DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : MALADIE, MÉDECINE

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : MALADIE, MÉDECINE

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

MALADIE, MÉDECINE.

 

 

 

 

 

 

      Je suppose qu’une belle princesse, qui n’aura jamais entendu parler d’anatomie, soit malade pour avoir trop mangé, trop dansé, trop veillé, trop fait tout ce que font plusieurs princesses ; je suppose que son médecin lui dise : Madame, pour que vous vous portiez bien, il faut que votre cerveau et votre cervelet distribuent une moelle allongée bien conditionnée dans l’épine de votre dos jusqu’au bout du croupion de votre altesse, et que cette moelle allongée aille animer également quinze paires de nerfs à droite, et quinze paires à gauche. Il faut que votre cœur se contracte et se dilate avec une force toujours égale, et que tout votre sang, qu’il envoie à coups de piston dans vos artères, circule dans toutes ces artères et dans toutes les veines environ six cents fois par jour.

 

      Ce sang, en circulant avec cette rapidité que n’a point le fleuve du Rhône, doit déposer sur son passage de quoi former et abreuver continuellement la lymphe, les urines, la bile, la liqueur spermatique de votre altesse, de quoi fournir à toutes ses sécrétions, de quoi arroser insensiblement votre peau douce, blanche et fraîche, qui sans cela serait d’un jaune grisâtre, sèche et ridée comme un vieux parchemin.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Eh bien, monsieur, le roi vous paye pour me faire tout cela ; ne manquez pas de mettre toutes choses à leur place, et de me faire circuler mes liqueurs de façon que je sois contente. Je vous avertis que je ne veux jamais souffrir.

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Madame, adressez vos ordres à l’Auteur de la nature. Le seul pouvoir qui fait courir des milliards de planètes et de comètes autour des millions de soleils a dirigé la course de votre sang.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Quoi ! Vous êtes médecin, et vous ne pouvez rien me donner ?

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Non, madame, nous ne pouvons que vous ôter. On n’ajoute rien à la nature. Vos valets nettoient votre palais, mais l’architecte l’a bâti. Si votre altesse a mangé goulûment, je puis déterger ses entrailles avec de la casse, de la manne, et des follicules de séné ; c’est un balai que j’y introduis, et je pousse vos matières. Si vous avez un cancer, je vous coupe un téton ; mais je ne puis vous en rendre un autre. Avez-vous une pierre dans la vessie, je puis vous en délivrer au moyen d’un dilatoire ; et je vous fais beaucoup moins de mal qu’aux hommes : je vous coupe un pied gangrené, et vous marchez sur l’autre. En un mot, nous autres médecins nous ressemblons parfaitement aux arracheurs de dents : ils vous délivrent d’une dent gâtée sans pouvoir vous en substituer une qui tienne, quelque charlatans qu’ils puissent être.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Vous me faites trembler. Je croyais que les médecins guérissaient tous les maux.

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Nous guérissons infailliblement tous ceux qui se guérissent d’eux-mêmes. Il en est généralement, et à peu d’exceptions près, des maladies internes comme des plaies extérieures. La nature seule vient à bout de celles qui ne sont pas mortelles : celles qui le sont ne trouvent dans l’art aucune ressource.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Quoi ! Tous ces secrets pour purifier le sang dont m’ont parlé mes dames de compagnie, ce baume de vie du sieur Le Lièvre, ces sachets du sieur Arnoult, toutes ces pilules vantées par leurs femmes de chambre ;..

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Autant d’inventions pour gagner de l’argent et pour flatter les malades pendant que la nature agit seule.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Mais il y a des spécifiques.

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Oui, madame, comme il y a l’eau de Jouvence dans les romans.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      En quoi donc consiste la médecine ?

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Je vous l’ai déjà dit, à débarrasser, à nettoyer, à tenir propre la maison qu’on ne peut rebâtir.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Cependant il y a des choses salutaires, d’autres nuisibles.

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Vous avez deviné tout le secret. Mangez, et modérément, ce que vous savez par expérience vous convenir. Il n’y a de bon pour le corps que ce qu’on digère. Quelle médecine vous fera digérer ? l’exercice. Quelle médecine réparera vos forces ? Le sommeil. Quelle médecine diminuera des maux incurables ? La patience. Qui peut changer une mauvaise constitution ? Rien. Dans toutes les maladies violentes nous n’avons que la recette de Molière, saignare, purgare, et, si l’on veut, clysterium donare. Il n’y en a pas une quatrième. Tout cela n’est autre chose, comme je vous l’ai dit, que nettoyer une maison à laquelle nous ne pouvons pas ajouter une cheville. Tout l’art consiste dans l’à-propos.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Vous ne gardez point votre marchandise. Vous êtes honnête homme. Si je suis reine, je veux vous faire mon premier médecin.

 

 

LE MÉDECIN.

 

 

      Que votre premier médecin soit la nature. C’est elle qui fait tout. Voyez tous ceux qui ont poussé leur carrière jusqu’à cent années, aucun n’était de la faculté. Le roi de France a déjà enterré une quarantaine de ses médecins, tant premiers médecins que médecins de quartier et consultants.

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

      Vraiment ? j’espère bien vous enterrer aussi.

 

 

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article