ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - FRÉDÉRIC II - Partie 34-2
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ANNALES DE L’EMPIRE.
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CATALOGUE DES EMPEREURS
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(Partie 2)
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FRÉDÉRIC II.
1236 – Il charge le roi de Bohême, le duc de Bavière, et quelques évêques ennemis du duc d’Autriche, de faire la guerre à ce duc, comme vassaux de l’empire qui en soutiennent les droits contre des rebelles.
Il repasse en Lombardie, mais avec peu de troupes, et par conséquent n’y peut faire aucune expédition utile. Quelques villes, comme Vicence et Vérone, mises au pillage, le rendent plus odieux aux guelfes sans le rendre plus puissant.
1237 – Il vient dans l’Autriche défendue par les Hongrois. Il la subjugue, et fonde une université à Vienne. Cependant les papes ont toujours prétendu qu’il n’appartenait qu’à eux d’ériger des universités ; sur quoi on leur a appliqué cet ancien mot d’une farce italienne, « parce que tu sais lire et écrire, tu te crois plus savant que moi. »
Il confirme les privilèges de quelques villes impériales, comme de Ratisbonne et de Strasbourg ; fait reconnaître son fils Conrad roi des Romains, à la place de Henri ; et enfin, après ces succès en Allemagne, il se croit assez fort pour remplir son grand projet de subjuguer l’Italie. Il y revole, prend Mantoue, défait l’armée des confédérés.
Le pape, qui le voyait alors marcher à grands pas à l’exécution de son grand dessein, fait une diversion par les affaires ecclésiastiques, et sous prétexte que l’empereur faisait juger par des cours laïques les crimes des clercs, il excite toute l’Église contre lui ; l’Église excite les peuples.
1238 - 1239 – Il avait un bâtard nommé Entius, qu’il avait fait roi de Sardaigne ; autre prétexte pour le pontife, qui prétendait que la Sardaigne relevait du saint-siège.
Ce pape était toujours Grégoire IX. Les différents noms des papes ne changent jamais rien aux affaires ; c’est toujours la même querelle et le même esprit. Grégoire IX excommunie solennellement l’empereur deux fois pendant la semaine de la Passion. Ils écrivent violemment l’un contre l’autre. Le pape accuse l’empereur de soutenir que le monde a été trompé par trois imposteurs, Moïse, Jésus-Christ, et Mahomet. Frédéric appelle Grégoire antéchrist, Balaam, et prince des ténèbres. Peut-être le peuple accusa faussement l’empereur, qui de son côté calomnia le pape. C’est de cette querelle que naquit ce préjugé qui dure encore, que Frédéric composa ou fit composer en latin le livre des Trois Imposteurs : on n’avait pas alors assez de science et de critique pour faire un tel ouvrage. Nous avons, depuis peu, quelques mauvaises brochures sur le même sujet (1) : mais personne n’a été assez sot pour les imputer à Frédéric II, ni à son chancelier Des Vignes (2).
La patience de l’empereur était enfin poussée à bout, et il se croyait puissant. Les dominicains et les franciscains, milices spirituelles du pape nouvellement établies, sont chassés de Naples et de Sicile. Les bénédictins du Mont-Cassin sont chassés aussi, et on n’en laisse que huit pour faire l’office. On défend, sous peine de mort, dans les deux royaumes, de recevoir des lettres du pape.
Tout cela anime davantage les factions des guelfes et des gibelins. Venise et Gênes s’unissent aux villes de Lombardie. L’empereur marche contre elles. Il est défait par les Milanais. C’est la troisième victoire signalée dans laquelle les Milanais soutiennent leur liberté contre les empereurs.
1240 – Il n’y a plus alors à négocier, comme l’empereur avait toujours fait. Il augmente ses troupes, et marche à Rome, où il y avait un grand parti de gibelins.
Grégoire IX fait exposer les têtes de saint Pierre et de saint Paul. Où les avait-on prises ? Il harangue le peuple en leur nom, échauffe tous les esprits, et profite de ce moment d’enthousiasme pour faire une croisade contre Frédéric.
Ce prince, ne pouvant entrer dans Rome, va ravager le Bénévent. Tel était le pouvoir des papes dans l’Europe ; et le seul nom de croisade était devenu si sacré, que le pape obtient le vingtième des revenus ecclésiastiques en France, et le cinquième en Angleterre, pour sa croisade contre l’empereur.
Il offre, par ses légats, la couronne impériale à Robert d’Artois, frère de saint Louis. Il est dit dans sa lettre au roi et au baronnage de France : « Nous avons condamné Frédéric, soi-disant empereur, et lui avons ôté l’empire. Nous avons élu en sa place le prince Robert, frère du roi : nous le soutiendrons de toutes nos forces, et par toutes sortes de moyens. »
Cette offre indiscrète fut refusée. Quelques historiens disent, en citant mal Matthieu Pâris (3), que les barons de France répondirent qu’il suffisait à Robert d’Artois d’être frère d’un roi qui était au-dessus de l’empereur. Ils prétendent même que les ambassadeurs de saint Louis auprès de Frédéric lui dirent la même chose dans les mêmes termes. Il n’est nullement vraisemblable qu’on ait répondu une grossièreté si indécente, si peu fondée, et si inutile.
La réponse des barons de France, que Matthieu Pâris rapporte, n’a pas plus de vraisemblance. Les premiers de ces barons étaient tous les évêques du royaume ; or il est bien difficile que tous les barons et tous les évêques du temps de saint Louis aient répondu au pape : Tantum religionis in papa non invenimus. Imo qui eum debuit promovisse, et Deo militantem protexisse, eum conatus est absentem confundere et nequiter supplantare. « Nous ne trouvons pas tant de religion dans le pape que dans Frédéric II ; dans ce pape qui devait secourir un empereur combattant pour Dieu, et qui profite de son absence pour l’opprimer et le supplanter méchamment. »
Pour peu qu’un lecteur ait de bon sens, il verra bien qu’une nation en corps ne peut faire une réponse insultante au pape qui offre l’empire à cette nation. Comment les évêques auraient-ils écrit au pape que l’incrédule Frédéric II avait plus de religion que lui ? Que ce trait apprenne à se défier des historiens qui érigent leurs propres idées en monuments publics.
1241 – Dans ce temps, les peuples de la grande Tartarie menaçaient le reste du monde. Ce vaste réservoir d’hommes grossiers et belliqueux avait vomi ses inondations sur presque tout notre hémisphère dès le cinquième siècle de l’ère chrétienne. Une partie de ces conquérants venait d’enlever la Palestine au soudan d’Égypte, et au peu de chrétiens qui restaient encore dans cette contrée. Des hordes plus considérables de Tartares sous Batou-kan, petit-fils de Gengis-kan, avaient été jusqu’en Pologne et jusqu’en Hongrie.
Les Hongrois, mêlés avec les Huns, anciens compatriotes de ces Tartares, venaient d’être vaincus par ces nouveaux brigands. Ce torrent s’était répandu en Dalmatie, et portait ainsi ses ravages de Pékin aux frontières de l’Allemagne. Etait-ce là le temps pour un pape d’excommunier l’empereur, et d’assembler un concile pour le déposer ?
Grégoire IX indique ce concile. On ne conçoit pas comment il peut proposer à l’empereur de faire une cession entière de l’empire et de tous ses États au saint siège pour tout concilier. Le pape fait pourtant cette proposition. Quel était l’esprit du siècle où l’on pouvait proposer de pareilles choses !
1242 – L’orient de l’Allemagne est délivré des Tartares, qui s’en retournent comme des bêtes féroces après avoir saisi quelque proie.
Grégoire IX et son successeur Célestin IV étant morts presque dans la même année (4), et le saint-siège ayant vaqué longtemps, il est surprenant que l’empereur presse les Romains de faire un pape (5), et même à main armée. Il paraît qu’il était de son intérêt que la chaire de ses ennemis ne fût pas remplie ; mais le fond de la politique de ces temps-là est bien peu connu. Ce qui est certain, c’est qu’il fallait que Frédéric II fût un prince sage, puisque, dans ces temps de troubles, l’Allemagne et son royaume de Naples et Sicile étaient tranquilles.
1243 – Les cardinaux, assemblés à Anagni, élisent le cardinal Fiesque, Génois, de la maison des comtes de Lavagna, attaché à l’empereur. Ce prince dit : « Fiesque était mon ami ; le pape sera mon ennemi. »
1244 – Fiesque, connu sous le nom d’Innocent IV, ne va pas jusqu’à demander que Frédéric II lui cède l’empire ; mais il veut la restitution de toutes les villes de l’État ecclésiastique et de la comtesse Mathilde, et demande à l’empereur l’hommage de Naples et de Sicile.
1245 – Innocent IV, sur le refus de l’empereur, assemble à Lyon le concile indiqué par Grégoire IX ; c’est le treizième des conciles généraux.
On peut demander pourquoi ce concile se tint dans une ville impériale : cette ville était protégée par la France ; l’archevêque était prince ; et l’empereur n’avait plus dans ces provinces que le vain titre de seigneur suzerain.
Il n’y eut à ce concile général que cent quarante-quatre évêques ; mais il était décoré de la présence de plusieurs princes, et surtout de l’empereur de Constantinople, Baudoin de Courtenai, placé à la droite du pape. Ce monarque était venu demander des secours qu’il n’obtint point.
Frédéric ne négligea pas d’envoyer à ce concile, où il devait être accusé, des ambassadeurs pour le défendre. Innocent IV prononça contre lui deux longues harangues dans les deux premières sessions. Un moine de l’ordre de Cîteaux, évêque de Carinola, près du Garillan, chassé du royaume de Naples par Frédéric, l’accusa dans les formes.
Il n’y a aujourd’hui aucun tribunal réglé auquel les accusations intentées par ce moine fussent admises. L’empereur, dit-il, ne croit ni à Dieu ni aux saints ; mais qui l’avait dit à ce moine L’empereur a plusieurs épouses à la fois ; mais quelles étaient ces épouses ? Il a des correspondances avec le soudan de Babylone ; mais pourquoi le roi titulaire de Jérusalem ne pouvait-il traiter avec son voisin ? Il pense, comme Averroès, que Jésus-Christ et Mahomet étaient des imposteurs ; mais où Averroès a-t-il écrit cela ? et comment prouver que l’empereur pense comme Averroès ? Il est hérétique ; mais quel est son hérésie ? et comment peut-il être hérétique sans être chrétien ?
Thadée Sessa, ambassadeur de Frédéric, répond au moine évêque qu’il en a menti, que son maître est un fort bon chrétien, et qu’il ne tolère point la simonie. Il accusait assez par ces mots la cour de Rome.
L’ambassadeur d’Angleterre alla plus loin que celui de l’empereur. « Vous tirez, dit-il, par vos Italiens, plus de soixante mille marcs par an du royaume d’Angleterre ; vous taxez toutes nos églises ; vous excommuniez quiconque se plaint ; nous ne souffrirons pas plus longtemps de telles vexations. »
Tout cela ne fit que hâter la sentence du pape. « Je déclare, dit Innocent IV, Frédéric convaincu de sacrilège et d’hérésie, excommunié, et déchu de l’empire. J’ordonne aux électeurs d’élire un autre empereur, et je me réserve la disposition du royaume de Sicile. »
Après avoir prononcé cet arrêt, il entonne un Te Deum, comme on fait aujourd’hui après une victoire.
L’empereur était à Turin, qui appartenait alors au marquis de Suze. Il se fait donner la couronne impériale (les empereurs la portaient toujours avec eux), et la mettant sur sa tête : « Le pape, dit-il, ne me l’a pas encore ravie ; et avant qu’on me l’ôte, il y aura bien du sang répandu. » Il envoie à tous les princes chrétiens une lettre circulaire. « Je ne suis pas le premier, dit-il, que le clergé ait aussi indignement traité, et je ne serai pas le dernier. Vous en êtes la cause, en obéissant à ces hypocrites dont vous connaissez l’ambition effrénée. Combien ne découvririez-vous pas d’infamies à Rome qui font frémir la nature, etc ! »
1246 – Le pape écrit au duc d’Autriche, chassé de ses États, aux ducs de Saxe, de Bavière et de Brabant, aux archevêques de Cologne, de Trèves et de Mayence, aux évêques de Strasbourg et de Spire, et leur ordonne d’élire pour empereur Henri, landgrave de Thuringe.
Les ducs refusent de se trouver à la diète indiquée à Vurtzbourg, et les évêques couronnent leur Thuringien, qu’on appelle le roi des prêtres.
Il y a ici deux choses importantes à remarquer : la première, qu’il est évident que les électeurs n’étaient pas au nombre de sept ; la seconde, que Conrad, fils de l’empereur, roi des Romains, était compris dans l’excommunication de son père, et déchu de tous ses droits comme un hérétique, selon la loi des papes et selon celle de son propre père, qu’il avait publiée quand il voulait plaire aux papes.
Conrad soutient la cause de son père et la sienne. Il donne bataille au roi des prêtres près de Francfort : mais il a du désavantage.
Le landgrave de Thuringe, ou l’anti-empereur, meurt en assiégeant Ulm : mais le schisme impérial ne finit pas.
C’est apparemment cette année que Frédéric II, n’ayant que trop d’ennemis, se réconcilia avec le duc d’Autriche, et que, pour se l’attacher, il lui donna à lui et à ses descendants le titre de roi, par un diplôme conservé à Vienne : ce diplôme est sans date. Il est bien étrange que les ducs d’Autriche n’en aient fait aucun usage. Il est vraisemblable que les princes de l’empire s’opposèrent à ce nouveau titre, donné par un empereur excommunié, que la moitié de l’Allemagne commençait à ne plus reconnaître.
1247 – Innocent IV offre l’empire à plusieurs princes. Tous refusent une dignité si orageuse. Un Guillaume, comte de Hollande, l’accepte. C’était un jeune seigneur de vingt ans. La plus grande partie de l’Allemagne ne le reconnaît pas ; c’est le légat du pape qui le nomme empereur dans Cologne, et qui le fait chevalier.
1248 – Deux partis se forment en Allemagne, aussi violents, que les guelfes et les gibelins en Italie : l’un tient pour Frédéric et son fils Conrad, l’autre pour le nouveau roi Guillaume ; c’était ce que les papes voulaient. Guillaume est couronné à Aix-la-Chapelle par l’archevêque de Cologne. Les fêtes de ce couronnement sont de tous côtés du sang répandu et des villes en cendres.
1249 – L’empereur n’est plus en Italie que le chef d’un parti dans une guerre civile. Son fils Enzio, que nous nommons Entius, est battu par les Bolonais (6), tombe captif entre leurs mains, et son père ne peut pas même obtenir sa délivrance à prix d’argent.
Une autre aventure funeste trouble les derniers jours de Frédéric II, si pourtant cette aventure est telle qu’on la raconte. Son fameux chancelier Pierre Des Vignes, ou plutôt De La Vigna, son conseil, son oracle, son ami depuis plus de trente années, le restaurateur des lois en Italie, veut dit-on, l’empoisonner, et par les mains de son médecin. Les historiens varient sur l’année de cet événement, et cette variété peut causer quelque soupçon. Est-il croyable que le premier des magistrats de l’Europe, vieillard vénérable, ait tramé un aussi abominable complot ? et pourquoi ? pour plaire au pape son ennemi : où pouvait-il espérer une plus grande fortune ? quel meilleur poste le médecin pouvait-il avoir que celui de médecin de l’empereur ?
Il est certain que Pierre Des Vignes eut les yeux crevés, ce n’est pas là le supplice de l’empoisonneur de son maître. Plusieurs auteurs italiens prétendent qu’une intrigue de cour fut la cause de sa disgrâce, et porta Frédéric II à cette cruauté, ce qui est bien plus vraisemblable.
1250 – Cependant Frédéric fait encore un effort dans la Lombardie ; il fait même passer les Alpes à quelques troupes, et donne l’alarme au pape, qui était toujours dans Lyon sous la protection de saint Louis, car ce roi de France, en blâmant les excès du pape, respectait sa personne et le concile.
Cette expédition est la dernière de Frédéric.
Il meurt le 17 décembre (7). Quelques-uns croient qu’il eut des remords du traitement qu’il avait fait à Pierre Des Vignes ; mais, par son testament, il paraît qu’il ne se repent de rien (8). Sa vie et sa mort sont une époque importante dans l’histoire. Ce fut de tous les empereurs celui qui chercha le plus à établir l’empire en Italie, et qui réussit le moins, ayant tout ce qu’il fallait pour y réussir.
Les papes, qui ne voulaient point de maîtres, et les villes de Lombardie, qui défendirent si souvent la liberté contre un maître, empêchèrent qu’il n’y eût en effet un empereur romain.
La Sicile, et surtout Naples, furent ses royaumes favoris. Il augmenta et embellit Naples et Capoue, bâtit Alitea, Monte-Leone, Flagelle, Dondona, Aquila, et plusieurs autres villes, fonda des universités, et cultiva les beaux-arts dans ces climats où ces fruits semblent venir d’eux-mêmes ; c’était encore une raison qui lui rendait cette patrie plus chère ; il en fut le législateur. Malgré son esprit, son courage, son application et ses travaux, il fut très malheureux ; et sa mort produisit de plus grands malheurs encore.
1 – L’une de ces brochures a été attribuée à Guillaume, curé de Fresnes, près Berny. (G.A.)
2 – Les deux dernières phrases sont de 1772. (G.A.)
3 – Auteur de la Grand Chronique que M. Huillard-Bréholles a traduite en 1840-41. (G.A.)
4 – Ou plutôt, étant morts dans la même année, 1241. (G.A.)
5 – C’est lui, au contraire, qui y fut contraint. Des plaintes s’élevaient de toutes parts. (G.A.)
6 – Toutes les éditions antérieures à la nôtre portent « Polonais. » C’est une grosse faute typographique dont Voltaire n’est pas responsable. (G.A.)
7 – Dans le Catalogue des empereurs, Voltaire dit le 13. Ce n’est ni le 17 ni le 13, c’est le 4. (G.A.)
8 – Il mourut du désespoir que lui causa la captivité de son fils Enzio. (G.A.)