 

Les vingt-trois premiers articles de la bulle d’or sont publiés à Nuremberg avec la plus grande solennité. Cette constitution de l’empire, la seule que le public appelle bulle, à cause de la petite bulle ou boîte d’or dans laquelle le sceau est enfermé, est regardée comme une loi fondamentale.

 

Il ne peut s’établir par les hommes que des lois de convention. Celles qu’un long usage consacre sont appelées fondamentales. On a changé selon les temps beaucoup de choses à cette bulle d’or.

 

Ce fut le jurisconsulte Bartole (1) qui la composa. Le génie du siècle y paraît par les vers latins qui en font l’exorde, Omnipotens œterne Deus, spes unica mundi ; et par l’apostrophe aux sept péchés mortels, et par la nécessité d’avoir sept électeurs à cause des sept dons du Saint-Esprit, et du chandelier à sept branches.

 

L’empereur y parle d’abord en maître absolu, sans consulter personne.

 

« Nous déclarons et ordonnons par le présent édit, qui durera éternellement, de notre certaine science pleine puissance et autorité impériale. »

 

On n’y établit point les sept électeurs ; on les suppose établis.

 

Il n’est question, dans les deux premiers chapitres, que de la forme et de la sûreté du voyage des sept électeurs, qui doivent ne point sortir de Francfort « avant d’avoir donné au monde ou au peuple chrétien un chef temporel, à savoir un roi des Romains futur empereur. »

 

On suppose ensuite, numéro 8, article 2, que cette coutume a été toujours inviolablement observée, « et d'autant que tout ce qui est ci-dessus écrit a été observé inviolablement. » Charles IV et Bartole oubliaient qu'on avait élu les empereurs très souvent d'une autre manière, à commencer par Charlemagne et à finir par Charles IV lui-même.

 

Un des articles les plus importants est que le droit d'élire est indivisible, et qu'il passe de mâle en mâle au fils aîné. Il fallait donc statuer que les terres électorales laïques ne seraient plus divisées, qu'elles appartiendraient uniquement à l'aîné. C'est ce qu'on oublia dans les vingt-trois fameux articles publiés à Nuremberg avec tant d'appareils, et que l'empereur fit lire ayant un sceptre dans une main et le globe de l'univers dans l'autre. Très peu de cas sont prévus dans cette bulle : nulle méthode n'y est observée, et on n'y traite point du gouvernement général de l'emprise.

 

Une chose très importante, c'est qu'il y est dit à l'article 7, n° 7, « que si une des principautés électorales vient à vaquer au profit de l'empire (il entend sans doute les principautés séculières), l'empereur en pourra disposer comme une chose dévolue à lui légitimement et à l'empire. » Ces mots confus marquent que l'empereur pourrait prendre pour lui un électorat dont la maison régnante serait éteinte ou condamnée. Il est encore à remarquer combien la Bohême est favorisée dans cette bulle ; l'empereur était roi de Bohême. C'est le seul pays où les causes des procès ne doivent pas ressortir à la chambre impériale. Ce droit de non appellando a été étendu depuis à beaucoup de princes, et les a rendus plus puissants.

 

Le lecteur peut consulter la bulle d'or pour le reste (2),

 

On met la dernière main à la bulle d'or dans Metz aux fêtes de Noël : on y ajoute sept chapitres. On y répare l'inadvertance qu'on avait eue d'oublier la succession indivisible des terres électorales. Ce qui est de plus clair et de plus expliqué dans les derniers articles, c'est ce qui regarde la pompe et la vanité ; on voit que Charles IV se complaît à se faire servir par les électeurs, dans les cours plénières.

 

La table de l'empereur plus haute de trois pieds que celle de l'impératrice, et celle de l'impératrice plus haute de trois pieds que celles des électeurs ; un gros tas d'avoine devant la salle à manger, un duc de Saxe venant prendre à cheval un picotin d'avoine dans ce tas ; enfin tout cet appareil ne ressemblait pas à la majestueuse simplicité des premiers césars de Rome.

 

Un auteur moderne dit qu'on n'a point dérogé au dernier article de la bulle d'or, parce que tous les princes parlent français. C'est précisément en cela qu'on y a dérogé ; car il est ordonné, par le dernier article, que les électeurs apprendront le latin et l'esclavon aussi bien que l'italien ; or, peu d'électeurs aujourd'hui se piquent de parler esclavon.

 

La bulle fut enfin publiée à Metz toute entière ; il y eut une de ces cours plénières ; tous les électeurs y servirent l'empereur et l'impératrice à table ; chacun y fit sa fonction. Ce n'était pas en ces cas des princes qui devenaient officiers ; c'étaient originairement des officiers qui, avec le temps, étaient devenus grands princes.

 

Le dauphin de France, Charles V, depuis roi, vint à cette cour plénière. C'était peu de mois après la funeste journée de Poitiers où son père Jean avait été pris par le fameux prince Noir. Le dauphin venait implorer le secours de Charles IV son oncle, qui ne pouvait donner que des fêtes. L'héritier de la couronne de France céda le pas au cardinal de Périgord dans cette diète. Pourquoi les annalistes français passent-ils ce cérémonial sous silence ? L'histoire est-elle un factum d'avocat où l'on amplifie les avantages, et où l'on tait les humiliations (3) ?

 

1357. On voit aisément, par l'exclusion donnée dans la bulle d'or aux ducs de Bavière et d'Autriche, que Charles IV n'était pas l'ami de ces deux maisons. Le premier fruit de ce règlement pacifique fut une petite guerre. Les ducs de Bavière et d'Autriche lèvent des troupes. Ils assiègent dans Danustauffen un commissaire de l'empereur. L'empereur y arrive, il rompt la ligue de l'Autriche et de la Bavière, mais en rendant Danustauffen à l'électeur de Bavière, au lieu du droit de suffrage qu'il demandait.

 

Il y a une grande querelle dans l'empire au sujet des Pfahl-Burgers (4), c'est-à-dire des faux-bourgeois ; querelle dans laquelle il est fort vraisemblable que les auteurs se sont mépris. La bulle d'or ordonne que les bourgeois qui appartiennent à un prince ne se fassent pas recevoir bourgeois des villes impériales pour se soustraire à leurs princes, à moins de résider dans ces villes. Rien de plus juste, rien même de plus facile à exécuter ; car assurément un prince empêchera bien un citoyen de sa ville de lui désobéir sous prétexte qu'il est reçu bourgeois à Bâle ou à Constance.

 

Pourquoi donc y eut-il tant de troubles à Strasbourg pour ces faux-bourgeois ? Pourquoi fut-on en armes ? Strasbourg pouvait-elle, par exemple, soutenir un sujet de Vienne à qui elle aurait donné des lettres de bourgeoisie, et qui s'en serait prévalu à Vienne ? Non sans doute. Il s'agissait donc de quelque chose de plus important et de plus sacré. Des seigneurs voulaient ravir à leurs sujets le premier droit qu'ont les hommes de choisir leur domicile. Ils craignaient qu'on ne les quittât pour aller dans les villes libres. Voilà pourquoi l'empereur ordonne que les Strasbourgeois ne donneront plus de droit de citoyen à des étrangers, et que les Strasbourgeois veulent conserver ce droit qui peuple une ville, et qui l'enrichit.

 

1358. Charles IV, avec l'apparence de la grandeur, autrefois guerrier, à présent législateur, maître d'un beau pays, et riche, a pourtant peu de crédit dans l'empire. C'est qu'on ne voulait pas qu'il en eût. Quand il s'agit (5) d'incorporer la Lusace à la Bohême, Albert d'Autriche, qui a des droits sur la Lusace, fait tout d'un coup la guerre à l'empereur, dont personne ne prend le parti ; et l'empereur ne peut se tirer d'affaire que par un stratagème qu'on accuse de bassesse. On prétend qu'il trompa le duc d'Autriche par des espions et qu'il paya ensuite ces espions en fausse monnaie : ce conte a l'air d'une fable ; mais cette fable est fondée sur son caractère.

 

Il vendait des privilèges à toutes les villes ; il vendait au comte de Savoie le titre de vicaire de l'empire ; il donne, pour des sommes très légères, le titre de villes impériales à Mayence, à Vorms, à Spire, et même à Genève ; il confirmait la liberté de la ville de Florence à prix d'argent. Il en tirait de Venise pour la souveraineté de Vérone, de Padoue, et de Vicence ; mais ceux qui le payèrent le plus chèrement furent les Viscontis, pour avoir la puissance héréditaire dans Milan sous le titre de gouverneurs : on prétend qu'il vendait ainsi en détail l'empire qu'il avait acheté en gros.

 

1359. Les princes de l'empire, excités par les universités d'Allemagne, représentent à Charles IV que, parmi les bulles de Clément VI, il y en a de déshonorantes pour lui et pour le corps germanique ; entre autres, celle où il est dit « que les empereurs sont les vassaux du pape, et lui prêtent serment de fidélité. » Charles, qui avait assez vécu pour savoir que toutes ces formules ne méritent d'attention que quand elles sont soutenues par les armes, se plaint au pape, pour ne pas fâcher le corps germanique, mais modérément pour ne pas fâcher le pape. Innocent VI lui répond que cette proposition est devenue une loi fondamentale de l'Église, enseignée dans toutes les écoles de théologie ; et pour appuyer sa réponse, il envoie d'Avignon en Allemagne un évêque de Cavaillon demander, pour l'entretien du saint-père, le dixième de tous les revenus ecclésiastiques.

 

Le prélat de Cavaillon s'en retourna en Avignon, après avoir reçu de fortes plaintes au lieu d'argent. Le clergé allemand éclata contre le pape, et c'est une des premières semences de la révolution dans l'Église, qu'on voit aujourd'hui.

 

Rescrit de Charles IV en faveur des ecclésiastiques, pour les protéger contre les princes qui veulent les empêcher de recevoir des biens, et de contracter avec les laïques.

 

1360. Charles IV, en faisant des règlements en Allemagne abandonnait l'Italie. Les Visconti étaient toujours maîtres de Milan. Barnabo veut conserver Bologne, que son oncle, archevêque, guerrier et politique, avait achetée pour douze années. C'est la première et la dernière fois qu'on a vu faire un bail à ferme d'une principauté.

 

Un légat espagnol, nommé d'Albornos, entre dans cette ville au nom du pape, qui est toujours à Avignon, et donne Bologne au pape.

 

Barnabo Visconti assiège Bologne. Comment peut-on imprimer encore aujourd'hui que le saint père, par un accommodement, promit de payer cent mille livres d'or annuellement, pendant cinq années, pour être maître de Bologne ? Les historiens qui répètent ces exagérations savent bien peu ce que c'est que cinq cent mille livres pesant d'or.

 

1361. Le siège de Bologne est levé sans qu'il en coûte rien au pape. Un marquis de Malatesta, qui s'est jeté avec quelques troupes dans la ville, fait une sortie, bat Barnabo, et le renvoie chez lui. L'empereur ne se mêle de cette affaire que par un rescrit inutile en faveur du pape.

 

Des guerres s'étant élevées entre le Danemark d'un côté, et le duc de Mecklenbourg et les villes anséatiques de l'autre, tout finit à l'ordinaire par un traité. Plusieurs villes anséatiques traitent de couronne à couronne avec le Danemark dans la ville de Lubeck. C'est un beau monument de la liberté fondée sur une industrie respectable. Lubeck, Rostock, Stralsund, Hambourg, Vismar, Brême, et quelques autres villes , font une paix perpétuelle avec le roi de Danemark, des Vandales et des Goths, les princes, négociants et bourgeois de son pays ; ce sont les termes du traité, termes qui prouvent que le Danemark était libre, et que les villes anséatiques l'étaient davantage.

 

L'impératrice Anne étant accouchée de Venceslas, l'empereur envoie le poids de l'enfant en or à une chapelle de la Vierge dans Aix ; usage qui commençait à s'établir, et qui a été poussé à l'excès pour Notre-Dame de Lorette. Ses richesses (6) sont aussi grandes que son voyage par les airs de Jérusalem à la marche d'Ancone est miraculeux.

 

L'évêque de Strasbourg achète plus cher le titre de landgrave de la Basse-Alsace. Les landgraves de l'Alsace, de la maison d'Œttingue, s'y opposent, et l'évêque les apaise avec le même moyen dont il a eu son landgraviat, avec de l'argent.

 

1362. Grande division entre les maisons de Bavière et d'Autriche. Une femme en est la cause. Marguerite de Carinthie, veuve du duc de Bavière, Henri-le-Vieux, fils de l'empereur Louis, ennemie de la maison où elle était entrée, donne tous les droits sur le Tyrol et ses dépendances à Rodolphe, duc d'Autriche.

 

Étienne, duc de Bavière, s'allie avec plusieurs princes. L'Autrichien n'a dans son parti que l'archevêque de Saltzbourg. On fait une trêve de trois ans, et l'inimitié secrète en est plus durable.

 

1363. Charles IV, aussi sédentaire qu'il avait été actif dans sa jeunesse, reste toujours dans Prague. L'Italie est absolument abandonnée ; chaque seigneur y achète un titre de vicaire de l'empire.

 

Barnabo Visconti en veut toujours à Bologne, et est maître de beaucoup de villes dans la Romagne.

 

Le pape (c'était alors Urbain V) obtient aisément de vains ordres de l'empereur aux vicaires d'Italie. On a écrit que Barnabo vendit encore ses places de la Romagne pour cinq cent mille florins d'or au pape ; mais Urbain, dans Avignon, aurait-il aisément trouvé cette somme ?

 

1364. On écrit encore que Charles voulut faire passer le Danube à Prague. Cela est encore plus incroyable que les cinq cent mille florins du pape. Pour tirer seulement un canal du Danube à la Moldau, dans la Bohême, il eût fallu conduire l'eau sur des montagnes, et dépendre encore de la maison de Bavière, maîtresse du cours du Danube. Le projet de Charlemagne de joindre le Danube et le Rhin dans un pays plat était bien plus praticable.

 

1365. Un fléau, formé en France, au milieu des guerres funestes d'Édouard III et de Philippe de Valois, se répand dans l'Allemagne. Ce sont des brigands qui ont déserté de ces armées indisciplinées, où on les payait mal, qui, joints à d'autres brigands, vont en Lorraine et en Alsace, et partout où ils trouvent les chemins ouverts : on les appelle malandrins, tard-venus, grandes-compagnies. L'empereur est obligé de marcher contre eux sur le Rhin avec les troupes de l'empire. On les chasse ; ils vont désoler la Flandre et la Hollande, comme des sauterelles qui ravagent les champs de contrées en contrées.

 

Charles IV va trouver le pape Urbain V à Avignon. Il s'agissait d'une croisade, non plus pour aller prendre Jérusalem, mais pour empêcher les Turcs, qui avaient déjà pris Andrinople, d'accabler la chrétienté.

 

Un roi de Chypre, qui voyait le danger de plus près, sollicite dans Avignon cette croisade. On en avait fait plusieurs dans le temps que les musulmans n'étaient point à craindre en Syrie ; et maintenant que la chrétienté est envahie, on n'en fait plus.

 

Le pape, après avoir proposé la croisade par bienséance, fait un traité sérieux avec l'empereur pour rendre au saint-siège son patrimoine usurpé. Il accorde à l'empereur des décimes sur le clergé d'Allemagne. Charles IV pouvait s'en servir pour aller reprendre en Italie les propres domaines de l'empereur, et non pour servir le pape.

 

1366. Les grandes-compagnies reviennent encore sur le Rhin (7), et de là vont tout dévaster jusqu'à Avignon. C'est une des causes qui enfin engagent Urbain V à se réfugier à Rome, après que les papes ont été réfugiés soixante et douze ans sur les bords du Rhône.

 

Les Viscontis, plus dangereux que les grandes-compagnies, tenaient toutes les issues des Alpes ; ils s'étaient emparés du Piémont, ils menaçaient la Provence. Urbain, n'ayant que des paroles de l'empereur pour secours, s'embarque sur une galère de la coupable et malheureuse Jeanne, reine de Naples.

 

1367. L'empereur s'excuse de secourir le pape, pour être spectateur de la guerre que la maison d'Autriche et la maison de Bavière se font dans le Tyrol ; et le pape Urbain V, après avoir fait quelques ligues inutiles avec l'Autriche et la Hongrie, fait voir enfin un pape aux Romains, le 16 octobre. Il n'y est reçu qu'en premier évêque de la chrétienté, et non en souverain.

 

1368. La ville de Fribourg en Brisgau, qui avait voulu être libre, retombe au pouvoir de la maison d'Autriche, par la cession d'un comte Egon, qui en était l'avoué, c'est-à-dire le défenseur, et qui se désista de cette protection pour douze mille florins.

 

Le rétablissement des papes à Rome n'empêchait pas les Viscontis de dominer dans la Lombardie, et on était près de voir renaître un royaume plus puissant et plus étendu que celui des anciens Lombards.

 

L'empereur va enfin en Italie au secours du pape, ou plutôt à celui de l'empire. Il avait une armée formidable dans laquelle il y avait de l'artillerie.

 

Cette affreuse invention commençait à s'établir ; elle était encore inconnue aux Turcs ; et si on s'en était servi contre eux, on les eût aisément chassés de l'Europe. Les chrétiens ne s'en servaient encore que contre les chrétiens.

 

Le pape attirait à la fois en Italie, d'un côté le duc d'Autriche, de l'autre l'empereur, chacun avec une puissante armée ; c'était de quoi exterminer à la fois la liberté de l'Italie, et celle même du pape. C'est la fatalité de ce beau et malheureux pays, que les papes y ont toujours appelé les étrangers, qu'ils auraient voulu éloigner.

 

L'empereur saccage Vérone, le duc d'Autriche Vicence. Les Viscontis se hâtent de demander la paix pour attendre un meilleur temps ; la guerre finit en donnant de l'argent à Charles, qui va se faire sacrer à Rome, selon les cérémonies usitées.

 

1369. Diète à Francfort. Édit sévère qui défend aux villes et aux seigneurs de se faire la guerre. A peine l'édit est-il émané, que l'évêque de Hildesheim et Magnus, duc de Brunsvick, ayant chacun plusieurs seigneurs dans leur parti, se font une guerre sanglante.

 

Cela ne pouvait guère être autrement dans un pays où le peu de bonnes lois qu'on avait étaient sans force : et cette continuelle anarchie servait d'excuse à l'inactivité de l'empereur. Il fallait ou hasarder tout pour être le maître, ou rester tranquille ; et il prenait ce dernier parti.

 

Urbain V ayant fait venir les Autrichiens et les Bohémiens en Italie, qui s'en étaient retournés chargés de dépouilles, y appelle les Hongrois contre les Viscontis : il n'y manquait que des Turcs.

 

L'empereur, pour prévenir ce coup fatal, réconcilie les Viscontis avec le saint-siège.

 

1370. Valdemar, roi de Danemark, chassé de Copenhague par le roi de Suède et par le comte de Holstein, se réfugie en Poméranie. Il demande des secours à l'empereur, qui lui donne des lettres de recommandation. Il s'adresse au pape Grégoire XI. Le pape lui envoie des exhortations, et le menace de l'excommunier, lui écrivant d'ailleurs comme à son vassal ; on prétend que Valdemar lui répondit : « Je tiens la vie de Dieu, la couronne de mes sujets, mon bien de mes ancêtres, la foi seule de vos prédécesseurs ; si vous voulez vous en prévaloir, je vous la renvoie par la présente. » Cette lettre est apocryphe : c'est dommage.

 

Le roi Valdemar rentre dans ses États sans le secours de personne, par la désunion de ses ennemis.

 

1371. L'Allemagne, dans ces temps encore agrestes, polit pourtant la Pologne. Casimir, roi de Pologne, qu'on a surnommé le Grand, commence à faire bâtir quelques villes à la manière allemande, et introduit quelques lois du droit saxon dans son pays, qui manquait de lois.

 

Guerre particulière entre Venceslas, duc de Luxembourg et de Brabant, frère de l'empereur, et les ducs de Juliers et de Gueldre ; tous les seigneurs des Pays-Bas y prennent parti.

 

Rien ne caractérise plus la fatale anarchie de ces temps de brigandage. Le sujet de cette guerre était une troupe de voleurs de grand chemin, protégés par le duc de Juliers : et malheureusement un tel exemple n'était pas rare alors.

 

Venceslas, vicaire de l'empire, veut punir le duc de Juliers ; mais il est défait et pris dans une bataille.

 

Le vainqueur, craignant le ressentiment de l'empereur, court à Prague, accompagné de plusieurs princes, et surtout de son prisonnier : « Voilà votre frère que je vous rends, dit-il à l'empereur ; pardonnez-moi tous deux. »

 

On voit beaucoup d'événements de ces temps-là mêlés ainsi de brigandage et de chevalerie.

 

1372. Les édits contre ces guerres ayant été inutiles, une nouvelle diète à Nuremberg ordonne que les seigneurs et les villes ne pourront, dorénavant, s'égorger que soixante jours après l'offense reçue. Cette loi s'appelait soixantaine de l'empire, et elle fut exécutée toutes les fois qu'il fallait plus de soixante jours pour aller assiéger son ennemi.

 

1373. Les affaires de Naples et de Sicile n'ont plus depuis longtemps aucune liaison avec celles de l'empire. L'île de Sicile était toujours possédée par la maison d'Aragon, et Naples par la reine Jeanne ; tout était fief alors. La maison d'Aragon, depuis les vêpres siciliennes, s'était soumise par des traités à relever du royaume de Naples, qui relevait du saint-siège.

 

Le but de la maison d'Aragon, en faisant un vain hommage à la couronne de Naples, avait été d'être indépendante de la cour romaine : et elle y avait réussi quand les papes étaient à Avignon.

 

Grégoire XI ordonne que les rois de Sicile fassent désormais hommage au roi de Naples et au pape à la fois. Il renouvelle l'ancienne loi, ou plutôt l'ancienne protestation, que jamais un roi de Sicile ou de Naples ne pourra être empereur ; et il ajoute que ces royaumes seront incompatibles avec la Toscane et la Lombardie.

 

Charles abandonne toutes ces affaires de l'Italie, uniquement occupé de s'enrichir en Allemagne, et d'y établir sa maison. Il achète l'électorat de Brandebourg d'Othon de Bavière qui le possédait, pour se l'approprier à lui et à sa famille. Ce cas n'avait pas été spécifié dans la bulle d'or. Il donne d'abord cet électorat à son fils aîné Venceslas, puis au cadet Sigismond.

 

1374. Le saint-siège était revenu à Avignon. Urbain V y était mort après s'être montré à Rome un moment. Grégoire XI se résout enfin de rétablir le pontificat dans son lieu natal.

 

Les seigneurs et les villes qui se sont emparés des biens de la comtesse Mathilde se liguent contre le pape dès qu'il veut revenir en Italie. La plupart des villes mettaient alors sur leurs étendards et sur leurs portes ce beau mot libertas, que l'on voit encore à Lucques.

 

1375. Les Florentins commençaient à jouer dans l'Italie le rôle que les Athéniens avaient eu en Grèce. Tous les beaux-arts, inconnus ailleurs, renaissaient à Florence. Les factions guelfe et gibeline, en troublant la Toscane, avaient animé les esprits et les courages ; la liberté les avait élevés. Ce peuple était le plus considéré de l'Italie, le moins superstitieux, et celui qui voulait le moins obéir aux papes et aux empereurs. Le pape Grégoire les excommunie. Il était bien étrange que ces excommunications, auxquelles on était tant accoutumé, fissent encore quelque impression.

 

1376. Charles fait élire roi des Romains son fils Venceslas, à Rentz sur le Rhin, au même lieu où lui-même avait été élu.

 

Tous les électeurs s'y trouvèrent en personne. Son second fils Sigismond y assistait, quoique enfant, comme électeur de Brandebourg. Le père avait depuis peu transféré ce titre de Venceslas à Sigismond. Pour lui, il avait sa voix de Bohême. Il restait cinq électeurs à gagner. On dit qu'il leur promit à chacun cent mille florins d'or : plusieurs historiens l'assurent, il n'est guère vraisemblable qu'on donne à chacun la même somme, ni que cinq princes aient la bassesse de la recevoir, ni qu'ils aient l'indiscrétion de le dire, ni qu'un empereur se vante d'avoir corrompu les suffrages.

 

Loin de donner de l'argent à l'électeur palatin, il lui vendait dans ce temps-là Guittenbourg, Falkenbourg et d'autres domaines. Il vendait à vil prix, à la vérité, des droits régaliens aux électeurs de Cologne et de Mayence. Il gagnait ainsi de l'argent, et dépouillait l'empire en l'assurant à son fils.

 

1377. Charles IV, âgé de soixante-quatre ans, entreprend de faire le voyage de Paris, et on ajoute que c'était pour avoir la consolation de voir le roi de France Charles V, qu'il aimait tendrement ; et la raison de cette tendresse pour un roi qu'il n'avait jamais vu, était qu'il avait épousé autrefois une de ses tantes. Une autre raison qu'on allègue du voyage, est qu'il avait la goutte, et qu'il avait promis à M. saint Maur, saint d'auprès de Paris, de faire un pèlerinage à cheval chez lui pour sa guérison. La raison véritable était le dégoût, l'inquiétude, et la coutume établie alors que les princes se visitassent. Il va donc de Prague à Paris avec son fils Venceslas, roi des Romains. Il ne vit guère, depuis les frontières jusqu'à Paris, un plus beau pays que le sien. Paris ne méritait pas sa curiosité ; l'ancien palais de saint Louis qui subsiste encore (8), et le château du Louvre qui ne subsiste plus, ne valaient pas la peine du voyage. On ne se tirait de la barbarie qu'en Toscane, et encore n'y avait-on pas réformé l'architecture (9).

 

S'il y eut quelque chose de sérieux dans ce voyage, ce fut la charge de vicaire de l'empire dans l'ancien royaume d'Arles, qu'il donna au dauphin. Ce fut longtemps une grande question entre les publicistes, si le Dauphiné devait toujours relever de l'empire ; mais depuis longtemps ce n'en est plus une entre les souverains. Il est vrai que le dernier dauphin Humbert, en donnant le Dauphiné au second fils de Philippe de Valois, ne le donna qu'aux mêmes droits qu'il le possédait. Il est vrai encore qu'on a prétendu que Charles IV lui-même avait renoncé à tous ses droits ; mais ils ne furent pas moins revendiqués par ses successeurs. Maximilien Ier réclama toujours la mouvance du Dauphiné ; mais il fallait que ce droit fût devenu bien caduc, puisque Charles-Quint, en forçant François Ier son prisonnier à lui céder la Bourgogne par le traité de Madrid, ne fit aucune mention de l'hommage du Dauphiné à l'empire. Toute la suite de cette histoire fait voir combien le temps change les droits.

 

1378. Un gentilhomme français, Enguerrand de Couci, profite du voyage de l'empereur en France pour lui demander une étrange permission, celle de faire la guerre à la maison d'Autriche : il était arrière-petit-fils de l'empereur Albert d'Autriche par sa mère, fille de Léopold. Il demandait tous les biens de Léopold, comme n'étant point des fiefs masculins. L'empereur lui donne toute permission. Il ne s'attendait pas qu'un gentilhomme picard pût avoir une armée. Couci en eut pourtant une très considérable, fournie par ses parents et par ses amis, par l'esprit de chevalerie, par une partie de son bien qu'il vendit, et par l'espoir du butin qui enrôle toujours beaucoup de monde dans les entreprises extraordinaires. Il marche vers les domaines d'Alsace et de Suisses, qui appartiennent à la maison d'Autriche ; il n'y avait pas là de quoi payer ses troupes ; quelques contributions de Strasbourg ne suffisent pas pour lui faire tenir longtemps la campagne. Son armée se dissipe bientôt et le projet s'évanouit : mais il n'arriva à ce gentilhomme que ce qui arrivait alors à tous les grands princes qui levaient des armées à la hâte.

 

 

 

 

1 – 1313 – 1356. Il professa à Pise, puis à Pérouse. (G.A.)

 

2 – Elle a été traduite dans le Discours historique sur l’élection de l’empereur, 1711. (G.A.)

 

3 – Cet alinéa est de 1722. (G.A.)

 

4 – Ce mot peut se rendre par bourgeois aux palissades, parce que les faubourgs étaient défendus par des enceintes de cette espèce.

 

5 – En 1370. (G.A.)

 

6 – Les richesses de Notre-Dame de Lorette. En 1797, le trésor fut évalué à deux cent cinquante millions de francs. Ce fut Mongo qui, à la même époque, expédia la statue de la Vierge à Paris (G.A.)

 

7 – C'est Du Guesclin qui les commandait. (G.A.)

 

8 – C'est le Palais de Justice. (G.A.)

 

9 – Christine de Pisan a raconté, dans son Histoire de Charles V, tous les détails de ce voyage. (G.A.)

 

 

 

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