ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLEMAGNE - Partie 2
CHARLEMAGNE,
PREMIER EMPEREUR.
(Partie 2)
758 – 759 – 760 – Didier, successeur du roi Astolphe, reprend les villes données par Pépin à saint Pierre ; mais Pépin était si redoutable que Didier les rendit, à ce qu’on prétend, sur ses seules menaces. Le vasselage héréditaire commençait si bien à s’introduire que les rois de France prétendaient être seigneurs suzerains du duché d’Aquitaine. Pépin force, les armes à la main, Gaïfre, duc d’Aquitaine, à lui prêter serment de fidélité en présence du duc de Bavière ; de sorte qu’il eut deux grands souverains à ses genoux. On sent bien que ces hommes n’étaient que ceux de la faiblesse à la force.
762 – 763 – Le duc de Bavière, qui se croit assez puissant et qui voit Pépin loin de lui, révoque son hommage. On est près de lui faire la guerre, et il renouvelle son serment de fidélité.
766 – 767 – Erection de l’évêché de Saltzbourg. Le pape Paul Ier envoie au roi des livres, des chantres et une horloge à roues. Constantin Copronyme lui envoie aussi un orgue et quelques musiciens. Ce ne serait pas un fait digne de l’histoire s’il ne faisait voir combien les arts étaient étrangers dans cette partie du monde. Les Francs ne connaissaient alors que la guerre, la chasse et la table.
768 – Les années précédentes sont stériles en événements, et par conséquent heureuses pour les peuples ; car presque tous les grands traits de l’histoire sont des malheurs publics. Le duc d’Aquitaine révoque son hommage, à l’exemple du duc de Bavière. Pépin vole à lui, et réunit l’Aquitaine à la couronne.
Pépin, surnommé le Bref, meurt à Saintes (1), le 24 septembre, âgé de cinquante-quatre ans. Avant sa mort, il fait son testament de bouche, et non par écrit, en présence des grands officiers de sa maison, de ses généraux et des possesseurs à vie des grandes terres. Il partage tous ses États entre ses deux enfants, Charles et Carloman. Après la mort de Pépin, les seigneurs modifient ses volontés. On donne à Carl, que nous avons depuis appelé Charlemagne, la Bourgogne, l’Aquitaine, la Provence, avec la Neustrie, qui s’étendait alors depuis la Meuse jusqu’à la Loire et à l’Océan. Carloman eut l’Austrasie depuis Reims jusqu’aux derniers confins de la Thuringe. Il est évident que le royaume de France comprenait alors près de la moitié de la Germanie.
770 – Didier, roi des Lombards, offre en mariage sa fille Désidérate à Charles ; il était déjà marié .Il épouse Désidérate ; ainsi il paraît qu’il eut deux femmes à la fois. La chose n’était pas rare : Grégoire de Tours dit que les rois Gontran, Caribert, Sigebert, Chilpéric, avaient plusieurs femmes.
771 – Son frère Carloman meurt soudainement à l’âge de vingt-ans. Sa veuve s’enfuit en Italie avec deux princes, ses enfants. Cette mort et cette fuite ne prouvent pas absolument que Charlemagne ait voulu régner seul, et ait eu de mauvais desseins contre ses neveux ; mais elles ne prouvent pas aussi qu’il méritât qu’on célébrât sa fête, comme on a fait en Allemagne.
772 – Charles se fait couronner roi d’Austrasie, et réunit tout le vaste royaume des Francs sans rien laisser à ses neveux. La postérité éblouie par l’éclat de sa gloire, semble avoir oublié cette injustice. Il répudie sa femme, fille de Didier, pour se venger de l’asile que le roi lombard donnait à la veuve de Carloman, son frère.
Il va attaquer les Saxons, et trouve à leur tête un homme digne de le combattre ; c’était Vitiking, le plus grand défenseur de la liberté germanique après Hermann, que nous nommons Arminius.
Le roi de France l’attaque dans le pays qu’on nomme aujourd’hui le comté de la Lippe. Ces peuples étaient très mal armés ; car dans les Capitulaires de Charlemagne on voit une défense rigoureuse de vendre des cuirasses et des casques aux Saxons. Les armes et la discipline des Francs devaient donc être victorieuses d’un courage féroce. Charles taille l’armée de Vitiking en pièces ; il prend la capitale nommée Erresbourgh. Cette capitale était un assemblage de cabanes entourées d’un fossé. On égorgea les habitants ; mais, comme on força le peu qui restait à recevoir le baptême, ce fut un grand gain pour ce malheureux pays de sauvages, à ce que les prêtres de ce temps ont assuré.
773 – Tandis que le roi des Francs contient les Saxons sur le bord du Véser, l’Italie le rappelle. Les querelles des Lombards et du pape subsistaient toujours ; et le roi, en secourant l’Église, pouvait envahir l’Italie, qui valait mieux que le pays de Brême, d’Hanovre et de Brunsvick. Il marche donc contre son beau-père Didier, qui était devant Rome. Il ne s’agissait pas de venger Rome, mais il s’agissait d’empêcher Didier de s’accommoder avec le pape pour rendre aux deux fils de Carloman le royaume qui leur appartenait. Il court attaquer son beau-père, et se sert de la piété pour appuyer son usurpation. Il est suivi de soixante et dix mille hommes de troupes réglées, chose inouïe dans ces temps-là. On assemblait auparavant des armées de cent et de deux cent mille hommes, mais c’étaient des paysans qui allaient faire leurs moissons après une bataille perdue ou gagnée. Charlemagne les retenait plus longtemps sous le drapeau, et c’est ce qui contribua à ses victoires.
774 – L’armée française assiège Pavie. Le roi va à Rome, renouvelle à ce qu’on dit, la donation de Pépin, et l’augmente : il en met lui-même une copie sur le tombeau qu’on prétend renfermer les cendres de saint Pierre. Le pape Adrien le remercie par des vers qu’il fait pour lui.
La tradition de Rome est que Charles donna la Corse, la Sardaigne, et la Sicile. Il ne donna sans doute aucun de ces pays qu’il ne possédait pas ; mais il existe une lettre d’Adrien à l’impératrice Irène, qui prouve que Charles donna des terres que cette lettre ne spécifie pas. « Charles, duc des Francs et patrice, nous a, dit-il, donné des provinces et restitué les villes que les perfides Lombards retenaient à l’Église, etc. »
On sent qu’Adrien ménage encore l’empire en ne donnant que le titre de duc et de patrice à Charles, et qu’il veut fortifier sa possession du nom de restitution.
Le roi retourne devant Pavie. Didier se rend à lui. Le roi le fait moine, et l’envoie en France dans l’abbaye de Corbie. Ainsi finit ce royaume des Lombards qui avaient, en Italie, détruit la puissance romaine, et substitué leurs lois à celles des empereurs. Tout roi détrôné devient moine dans ce temps-là, ou est assassiné.
Charlemagne se fait couronner roi d’Italie, à Pavie, d’une couronne où il y avait un cercle de fer, qu’on garde encore dans la petite ville de Monza.
La justice était administrée toujours dans Rome au nom de l’empereur grec. Les papes mêmes recevaient de lui la confirmation de leur élection. On avait ôté à l’empereur le vrai pouvoir ; on lui laissait quelques apparences. Charlemagne prenait seulement, ainsi que Pépin, le titre de patrice.
Cependant on frappait alors de la monnaie à Rome au nom d’Adrien. Que peut-on en conclure sinon que le pape, délivré des Lombards, et n’obéissant plus aux empereurs, était le maître dans Rome ? Il est indubitable que les pontifes romains se saisirent des droits régaliens dès qu’ils le purent, comme ont fait les évêques francs et germains ; toute autorité veut toujours croître : et par cette raison-là même on ne mit plus que le nom de Charlemagne sur les nouvelles monnaies de Rome, lorsqu’en 800 le pape et le peuple romain l’eurent nommé empereur. Quelques critiques prétendent que les monnaies frappées au nom d’Adrien Ier n’étaient que des médailles en l’honneur de cet évêque : cette remarque est d’une très grande vraisemblance, puisque Adrien n’était pas certainement souverain de Rome.
775 – Second effort des Saxons contre Charlemagne, pour leur liberté, qu’on appelle révolte. Ils sont encore vaincus dans la Vestphalie ; et après beaucoup de sang répandu, ils donnent des bœufs et des otages, n’ayant autre chose à donner.
776 – Tentative du fils de Didier, nommé Adalgise, pour recouvrer le royaume de Lombardie. Le pape Adrien la qualifie horrible conspiration. Charles court la punir. Il revole d’Allemagne en Italie, fait couper la tête à un duc de Frioul assez courageux pour s’opposer aux invasions du conquérant, et trop faible pour ne pas succomber.
Pendant ce temps-là même les Saxons reviennent encore en Vestphalie ; il revient les battre. Ils se soumettent, et promettent encore de se faire chrétiens. Charles bâtit des forts dans leur pays avant d’y bâtir des églises.
777 – Il donne des lois aux Saxons, et leur fait jurer qu’ils seront esclaves s’ils cessent d’être chrétiens, et soumis. Dans une grande diète tenue à Paderborn sous des tentes, un émir musulman, qui commandait à Saragosse, vint conjurer Charles d’appuyer sa rébellion contre Abdérame, roi d’Espagne.
778 – Charles marche de Paderborn en Espagne, prend le parti de cet émir, assiège Pampelune, et s’en rend maître. Il est à remarquer que les dépouilles des Sarrasins furent partagées entre le roi, les officiers, et les soldats, selon l’ancienne coutume de ne faire la guerre que pour du butin, et de le partager également entre tous ceux qui avaient une égale part au danger. Mais tout ce butin est perdu en repassant les Pyrénées. L’arrière-garde de Charlemagne est taillée en pièces à Roncevaux par les Arabes et par les Gascons. C’est là que périt, dit-on, Roland son neveu, si célèbre par son courage et par sa force incroyable.
Comme les Saxons avaient repris les armes pendant que Charles était en Italie, ils les reprennent tandis qu’il est en Espagne. Vitikind, retiré chez le duc de Danemark son beau-père, revient ranimer ses compatriotes. Il les rassemble ; il trouve dans Brême, capitale du pays qui porte ce nom, un évêque, une église, et ses Saxons désespérés qu’on traîne à des autels nouveaux : il chasse l’évêque, qui a le temps de fuir et de s’embarquer. Charlemagne accourt, et bat encore Vitikind.
780 – Vainqueur de tous côtés, il part pour Rome avec une de ses femmes, nommée Hildegarde, et deux enfants puînés, Pépin et Louis. Le pape Adrien baptise ces deux enfants, sacre Pépin roi de Lombardie, et Louis roi d’Aquitaine ; ainsi l’Aquitaine fut érigée en royaume pour quelque temps.
781 – 782 – Le roi de France tient sa cour à Vorms, à Ratisbonne, à Cuierci (2). Alcuin, archevêque d’York, vient l’y trouver. Le roi, qui à peine savait signer son nom, voulait faire fleurir les sciences, parce qu’il voulait être grand en tout. Pierre de Pise lui enseignait un peu de grammaire. Il n’était pas étonnant que des Italiens instruisissent des Gaulois et des Germains, mais il l’était qu’on eût toujours besoin des Anglais pour apprendre ce qui n’est pas même honoré aujourd’hui du nom de science.
On tient devant le roi des conférences qui peuvent être l’origine des académies, et surtout de celles d’Italie, dans lesquelles chaque académicien prend un nouveau nom. Charlemagne se nommait David, Alcuin, Albinus ; et un jeune homme nommé Ilgebert, qui faisait des vers en langue romance, prenait hardiment le nom d’Homère.
783 – Cependant Vitikind, qui n’apprenait point la grammaire, soulève encore les Saxons. Il bat les généraux de Charles sur le bord du Véser. Charles vient réparer cette défaite. Il est encore vainqueur des Saxons ; ils mettent bas les armes devant lui. Il leur ordonne de livrer Vitikind. Les Saxons lui répondent qu’il s’est sauvé en Danemark. Ses complices sont encore ici, répondit Charlemagne : et il en fit massacrer quatre mille cinq cents à ses yeux. C’est ainsi qu’il disposait la Saxe au christianisme. Cette action ressemble à celle de Sylla ; les Romains n’ont pas du moins été assez lâches pour louer Sylla. Les Barbares qui ont écrit les faits et gestes de Charlemagne ont eu la bassesse de le louer, et même d’en faire un homme juste : ils ont servi de modèles à presque tous les compilateurs de l’Histoire de France (3).
784 – Ce massacre fit le même effet que fit longtemps après la Saint-Barthélemy en France. Tous les Saxons reprennent les armes avec une fureur désespérée. Les Danois et les peuples voisins se joignent à eux.
785 – Charles marche avec son fils, du même nom que lui, contre cette multitude. Il remporte une victoire nouvelle, et donne encore des lois inutiles. Il établit des marquis, c’est-à-dire des commandants des milices sur les frontières de ses royaumes.
1 – Ou plutôt, tombe malade à Saintes et meurt à Saint-Denis. (G.A.)
2 – Quierzi, près des rives de l’Oise. (G.A.)
3 – Les deux derniers alinéas sont de 1772. (G.A.)