CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 65

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 65

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DE VOLTAIRE.

 

16 de juillet 1770.

 

 

      Mon très cher philosophe, je vous prie de me dire ce que vous pensez du Système de la nature (1) ; il me paraît qu'il y a des choses excellentes, une raison forte, et de l'éloquence mâle, et que par conséquent il fera un mal affreux à la philosophie. Il m'a paru qu'il y avait des longueurs, des répétitions, et quelques inconséquences ; mais il y a trop de bon pour qu'on n'éclate pas avec fureur contre ce livre. Si on garde le silence, ce sera une preuve du prodigieux progrès que la tolérance fait tous les jours. On s'arrache ce livre dans toute l'Europe.

 

      Je persiste dans la prière que je vous ai faite de faire rendre à Jean-Jacques sa mise ; c'est l'avis de M. de Saint-Lambert. Je ne peux voir cet homme dans la liste à côté de vous et de M. le duc de Choiseul ; mais je vous recommande toujours Frédéric, non pas parce qu'il est roi, mais parce qu'il m'a fait du mal, et qu'il me doit une réparation.

 

      Je vous prie instamment, mon cher ami, de me mander si vous lui avez écrit.

 

      J'ai appris avec plaisir qu'on ne jouerait point cette infâme pièce intitulée le Satirique ; ceux qui l'ont protégée doivent rougir.

 

      Si vous voyez monsieur l'archevêque de Toulouse, dites-lui, je vous en prie, qu'on lui demandera sa protection pour les Sirven. Les Sirven plaident hardiment pour avoir des dépens, dommages et intérêts qu'on leur doit. La jeunesse du parlement est pour nous ; mais nous avons contre nous un procureur-général (2) qui, dans ses conclusions sur le procès des Calas, requit qu'on pendît et qu'on brûlât madame Calas. Cette bonne et vertueuse mère me vint voir ces jours passés, je pleurai comme un enfant.

 

      Portez-vous bien ; vivez pour enseigner les sages et pour réprimer les fous.

 

      Encore un petit mot. Je ne saurais m'accoutumer à voir un Fréron protégé ; je pense qu'il est aussi important pour tous les gens de lettres de faire connaître ce lâche scélérat, qu'il l'était à tous les pères de famille de faire arrêter Cartouche. Thiériot ne sera pas assez lâche pour nier qu'il m'ait envoyé l'original des Anecdotes imprimées (3). Pour peu que La Harpe ou quelque autre se donne la peine d'interroger ceux qui sont nommés dans ces anecdotes, on découvrira aisément la vérité ; le monstre sera reconnu, et je me charge, moi, de faire instruire tous ceux dont il a surpris la protection. Je trouve qu'il y aurait une faiblesse inexcusable à laisser jouir en paix ce monstre du fruit de ses crimes. Conférez-en, je vous en prie, avec M. de Marmontel : quand on a des armes pour tuer une bête puante, il ne faut pas les laisser rouiller ; cependant, portez-vous bien, vous dis-je.

 

 

 

1 – Par d'Holbach. (G.A.)

 

2 – Riquet. (G.A.)

 

3 – Les Anecdotes sur Fréron. Voyez OPUSCULES LITTÉRAIRES, (G.A.)

 

 

 

 

 

DE D’ALEMBERT.

 

Ce 25 de juillet 1770.

 

 

      Vous voulez savoir, mon cher maître, ce que je pense du Système de la nature ? Je pense, comme vous, qu'il y a des longueurs, des répétitions, etc., mais que c'est un terrible livre ; cependant je vous avoue que, sur l'existence de Dieu, l'auteur me paraît trop ferme et trop dogmatique, et je ne vois en cette matière que le scepticisme de raisonnable. Qu'en savons-nous ? est, selon moi, la réponse à presque toutes les questions métaphysiques ; et la réflexion qu'il y faut joindre, c'est que, puisque nous n'en savons rien, il ne nous importe pas sans doute d'en savoir davantage. Le roi de Prusse vous a-t-il envoyé une réfutation qu'il a faite de ce livre  (1) ? A propos de ce prince, j'ai écrit (2), il y a quinze jours, et de la manière la plus pressante, et peut-être la plus efficace ; demandez à Chabanon et au comte de Rochefort s'ils sont contents de ma lettre.

 

      Quant à Jean-Jacques Rousseau, je vous ai déjà répondu sur sa souscription ; je vous invite de nouveau à vous détacher de cette idée, que vos amis désapprouvent, quoiqu'ils ne veuillent rien faire qui vous déplaise.

 

      Non, on ne jouera point cette infamie du Satirique, et je puis vous dire, sous le secret, que c'est à moi que la philosophie et les lettres ont cette obligation. J'ai fait parler à M. de Sartine par quelqu'un qui a du pouvoir sur son esprit, et qui lui a parlé de manière à le convaincre. Il était temps, car la pièce devait être annoncée le soir même, pour être jouée le lendemain.

 

      On écrira ou l'on fera écrire au procureur-général Riquet, soyez tranquille . La personne (3) à qui vous me priez de recommander cette affaire m'a promis tout ce qui dépendra d'elle. Cette personne doit être chère à la philosophie par sa manière de penser ; elle prêche hautement la tolérance et les vœux à vingt-cinq ans.

 

      Fréron est un maraud digne des protecteurs qu'il a ; mais il n'est pas digne de votre colère. Je crois les Anecdotes très vraies ; mais cela ne fera ni bien ni mal à ses feuilles, qui d'ailleurs vont en se décriant de jour en jour : il y a plus de douze ans que je n'en ai lu une seule.

 

      Adieu, mon cher et illustre maître ; nous avons déjà plus qu'il ne nous faut pour la statue, mais nous recevons toujours les souscriptions, car bien d'honnêtes gens n'ont pas souscrit encore. Êtes-vous sûr que M. le duc de Choiseul ait souscrit ? Je sais que c'est son dessein ; mais je doute qu'il l'ait encore exécuté. Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

1 – Examen critique du livre intitulé, le Système de la nature.(G.A.)

 

2 – Pour la souscription à la statue. (G.A.)

 

3 – Brienne, archevêque de Toulouse. (G.A.)

 

 

 

 

 

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