DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : DÉLUGE UNIVERSEL

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : DÉLUGE UNIVERSEL

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DÉLUGE UNIVERSEL.

 

 

 

     Nous commençons par déclarer que nous croyons le déluge universel, parce qu’il est rapporté dans les saintes Écritures hébraïques transmises aux chrétiens.

 

        Nous le regardons comme un miracle :

 

 

  1. Parce que tous les faits où Dieu daigne intervenir dans les sacrés cahiers, sont autant de miracles.

 

  1. Parce que l’Océan n’aurait pu s’élever de quinze coudées, ou vingt et un pieds et demi de roi, au-dessus des plus hautes montagnes, sans laisser son lit à sec, et sans violer en même temps toutes les lois de la pesanteur et de l’équilibre des liqueurs, ce qui exigeait évidemment un miracle.

 

 

  1. Parce que, quand même il aurait pu parvenir à la hauteur proposée, l’arche n’aurait pu contenir, selon les lois de la physique, toutes les bêtes de l’univers et leur nourriture pendant si longtemps, attendu que les lions, les tigres, les panthères, les léopards, les onces, les rhinocéros, les ours, les loups, les hyènes, les aigles, les éperviers, les milans, les vautours, les faucons, et tous les animaux carnassiers, qui ne se nourrissent que de chair, seraient morts de faim, même après avoir mangé toutes les autres espèces.

 

On imprima autrefois, à la suite des Pensées de Pascal, une dissertation d’un marchand de Rouen nommé Le Pelletier, dans laquelle il propose la manière de bâtir un vaisseau où l’on puisse faire entrer tous les animaux, et les nourrir pendant un an. On voit bien que ce marchand n’avait jamais gouverné de basse-cour. Nous sommes obligés d’envisager M. Le Pelletier, architecte de l’arche, comme un visionnaire qui ne se connaissait pas en ménagerie, et le déluge comme un miracle adorable, terrible, et incompréhensible à la faible raison du sieur Le Pelletier, tout comme à la nôtre.

 

  1. Parce que l’impossibilité physique d’un déluge universel, par des voies naturelles, est démontrée en rigueur ; en voici la démonstration.

 

 

Toutes les mers couvrent la moitié du globe ; en prenant une mesure commune de leur profondeur vers les rivages et en haute mer, on compte cinq cents pieds.

 

Pour qu’elles couvrissent les deux hémisphères seulement de cinq cents pieds de profondeur sur toute la terre habitable, mais il faudrait encore une nouvelle mer pour envelopper notre océan actuel ; sans quoi les lois de la pesanteur et des fluides feraient écouler ce nouvel amas d’eau profond de cinq cents pieds que la terre supporterait.

 

Voici donc deux nouveaux océans pour couvrir, seulement de cinq cents pieds, le globe terraqué.

 

En ne donnant aux montagnes que vingt mille pieds de hauteur, ce serait donc quarante océans de cinq cents pieds de hauteur chacun, qu’il serait nécessaire d’établir les uns sur les autres, pour égaler seulement la cîme des hautes montagnes. Chaque océan supérieur contiendrait tous les autres, et le dernier de tous ces océans serait d’une circonférence qui contiendrait quarante fois celle du premier.

 

Pour former cette masse d’eau, il aurait fallu la créer du néant. Pour la retirer, il aurait fallu l’anéantir.

 

Donc l’évènement du déluge est un double miracle, et le plus grand qui ait jamais manifesté la puissance de l’éternel souverain de tous les globes.

 

Nous sommes très surpris que des savants aient attribué ce déluge à quelques coquilles répandues çà et là sur notre continent.

 

Nous sommes encore plus surpris de ce que nous lisons à l’article DÉLUGE du Grand Dictionnaire encyclopédique ; on y cite un auteur qui dit des choses si profondes (1), qu’on les prendrait pour creuses. C’est toujours Pluche ; il prouve la possibilité du déluge par l’histoire des géants qui firent la guerre aux dieux.

 

Briarée, selon lui, est visiblement le déluge, car il signifie la perte de la sévérité ; et en quelle langue signifie-t-il cette perte ? en hébreu. Mais Briarée est un mot grec qui veut dire robuste. Ce n’est point un mot hébreu. Quand par hasard il le serait, gardons-nous d’imiter Bochart, qui fait dériver tant de mots grecs, latins, français même, de l’idiome hébraïque. Il est certain que les Grecs ne connaissaient pas plus l’idiome juif que la langue chinoise.

 

Le géant Othus est aussi en hébreu, selon Pluche, le dérangement des saisons. Mais c’est encore un mot grec qui ne signifie rien, du moins que je sache ; et quand il signifierait quelque chose, quel rapport, s’il vous plaît, avec l’hébreu ?

 

Porphyrion est un tremblement de terre en hébreu ; mais en grec c’est du porphyre. Le déluge n’a que faire là.

 

Mimas, c’est une grande pluie ; pour le coup en voilà une qui peut avoir quelque rapport au déluge. Mais en grec mimas veut dire imitateur, comédien ; il n’y a pas moyen de donner au déluge une telle origine.

 

Encelade, autre preuve du déluge en hébreu ; car, selon Pluche, c’est la fontaine du temps ; mais malheureusement en grec c’est du bruit.

 

Ephialtes, autre démonstration du déluge en hébreu ; car éphialtes, qui signifie sauteur, oppresseur, incube, en grec, est, selon Pluche, un grand amas de nuées.

 

Or, les Grecs, ayant tout pris chez les Hébreux,qu’ils ne connaissaient pas, ont évidemment donné à leurs géants tous ces noms que Pluche tire de l’hébreu comme il peut ; le tout en mémoire du déluge.

 

Deucalion, selon lui, signifie l’affaiblissement du soleil. Cela n’est pas vrai ; mais n’importe.

 

C’est ainsi que raisonne Pluche ; c’est lui que cite l’auteur de l’article DÉLUGE sans le réfuter. Parle-t-il sérieusement ? se moque-t-il ? je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’y a guère de système dont on puisse parler sans rire.

 

J’ai peur que cet article du Grand Dictionnaire, attribué à M. Boulanger, ne soit sérieux ; en ce cas nous demandons si ce morceau est philosophique ? La philosophie se trompe si souvent, que nous n’osons prononcer contre M. Boulanger.

 

Nous osons encore moins demander ce que c’est que l’abîme qui se rompit et les cataractes du ciel qui s’ouvrirent. Isaac Vossius nie l’universalité du déluge (2) ; hoc est pie nugari. Calmet la soutient en assurant que les corps ne pèsent dans l’air que par la raison que l’air les comprime. Calmet n’était pas physicien, et la pesanteur de l’air n’a rien à faire avec le déluge. Contentons-nous de lire et de respecter tout ce qui est dans la Bible, sans en comprendre un mot.

 

Je ne comprends pas comment Dieu créa une race pour la noyer et pour lui substituer une race plus méchante encore.

 

Comment sept paires de toutes les espèces d’animaux non immondes vinrent des quatre quarts du globe, avec deux paires des immondes, sans que les loups mangeassent les brebis en chemin, et sans que les éperviers mangeassent les pigeons, etc., etc.

 

Comment huit personnes purent gouverner, nourrir, abreuver tant d’embarqués pendant près de deux ans : car il a fallut encore un an, après la cessation du déluge, pour alimenter tous ces passagers, vu que l’herbe était courte.

 

Je ne suis pas comme M. Le Pelletier : j’admire tout et je n’explique rien.

 

 

 

 

1 – Histoire du ciel, tome I, depuis la page 105.

 

2 – Commentaires sur la Genèse, page 197, etc.

 

 

 

 

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