HISTOIRE DE RUSSIE - SECONDE PARTIE - Chapitre XIII

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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SECONDE PARTIE.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XIII.

 

 

 

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DES LOIS.

 

 

 

 

 

        On sait que les bonnes lois sont rares, mais que leur exécution l’est encore davantage. Plus un État est vaste et composé de nations diverses, plus il est difficile de les réunir par une même jurisprudence. Le père du czar Pierre avait fait rédiger un code sous le titre d’Oulogénie ; il était même imprimé, mais il s’en fallait beaucoup qu’il pût suffire.

 

         Pierre avait, dans ses voyages, amassé des matériaux pour rebâtir ce grand édifice qui croulait de toutes parts ; il tira des instructions du Danemark, de la Suède, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la France, et prit de ces différentes nations ce qu’il crut qui convenait à la sienne.

 

        Il y avait une cour de boyards qui décidait en dernier ressort des affaires contentieuses : le rang et la naissance y donnaient séance, il fallait que la science la donnât : cette cour fut cassée.

 

          Il créa un procureur général, auquel il joignit quatre assesseurs dans chacun des gouvernements de l’empire ; ils furent chargés de veiller à la conduite des juges, dont les sentences ressortirent au sénat qu’il établit : chacun de ces juges fut pourvu d’un exemplaire de l’Oulogénie, avec les additions et les changements nécessaires, en attendant qu’on pût rédiger un corps complet de lois.

 

          Il défendit à tous ces juges, sous peine de mort, de recevoir ce que nous appelons des épices ; elles sont médiocres chez nous, mais il serait bon qu’il n’y en eût point. Les grands frais de notre justice sont les salaires des subalternes, la multiplicité des écritures, et surtout cet usage onéreux, dans les procédures, de composer les lignes de trois mots, et d’accabler ainsi sous un tas immense de papiers les fortunes des citoyens (1). Le czar eut soin que les frais fussent médiocres et la justice prompte. Les juges, les greffiers eurent des appointements du trésor public, et n’achetèrent point leurs charges.

 

         Ce fut principalement dans l’année 1718, pendant qu’il instruisait solennellement le procès de son fils, qu’il fit ces règlements. La plupart des lois qu’il porta furent tirées de celles de la Suède, et il ne fit point de difficulté d’admettre dans les tribunaux les prisonniers suédois instruits de la jurisprudence de leur pays, et, qui, ayant appris la langue de l’empire, voulurent rester en Russie.

 

          Les causes des particuliers ressortirent au gouverneur de la province et à ses assesseurs ; ensuite on pouvait en appeler au sénat ; et si quelqu’un, après avoir été condamné par le sénat, en appelait au czar même, il était déclaré digne de mort, en cas que son appel fût injuste ; mais, pour tempérer la rigueur de cette loi, il créa un maître général des requêtes, qui recevait les placets de tous ceux qui avaient au sénat, ou dans les cours inférieures, des affaires sur lesquelles la loi ne s’était pas encore expliquée.

 

          Enfin il acheva, en 1722, son nouveau code, et il défendit, sous peine de mort, à tous les juges de s’en écarter, et de substituer leur opinion particulière à la loi générale. Cette ordonnance terrible fut affichée, et l’est encore dans tous les tribunaux de l’empire.

 

          Il créait tout. Il n’y avait pas jusqu’à la société qui ne fût son ouvrage. Il régla les rangs entre les hommes, suivant leurs emplois, depuis l’amiral et le maréchal jusqu’à l’enseigne, sans aucun égard pour la naissance, ayant toujours dans l’esprit, et voulant apprendre à sa nation, que des services étaient préférables à des aïeux. Les rangs furent aussi fixés pour les femmes, et quiconque, dans une assemblée, prenait une place qui ne lui était pas assignée, payait une amende.

 

       Par un règlement plus utile, tout soldat qui devenait officier devenait gentilhomme, et tout boyard flétri par la justice devenait roturier.

 

          Après la rédaction de ces lois et de ces règlements, il arriva que l’augmentation du commerce, l’accroissement des villes et des richesses, la population de l’empire, les nouvelles entreprises, la création de nouveaux emplois, amenèrent nécessairement une multitude d’affaires nouvelles et de cas imprévus, qui tous étaient la suite des succès mêmes de Pierre dans la réforme générale de ses Etats.

 

          L’impératrice Elisabeth acheva le corps de lois que son père avait commencé, et ces lois se sont ressenties de la douceur de son règne.

 

 

 

 

 

1 – On voit que Voltaire, en écrivant sur la Russie, ne perd pas la France de vue. (G.A.)

 

 

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