CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 62
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DE D’ALEMBERT.
A Paris, ce 8 de juin 1770.
Mon cher et illustre confrère, cette lettre vous sera remise par M. Panckoucke, que vous connaissez depuis longtemps, et dont vous m'avez souvent parlé, dans vos lettres, avec estime et avec intérêt. (1). J'espère que cet intérêt augmentera encore, s'il est possible, par celui que je prends à M. Panckoucke, et par la connaissance que vous aurez de l'honnêteté de son caractère, et des sentiments de respect et d'attachement dont il est rempli pour vous. Il va à Genève pour des affaires qui l'intéressent, et je l'ai assuré que vous ne lui refuseriez pas vos bontés et vos conseils. Il vous contera tous les malheurs qu'a essuyés l'infortunée Encyclopédie, et le besoin qu'elle a que les honnêtes gens et les philosophes fassent un bataillon carré pour la soutenir. J 'espère qu'il m'apprendra en quel état est l'ouvrage (2) que vous avez entrepris, et qui sera utile à la perfection du nôtre. Je vous recommande le Suisse de Félice et ses coopérateurs (3), au nombre desquels sont quelques polissons d'écrivailleurs français qui prétendent, à ce qu'on dit, élever autel contre autel. A en juger par les programmes ou prospectus qu'ils ont publiés, ce sera de la besogne bien faite ; et je ne doute pas que cette société de gens de lettres soi-disant, ne renferme plusieurs Suisses de porte nouvellement arrivés de Zug ou d'Underwald. Quoi qu'il en soit, mon cher et illustre maître, je vous demande vos bontés et votre amitié pour M. Panckoucke ; et j'espère que quand vous l'aurez vu, vous l'en trouverez digne, et que ma recommandation lui deviendra tout à fait inutile. Je vous embrasse de tout mon cœur.
1 – Voltaire n'avait guère parlé de lui avec estime dans sa lettre du 27 avril. (G.A.)
2 – Questions sur l'Encyclopédie. (G.A.)
3 – Éditeur de l'Encyclopédie d'Yverdun. Nous avons déjà donné les noms de quelques-uns de ses collaborateurs : Haller, Lalande, Dupuis, etc. (G.A.)
DE VOLTAIRE.
11 de Juin 1770.
Mon cher ami, mon cher philosophe, êtes-vous toujours bien imbécile à la manière de Locke et de Newton ? Prêtez-moi un peu de votre bêtise j'en ai grand besoin. On dit que vous nous donnez pour confrère, monsieur l'archevêque de Toulouse (1), qui passe pour une bête de votre façon, très bien disciplinée par vous. Savez-vous quand les bêtes d'une autre espèce cesseront d'être assemblées ? Cela est assez important pour ce pauvre Panckoucke.
Répondez, je vous prie, à une autre question.
Le roi de Prusse vous vous a envoyé, sans doute, son petit écrit (2) contre un livre, imprimé cette année, intitulé : Essai sur les préjugés (3) ; ce roi a aussi les siens qu'il faut lui pardonner : on n'est pas roi pour rien. Mais je voudrais savoir quel est l'auteur de cet Essai contre lequel sa majesté prussienne s'amuse à écrire un peu durement. Serait-il de Diderot ? Serait-il de Damilaville ? Serait-il d'Helvétius ? Peut-être ne le connaissez-vous point ; je le crois imprimé en Hollande. L'auteur, quel qu'il soit, paraît ressembler à Leclerc de Montmerci ; il a de la force, mais il fait trop de prose comme l'autre fait trop de vers.
Il faut que je vous dise un mot de la plaisanterie de l'effigie. Le vieux magot que Pigalle veut sculpter sous vos auspices a perdu toutes ses dents, et perd ses yeux ; il n'est point du tout sculptable ; il est dans un état à faire pitié. Conseillez, je vous en prie, à votre Phidias de s'en tenir à la petite figure de porcelaine faite à Sèvres, qui lui servirait de modèle. J'aimerais bien mieux avoir votre buste que tout autre.
Bonsoir, mon très cher philosophe ; badinez avec la vie, elle n'est bonne qu'à cela.
1 – Loménie de Brienne. On sait que cet archevêque, plus tard ministre et cardinal, ne croyait pas à Dieu. Il faisait alors partie de la société de mademoiselle de Lespinasse. (G.A.)
2 – Examen de l'Essai sur les préjugés. 5G;a;°
3 – Par le baron d'Holbach. (G.A.)