DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : FIÈVRE

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : FIÈVRE

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FIÈVRE

 

 

 

 

 

 

      Ce n’est pas en qualité de médecin, mais de malade, que je veux dire un mot de la fièvre. Il faut quelquefois parler de ses ennemis : celui-là m’a attaqué pendant plus de vingt ans. Fréron n’a jamais été plus acharné.

 

      Je demande pardon à Sydenham, qui définit la fièvre « un effort de la nature, qui travaille de tout son pouvoir à chasser la matière peccante. » On pourrait définir ainsi la petite-vérole, la rougeole, la diarrhée, les vomissements, les éruptions de la peau, et vingt autres maladies. Mais si ce médecin définissait mal, il agissait bien. Il guérissait, parce qu’il avait de l’expérience, et qu’il savait attendre.

 

      Boerhaave, dans ses Aphorismes, dit : « La contraction plus fréquente, et la résistance augmentée vers les vaisseaux capillaires, donnent une idée absolue de toute fièvre aiguë. »

 

      C’est un grand maître qui parle ; mais il commence par avouer que la nature de la fièvre est très cachée.

 

      Il ne nous dit point quel est ce principe secret qui se développe à des heures réglées dans des fièvres intermittentes ; quel est ce poison interne qui se renouvelle après un jour de relâche ; où est ce foyer qui s’éteint et se rallume à des moments marqués. Il semble que toutes les causes soient faites pour être ignorées.

 

      On sait à peu près qu’on aura la fièvre après des excès, ou dans l’intempérie des saisons ; on sait que le quinquina pris à propos la guérira : c’est bien assez ; on ignore le comment. J’ai lu quelque part ces petits vers, qui me paraissent d’une plaisanterie assez philosophique :

 

 

Dieu mûrit à Moka, dans le sable arabique,

Ce café nécessaire aux pays des frimas :

Il met la fièvre en nos climats,

Et le remède en Amérique (1).

 

 

      Tout animal qui ne meurt pas de mort subite périt par la fièvre. Cette fièvre paraît l’effet inévitable des liqueurs qui composent le sang, ou ce qui tient lieu de sang. C’est pourquoi les métaux, les minéraux, les marbres durent si longtemps, et les hommes si peu. La structure de tout animal prouve aux physiciens qu’il a dû, de tout temps, jouir d’une très courte vie. Les théologiens ont eu ou ont étalé d’autres sentiments. Ce n’est pas à nous d’examiner cette question. Les physiciens, les médecins, ont raison, in sensu humano ; et les théologiens ont raison in sensu divino. Il est dit au Deutéronome (Chap. XXVIII, V. 22) que « si les Juifs n’observent par la loi, ils tomberont dans la pauvreté, ils souffriront le froid et le chaud, et ils auront la fièvre. » Il n’y a jamais eu que le Deutéronome et le Médecin malgré lui (acte II, sc. 5) qui aient menacé les gens de leur donner la fièvre.

 

      Il paraît impossible que la fièvre ne soit pas un accident naturel à un corps animé, dans lequel circulent tant de liqueurs, comme il est impossible que ce corps animé ne soit point écrasé par la chute d’un rocher.

 

      Le sang fait la vie. C’est lui qui fournit à chaque viscère, à chaque membre, à la peau, à l’extrémité des poils et des ongles, les liqueurs, les humeurs qui leur sont propres.

 

      Ce sang, par lequel l’animal est en vie, est formé par le chyle. Ce chyle est envoyé de la mère à l’enfant dans la grossesse. Le lait de la nourrice produit ce même chyle, dès que l’enfant est né. Plus il se nourrit ensuite de différents aliments, plus ce chyle est sujet à s’aigrir. Lui seul formant le sang et ce sang étant composé de tant d’humeurs différentes si sujettes à se corrompre, ce sang circulant dans tout le corps humain plus de cinq cent cinquante fois en vingt-quatre heures avec la rapidité d’un torrent, il est étonnant que l’homme n’ait pas plus souvent la fièvre ; il est étonnant qu’il vive. A chaque articulation, à chaque glande, à chaque passage, il y a un danger de mort ; mais aussi il y a autant de secours que de dangers. Presque toute membrane s’élargit et se resserre selon le besoin. Toutes les veines ont des écluses qui s’ouvrent et qui se referment, qui donnent passage au sang, et qui s’opposent à un retour par lequel la machine serait détruite. Le sang, gonflé dans tous ses canaux, s’épure de lui-même : c’est un fleuve qui entraîne mille immondices, il s’en décharge par la transpiration, par les sueurs, par toutes les sécrétions, par toutes les évacuations. La fièvre est elle-même un secours ; elle est une guérison, quand elle ne tue pas.

 

      L’homme, par sa raison, accélère la cure, avec des amers et surtout du régime. Il prévient le retour des accès. Cette raison est un aviron avec lequel il peut courir quelque temps la mer de ce monde, quand la maladie ne l’engloutit pas.

 

      On demande comment la nature a pu abandonner les animaux, son ouvrage, à tant d’horribles maladies dont la fièvre est presque toujours la compagne ; comment et pourquoi tant de désordre avec tant d’ordre, la destruction partout à côté de la formation. Cette difficulté me donne souvent la fièvre ; mais je vous prie de lire les Lettres de Memnius (2) : peut-être vous soupçonnerez alors que l’incompréhensible artisan des mondes, des animaux, des végétaux, ayant tout fait pour le mieux, n’a pu faire mieux.

 

 

 

 

 

1 – Vers de Voltaire. Voyez l’Epître au roi de Prusse.

 

2 – Par Voltaire. On les trouvera dans les Mélanges. (G.A.)

 

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