HISTOIRE DE RUSSIE - SECONDE PARTIE - Chapitre XVI -Partie 1

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Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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SECONDE PARTIE.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVI.

 

 

(Partie 1)

 

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DES CONQUËTES EN PERSE.

 

 

 

 

 

         La situation de la Russie est telle, qu’elle a nécessairement des intérêts à ménager avec tous les peuples qui habitent vers le 50e degré de latitude. Quand elle fut mal gouvernée, elle fut en proie tour à tour aux Tartares, aux Suédois, aux Polonais, et sous un gouvernement ferme et vigoureux, elle fut redoutable à toutes les nations. Pierre avait commencé son règne par un traité avantageux avec la Chine. Il avait à la fois combattu les Suédois et les Turcs : il finit par conduire des armées en Perse.

 

           La Perse commençait à tomber dans cet état déplorable où elle est encore de nos jours. Qu’on se figure la guerre de Trente-Ans dans l’Allemagne, les temps de la Fronde, les temps de la Saint-Barthélemy, de Charles VI et du roi Jean en France, les guerres civiles d’Angleterre, la longue dévastation de la Russie entière par les Tartares, ou ces mêmes Tartares envahissant la Chine, on aura quelque idée des fléaux qui ont désolé la Perse.

 

           Il suffit d’un prince faible et inappliqué, et d’un sujet puissant et entreprenant, pour plonger un royaume entier dans cet abîme de désastres. Le sha, ou shac, ou sophi de Perse, Hussein, descendant du grand Sha-Abas, était alors sur le trône : il se livrait à la mollesse ; son premier ministre commit des injustices et des cruautés que la faiblesse d’Hussein toléra : voilà la source de quarante ans de carnage.

 

           La Perse, de même que la Turquie, a des provinces différemment gouvernées ; elle a des sujets immédiats, des vassaux, des princes tributaires, des peuples même à qui la cour payait un tribut sous le nom de pension ou de subside : tels étaient, par exemple, les peuples du Daguestan, qui habitent les branches du mont Caucase, à l’occident de la mer Caspienne : ils faisaient autrefois partie de l’ancienne Albanie ; car tous les peuples ont changé leurs noms et leurs limites ; ces peuples s’appellent aujourd’hui les Lesguis : ce sont des montagnards plutôt sous la protection que sous la domination de la Perse ; on leur payait des subsides pour défendre les frontières.

 

           A l’autre extrémité de l’empire, vers les Indes, était le prince de Candahar, qui commandait à la milice des Aguans. Ce prince était un vassal de la Perse, comme les hospodars de Valachie et de Moldavie sont vassaux de l’empire turc : ce vasselage n’est point héréditaire ; il ressemble parfaitement aux anciens fiefs établis dans l’Europe par les espèces de Tartares qui bouleversèrent l’empire romain. La milice des Aguans, gouvernée par le prince de Candahar, était celle de ces mêmes Albanais des côtes de la mer Caspienne, voisins du Daguestan, mêlés de Circasses et de Géorgiens, pareils aux anciens Mamelucks qui subjuguèrent l’Égypte ; on les appela les Aguans, par corruption. Timur que nous nommons Tamerlan, avait mené cette milice dans l’Inde ; et elle resta établie dans cette province de Candahar, qui tantôt appartint à l’Inde, tantôt à la Perse. C’est par ces Aguans et par ces Lesguis que la révolution commença.

 

         Myr Veitz ou Mirivitz (1), intendant de la province, préposé uniquement à la levée des tributs, assassina le prince de Candahar, souleva la milice, et fut maître du Candahar jusqu’à sa mort, arrivée en 1717. Son frère lui succéda paisiblement, en payant un léger tribut à la Porte persane : mais le fils de Mirivitz, né avec la même ambition que son père, assassina son oncle, et voulut devenir un conquérant. Ce jeune homme s’appelait Myr Mahmoud ; mais il ne fut connu en Europe que sous le nom de son père, qui avait commencé la rébellion. Mahmoud joignit à ses Aguans ce qu’il put ramasser de Guèbres, anciens Perses dispersés autrefois par le calife Omar, toujours attachés à la religion des mages, si florissante autrefois sous Cyrus et toujours ennemis secrets des nouveaux Persans. Enfin il marcha dans le cœur de la Perse à la tête de cent mille combattants.

 

         Dans le même temps, les Lesguis ou Albanais, à qui le malheur des temps n’avait pas permis qu’on payât leurs subsides, descendirent en armes de leurs montagnes, de sorte que l’incendie s’alluma des deux bouts de l’empire jusqu’à la capitale.

 

           Ces Lesguis ravagèrent tout le pays qui s’étend le long du bord occidental de la mer Caspienne jusqu’à Derbent ou la Porte de fer. Dans cette contrée, qu’ils dévastèrent, est la ville de Shamachie, à quinze lieues communes de la mer : on prétend que c’est l’ancienne demeure de Cyrus, à laquelle les Grecs donnèrent le nom de Cyropolis ; car nous ne connaissons que par les Grecs la position et les noms de ce pays : et de même que les Persans n’eurent jamais de prince qu’ils appelassent Cyrus, ils eurent encore moins de ville qui s’appelât Cyropolis. C’est ainsi que les Juifs, qui se mêlèrent d’écrire quand ils furent établis dans Alexandrie, imaginèrent une ville de Scythopolis, bâtie, disaient-ils, par les Scythes auprès de la Judée ; comme si les Scythes et les anciens Juifs avaient pu donner des noms grecs à des villes.

 

            Cette ville de Shamachie était opulente. Les Arméniens voisins de cette partie de la Perse y faisaient un commerce immense, et Pierre venait d’y établir, à ses frais, une compagnie de marchands russes qui commençait à être florissante. Les Lesguis surprirent la ville, la saccagèrent, égorgèrent tous les Russes qui trafiquaient sous la protection de Sha-Hussein, et pillèrent leurs magasins, dont on fit monter la perte à près de quatre millions de roubles.

 

          Pierre envoya demander satisfaction à l’empereur Hussein, qui disputait encore sa couronne, et au tyran Mahmoud, qui l’usurpait. Hussein ne put lui rendre justice, et Mahmoud ne le voulut pas. Pierre résolut de se faire justice lui-même, et de profiter des désordres de la Perse.

 

          Myr Mahmoud poursuivait toujours en Perse le cours de ses conquêtes. Le sophi apprenant que l’empereur de Russie se préparait à entrer dans la mer Caspienne, pour venger le meurtre de ses sujets égorgés dans Shamachie, le pria secrètement, par la voie d’un Arménien, de venir en même temps au secours de la Perse.

 

          Pierre méditait depuis longtemps le projet de dominer sur la mer Caspienne par une puissante marine, et de faire passer par ses États le commerce de la Perse et d’une partie de l’Inde. Il avait fait sonder les profondeurs de cette mer, examiner les côtes et dresser des cartes exactes. Il partit donc pour la Perse le 15 mai 1722. Son épouse l’accompagna dans ce voyage comme dans les autres. On descendit le Volga jusqu’à la ville d’Astracan. De là il courut faire rétablir les canaux qui devaient joindre la mer Caspienne, la mer Baltique, et la mer Blanche ; ouvrage qui a été achevé en partie sous le règne de son petit-fils.

 

         Pendant qu’il dirigeait ces ouvrages, son infanterie, ses munitions, étaient déjà sur la mer Caspienne. Il avait vingt-deux mille hommes d’infanterie, neuf mille dragons, quinze mille Cosaques : trois mille matelots manœuvraient, et pouvaient servir de soldats dans les descentes. La cavalerie prit le chemin de terre par des déserts, où l’eau manque souvent ; et quand on a passé ces déserts, il faut franchir les montagnes du Caucase, où trois cents hommes pourraient arrêter une armée : mais dans l’anarchie où était la Perse, on pouvait tout tenter.

 

           Le czar vogua environ cent lieues au midi d’Astracan jusqu’à la petite ville d’Andréhof. On est étonné de voir le nom d’André sur le rivage de la mer d’Hyrcanie ; mais quelques Géorgiens, autrefois espèces de chrétiens, avaient bâti cette ville, et les Persans l’avaient fortifiée ; elle fut aisément prise. De là on s’avança toujours par terre dans le Daguestan ; on répandit des manifestes en persan et en turc : il était nécessaire de ménager la Porte ottomane, qui comptait parmi ses sujets non-seulement les Circasses et les Géorgiens, voisins de ce pays, mais encore quelques grands vassaux, rangés depuis peu sous la protection de la Turquie.

 

          Entre autres il y en avait un fort puissant, nommé Mahmoud d’Utmich, qui prenait le titre de sultan, et qui osa attaquer les troupes de l’empereur russe ; il fut défait entièrement, et la relation porte qu’on fit de son pays un feu de joie.

 

          Bientôt Pierre arriva à Derbent (2) que les Persans et les Turcs appellent DEMIRCAPI, la porte de fer : elle est ainsi nommée, parce qu’en effet il y avait une porte de fer du côté du midi. C’est une ville longue et étroite, qui se joint par en haut à une branche escarpée du Caucase, et dont les murs sont baignés, à l’autre bout, par les vagues de la mer, qui s’élèvent souvent au-dessus d’eux dans les tempêtes. Ces murs pourraient passer pour une merveille de l’antiquité, hauts de quarante pieds, et larges de six, flanqués de tours carrées, à cinquante pieds l’une de l’autre ; tout cet ouvrage paraît d’une seule pièce ; il est bâti de grès et de coquillages broyés qui ont servi de mortier, et le tout forme une masse plus dure que le marbre : on peut y entrer par mer ; mais la ville, du côté de terre, paraît inexpugnable. Il reste encore les débris d’une ancienne muraille semblable à celle de la Chine, qu’on avait bâtie dans les temps de la plus haute antiquité : elle était prolongée des bords de la mer Caspienne à ceux de la mer Noire, et c’était probablement un rempart élevé par les anciens rois de Perse contre cette foule de hordes barbares qui habitaient entre ces deux mers.

 

 

 

1 – Votez l’Essai sur les mœurs, chapitre CXCIII. (G.A.)

 

2 – 14 septembre 1722.

 

 

 

 

 

 

 

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