POÉSIE - A Mademoiselle DELAUNAY
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A Mademoiselle DELAUNAY.
(1)
- 1732 -
J'ai deux ressources dans ma vie,
Le sommeil et l'oisiveté.
J'aime mieux la tranquillité
De cette douce léthargie
Qu'une inutile activité.
L'ennuyeuse Uniformité,
Que de Paris on a bannie,
Dans ces climats est établie ;
Et sa rivale si jolie,
La piquante Diversité,
Jamais dans notre Normandie
N'apporta sa légèreté.
Sous les lois de son ennemie,
On y prend pour solidité
Ce qu'ailleurs, avec vérité,
On nomme froideur de génie ;
Et le jugement escorté
De quelque brillante saillie
Y passerait pour la folie
De ces sottises dégoûté.
Je cours, de la Philosophie,
Contre les efforts de l'ennui
Implorer le solide appui
Descartes , en sa nouvelle école,
Surprit, éclaira les esprits ;
Sur Aristote et ses débris
Nous élevâmes son idole.
L'Anglais, en tout notre rival,
Veut abattre aujourd'hui ce culte.
Le Français, toujours inégal,
Lui-même approuve cette insulte.
Moi, dans mon petit tribunal,
Du préjugé national
Et des passions en tumulte
Évitant le ton magistral,
Philosophe, jurisconsulte,
Soit que je juge bien ou mal,
Je suis au moins impartial
Par la clarté la plus brillante
Dissipant une affreuse nuit,
Locke, en sa démarche un peu lente,
Vers la vérité nous conduit ;
Mais, dans sa route fatigante,
Avec peine un lecteur le suit.
D'un air trop sombre il nous instruit,
Et des fleurs la couleur riante
Chez lui n'annonce pas le fruit.
Par ces fleurs Malebranche sait plaire :
Tout chez lui n'est pas vérité ;
Mais, de ces grâces enchanté,
L'esprit ne peut être sévère,
Quand le cœur est si bien traité.
S'il dort, c'est du sommeil d'Homère
Son sommeil même est respecté.
Eh ! Qu'importe qu'il nous éclaire,
Puisqu'ici-bas tout est chimère ?
N'écoutons point un vain désir
Pour un secret impénétrable ;
Et, satisfaits du vraisemblable,
Cherchons seulement le plaisir.
1 – Melle Delaunay, plus connue sous le nom de madame de Stall. (G.A.)