ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLEMAGNE - Partie 3 - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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CHARLEMAGNE,

 

PREMIER EMPEREUR.

 

 

 

(Partie 3)

 

 

 

 

786 – Vitikind cède enfin. Il vient avec un duc de Frise se soumettre à Charlemagne dans Attigni sur l’Aisne. Alors le royaume de France s’étend jusqu’au Holstein. Le roi de France repasse en Italie, et rebâtit Florence. C’est une chose singulière que dès qu’il est à un bout de ses royaumes, il y a toujours des révoltes à l’autre bout ; c’est une preuve que le roi n’avait pas, sur toutes les frontières, de puissants corps d’armée. Les anciens Saxons se joignent aux Bavarois : le roi repasse les Alpes.

 

787 – L’impératrice Irène, qui gouvernait encore l’empire grec, alors le seul empire, avait formé une puissante ligue contre le roi des Francs. Elle était composée de ces mêmes Saxons et de ces Bavarois, des Huns, si fameux autrefois sous Attila, et qui occupaient, comme aujourd’hui, les bords du Danube et de la Drave ; une partie même de l’Italie y était entrée. Charles vainquit les Huns vers le Danube, et tout fut dissipé.

 

Depuis 788 jusqu’à 792. Pendant ces quatre années paisibles, il institue des écoles chez les évêques et dans les monastères. Le chant romain s’établit dans les églises de France. Il fait dans la diète d’Aix-la-Chapelle des lois qu’on nomme Capitulaires. Ces lois tenaient beaucoup de la barbarie dont on voulait sortir, et dans laquelle on fut longtemps plongé (1). La plus barbare de toutes fut cette loi de Vestphalie, cet établissement de la cour vémique, dont il est bien étrange qu’il ne soit pas dit un seul mot dans l’Esprit des lois ni dans l’Abrégé chronologique du président Hénault. L’inquisition, le conseil des dix, n’égalèrent pas la cruauté de ce tribunal secret établi par Charlemagne en 803 : il fut d’abord institué principalement pour retenir les Saxons dans le christianisme et dans l’obéissance ; bientôt après cette inquisition militaire s’étendit dans toute l’Allemagne. Les juges étaient nommés secrètement par l’empereur ; ensuite ils choisirent eux-mêmes leurs associés sous le serment d’un secret inviolable : on ne les connaissait point ; des espions, liés aussi par le serment, faisaient les informations. Les juges prononçaient sans jamais confronter l’accusé et les témoins, souvent sans les interroger ; le plus jeune des juges faisait l’office de bourreau. Qui croirait que ce tribunal d’assassins ait duré jusqu’à la fin du règne de Frédéric III ! cependant rien n’est plus vrai ; et nous regardons Tibère comme un méchant homme ! et nous prodiguons des éloges à Charlemagne !

 

         Si l’on veut savoir les coutumes du temps de Charlemagne dans le civil, le militaire, et l’ecclésiastique, on les trouve dans l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations.

 

793 – Charles, devenu voisin des Huns, devient par conséquent leur ennemi naturel. Il lève des troupes contre eux, et ceint l’épée à son fils Louis, qui n’avait que quatorze ans. Il le fait ce qu’on appelait alors miles, c’est-à-dire il lui fait apprendre la guerre ; mais ce n’est pas le créer chevalier, comme quelques auteurs l’ont cru. La chevalerie ne s’établit que longtemps après. Il défait encore les Huns sur le Danube et sur le Raab.

 

         Charles assemble des évêques pour juger la doctrine d’Elipand, que les historiens disent archevêque de Tolède : il n’y avait point d’archevêque encore : ce titre n’est que du dixième siècle. Mais il faut savoir que les musulmans vainqueurs laissèrent leur religion aux vaincus, qu’ils ne croyaient pas les chrétiens dignes d’être musulmans, et qu’ils se contentaient de leur imposer un léger tribut.

 

         Cet évêque Elipand imaginait, avec un Félix d’Urgel, que Jésus-Christ, en tant qu’homme, était fils adoptif de Dieu, et en tant que Dieu, fils naturel : il est difficile de savoir par soi-même ce qui en est. Il faut s’en rapporter aux juges, et les juges le condamnèrent.

 

         Pendant que Charles remporte des victoires, fait des lois, assemble des évêques, on conspire contre lui. Il avait un fils d’une de ses femmes ou concubines, qu’on nommait Pépin-le-Bossu, pour le distinguer de son autre fils Pépin, roi d’Italie. Les enfants qu’on nomme aujourd’hui bâtards, et qui n’héritent point, pouvaient hériter alors, et n’étaient point réputés bâtards. Le Bossu, qui était l’aîné de tous, n’avait point d’apage ; et voilà l’origine de la conspiration. Il est arrêté à Ratisbonne avec ses complices, jugé par un parlement, tondu, et mis dans le monastère de Prum, dans les Ardennes. On crève les yeux à quelques-uns de ses adhérents, et on coupe la tête à d’autres.

 

794 – Les Saxons se révoltent encore, et sont encore facilement battus. Vitikind n’était plus à leur tête.

 

         Célèbre Concile de Francfort. On y condamne le second concile de Nicée, dans lequel l’impératrice Irène venait de rétablir le culte des images.

 

         Charlemagne fait écrire les livres carolins contre ce culte des images. Rome ne pensait pas comme le royaume des Francs, et cette différence d’opinion ne brouilla point Charlemagne avec le pape, qui avait besoin de lui. Observez que les livres carolins et le concile de Francfort traitent les Pères du concile de Nicée d’impies, d’insolents, et d’impertinents : les Gaulois, les Francs, les Germains, encore barbares, n’ayant ni peintres ni sculpteurs, ne pouvaient aimer le culte des images.

 

         Observez encore que la religion de presque tous les chrétiens occidentaux différait beaucoup de celle des orientaux.

 

         Claude, évêque de Turin, conserva surtout dans les montagnes et dans les vallées de son diocèse la croyance et les rites de son Église : c’est l’origine des réformes prêchées et soutenues presque de siècle en siècle par ceux qu’on appela vaudois, albigeois, lollards, luthériens, calvinistes, dans la suite des temps.

 

795 – Le duc de Frioul, vassal de Charles, est envoyé contre les Huns, et s’empare de leurs trésors, supposé qu’ils en eussent. Mort du pape Adrien, le 25 décembre. On prétend que Charlemagne lui fit une épitaphe en vers latins. Il n’est guère croyable que ce roi franc, qui ne savait pas écrire couramment, sût faire des vers latins.

 

796 – Léon II succède à Adrien, Charles lui écrit : « Nous nous réjouissons de votre élection, et de ce qu’on nous rend l’obéissance et la fidélité qui nous est due. » Il parlait ainsi en patrice de Rome, comme son père avait parlé aux Francs en maire du palais.

 

797 – 798 – Pépin, roi d’Italie, est envoyé par son père contre les Huns, preuve qu’on n’avait remporté que de faibles victoires. Il en remporte une nouvelle. La célèbre impératrice Irène est mise dans un cloître par son fils Constantin V. Elle remonte sur le trône, fait crever les yeux à son fils, il en meurt ; elle pleure sa mort. C’est cette Irène, l’ennemie naturelle de Charlemagne, et qui avait voulu s’allier avec lui.

 

799 – Dans ce temps-là, les Normands, c’est-à-dire les hommes du Nord, les habitants des côtes de la mer Baltique, étaient des pirates. Charles équipe une flotte contre eux, et en purge les mers.

 

         Le nouveau pape Léon III irrite contre lui les Romains. Ses chanoines veulent lui crever les yeux, et lui couper la langue. On le met en sang, mais il guérit. Il vient à Paderborn demander justice à Charles, qui le renvoie à Rome avec une escorte. Charles le suit bientôt. Il envoie son fils Pépin se saisir du duché de Bénévent, qui relevait encore de l’empereur de Constantinople.

 

800 – Il arrive à Rome. Il déclare le pape innocent des crimes qu’on lui imputait, et le pape le déclare empereur aux acclamations de tout le peuple. Charlemagne affecta de cacher sa joie sous la modestie, et de paraître étonné de sa gloire. Il agit en souverain de Rome, et renouvelle l’empire des césars. Mais, pour rendre cet empire durable, il fallait rester à Rome. On demande quelle autorité il y fit exercer en son nom : celle d’un juge suprême qui laissait à l’Église tous ses privilèges, et au peuple tous ses droits. Les historiens ne nous marquent pas s’il entretenait un préfet, un gouverneur à Rome, s’il y avait des troupes, s’il donnait les emplois : ce silence pourrait presque faire soupçonner qu’il fut plutôt le protecteur que le souverain effectif de la ville dans laquelle il ne revint jamais.

 

801 – Les historiens disent que dès qu’il fut empereur, Irène voulut l’épouser. Le mariage eût été entre les deux empires plutôt qu’entre Charlemagne et la vieille Irène.

 

802 – Charlemagne exerce toute l’autorité des anciens empereurs partout ailleurs que dans Rome même. Nul pays, depuis Bénévent jusqu’à Bayonne, et de Bayonne jusqu’en Bavière, exempt de sa puissance législative. Le duc de Venise, Jean, ayant assassiné un évêque, est accusé devant Charles, et ne le récuse pas pour juge.

 

         Nicéphore, successeur d’Irène, reconnaît Charles pour empereur, sans convenir expressément des limites des deux empires.

 

803 – 804 – L’empereur s’applique à policer ses Etats autant qu’on le pouvait alors. Il dissipe encore des factions de Saxons, et transporte enfin une partie de ce peuple dans la Flandre, dans la Provence, en Italie, à Rome même.

 

805 – Il dicte son testament, qui commence ainsi : Charles, empereur, césar, roi très invincible des Francs, etc. Il donne à Louis tout le pays depuis l’Espagne jusqu’au Rhin. Il laisse à Pépin l’Italie et la Bavière ; à Charles la France, depuis la Loire jusqu’à Ingolstadt, et toute l’Austrasie, depuis l’Escaut jusqu’aux confins du Brandebourg. Il y avait dans ces trois lots de quoi exciter des divisions éternelles. Charlemagne crut y pourvoir en ordonnant que s’il arrivait un différend sur les limites des royaumes, qui ne pût être décidé par témoins, le jugement de la croix en déciderait. Ce jugement de la croix consistait à faire tenir aux avocats les bras étendus, et le plus tôt las perdait sa cause. Le bon sens naturel d’un si grand conquérant ne pouvait prévaloir sur les coutumes de son siècle.

 

         Charlemagne retient toujours l’empire et la souveraineté, et il était le roi des rois ses enfants. C’est à Thionville que ce fit ce fameux testament avec l’approbation d’un parlement. Ce parlement était composé d’évêques, d’abbés, d’officiers du palais et de l’armée, qui n’étaient là que pour attester ce que voulait un maître absolu. Les diètes n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui ; et cette vaste république de princes, de seigneurs, et de villes libres sous un chef, n’était pas établie.

 

806 – Le fameux Aaron, calife de Bagdad, nouvelle Babylone, envoie des ambassadeurs et des présents à Charlemagne. Les nations donnèrent à cet Aaron un titre supérieur à celui de Charlemagne. L’empereur d’Occident était surnommé le Grand, mais le calife était surnommé le Juste.

 

         Il n’est pas étonnant qu’Aaron-al-Raschild envoyât des ambassadeurs à l’empereur français ; ils étaient tous deux ennemis de l’empereur d’Orient : mais ce qui serait étonnant, c’est qu’un calife eût, comme disent nos historiens, proposé de céder Jérusalem à Charlemagne. C’eût été, dans le calife, une profanation de céder à des chrétiens une ville remplie de mosquées, et cette profanation lui aurait coûté le trône et la vie. De plus, l’enthousiasme n’appelait point alors les chrétiens d’Occident à Jérusalem.

 

         Charles convoque un concile à Aix-la-Chapelle. Ce concile ajoute au symbole que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Cette addition n’était point reçue à Rome ; elle le fut bientôt après : ainsi plusieurs dogmes se sont établis peu à peu. C’est ainsi qu’on avait donné deux natures et une personne à Jésus ; ainsi on avait donné à Marie le titre de Theotocos (2) ; ainsi le terme de transsubstantiation ne s’établit que vers le douzième siècle.

 

         Dans ce temps, les peuples appelés Normands, Danois, et Scandinaves, fortifiés d’anciens Saxons retirés chez eux, osaient menacer les côtes du nouvel empire : Charles traverse l’Elbe, et Godefroi, le chef de tous ces Barbares, pour se mettre à couvert, tire un large fossé entre l’Océan et la mer Baltique, aux confins du Holstein, l’ancienne Chersonèse Cimbrique. Il revêtit ce fossé d’une forte palissade. C’est ainsi que les Romains avaient tiré un retranchement entre l’Angleterre et l’Ecosse, faibles imitations de la fameuse muraille de la Chine.

 

807 – 808 – 809 – Traités avec les Danois. Lois pour les Saxons. Police dans l’empire. Petites flottes établies à l’embouchure des fleuves.

 

810 – Pépin, ce fils de Charlemagne, à qui son père avait donné le royaume d’Italie, meurt de maladie au mois de juillet : il laisse un bâtard, nommé Bernard. L’empereur donne sans difficulté l’Italie à ce bâtard, comme à l’héritier naturel, selon l’usage de ce temps-là.

 

811 – Flotte établie à Boulogne sur la Manche. Phare de Boulogne relevé. Vurtzbourg bâti. Mort du prince Charles, destiné à l’empire.

 

812 – L’empereur associe à l’empire son fils Louis, au mois de mars, à Aix-la-Chapelle. Il fait donner à tous les assistants leurs voix pour cette association. Il donne la ville d’Ulm à des moines qui traitent les habitants en esclaves. Il donne des terres à Eginhard, qu’on a dit l’amant de sa fille Emma. Les légendes sont pleines de fables dignes de l’archevêque Turpin (3) sur cet Eginhard et cette prétendue fille de l’empereur ; mais, par malheur, jamais Charlemagne n’eut de fille qui s’appelât Emma.

 

813 – Il meurt d’une pleurésie après sept jours de fièvre, le 28 janvier à trois heures du matin. Il n’avait point de médecin auprès de lui qui sût ce que c’était qu’une pleurésie. La médecine, ainsi que la plupart des arts, n’était connue alors que des Arabes et des Grecs de Constantinople. Cette année 814 est en effet l’année 813, car alors elle commençait à Pâques.

 

         Ce monarque, par lequel commença le nouvel empire, est revendiqué par les Allemands, parce qu’il naquit près d’Aix-la-Chapelle. Golstad cite une constitution de Frédéric Barberousse dans laquelle est rapporté un édit de Charlemagne  en faveur de cette ville : voici un passage de cet édit : « Vous saurez que, passant un jour auprès de cette cité, je trouvai les thermes et le palais que Granus, frère de Néron et d’Agrippa, avait autrefois bâtis. » Il faut croire que si Charlemagne ne savait pas bien signer son nom, son chancelier était bien savant.

 

         Ce monarque, au fond, était, comme tous les autres conquérants, un usurpateur : son père n’avait été qu’un rebelle, et tous les historiens appellent rebelles ceux qui ne veulent pas plier sous le nouveau joug. Il usurpa la moitié de la France sur son frère Carloman, qui mourut trop subitement pour ne pas laisser des soupçons d’une mort violente , il usurpa le royaume de Lombardie sur son beau-père. On connaît ses bâtards, sa bigamie, ses divorces, ses concubines ; on sait qu’il fit assassiner des milliers de Saxons ; et on en a fait un saint.

 

 

 

1 – Venait ici, dans la première édition, un long morceau sur les usages, les mœurs, les lois, l’esprit qui régnaient alors. Ce morceau, considérablement augmenté, forme aujourd’hui les chapitres XVII à XXII de l’Essai. (G.A.)

 

2 – Mère de Dieu. (G.A.)

 

3 – Auquel est attribuée la fameuse chronique : De vita Caroli magni et Rolandi, dont le texte latin est de la fin du onzième siècle. (G.A.)

 

 

 

 

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