HISTOIRE DE RUSSIE - SECONDE PARTIE - Chapitre Premier - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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SECONDE PARTIE.

 

 

(Partie 1)

 

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

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CAMPAGNE DU PRUTH.

 

 

 

 

        Le sultan Achmet III déclara la guerre à Pierre 1er ; mais ce n’était pas pour le roi de Suède ; c’était, comme on le croit bien, pour ses seuls intérêts. Le kan des Tartares de Crimée voyait avec crainte un voisin devenu si puissant. La Porte avait pris ombrage de ses vaisseaux sur les Palus-Méotides et sur la mer Noire, de la ville d’Azof fortifiée, du port de Taganrock, déjà célèbre, enfin de tant de grands succès, et de l’ambition, que les succès augmentent toujours.

 

        Il n’est ni vraisemblable ni vrai que la Porte ottomane ait fait la guerre au czar vers les Palus-Méotides, parce qu’un vaisseau suédois avait pris sur la mer Baltique une barque dans laquelle on avait trouvé une lettre d’un ministre qu’on n’a jamais nommé. Norberg a écrit que cette lettre contenait un plan de la conquête de l’empire turc, que la lettre fut portée à Charles XII, en Turquie, que Charles l’envoya au divan, et que, sur cette lettre, la guerre fut déclarée. Cette fable porte assez avec elle son caractère de fable. Le kan des Tartares, plus inquiet encore que le divan de Constantinople du voisinage d’Azof, fut celui qui, par ses instances, obtint qu’on entrerait en campagne (2).

 

        La Livonie n’était point encore toute entière au pouvoir du czar, quand Achmet III prit, dès le mois d’auguste, la résolution de se déclarer. Il pouvait à peine savoir la reddition de Riga. La proposition de rendre en argent les effets perdus par le roi de Suède à Pultava serait de toutes les idées la plus ridicule, si celle de démolir Pétersbourg ne l’était davantage. Il y eut beaucoup de romanesque dans la conduite de Charles à Bender ; mais celle du divan eût été plus romanesque encore s’il eût fait de telles demandes.

 

       Le kan des Tartares, qui fut le grand moteur de cette guerre (3), alla voir Charles dans sa retraite (4). Ils étaient unis par les mêmes intérêts, puisque Azof est frontière de la petite Tartarie. Charles et le kan de Crimée étaient ceux qui avaient le plus perdu par l’agrandissement du czar ; mais ce kan ne commandait point les armées du grand-seigneur : il était comme les princes feudataires d’Allemagne, qui ont servi l’empire avec leurs propres troupes, subordonnées au général de l’empereur allemand.

 

        La première démarche du divan fut de faire arrêter (5) dans les rues de Constantinople l’ambassadeur du czar, Tolstoy, et trente de ses domestiques, et de l’enfermer au château des Sept-Tours. Cet usage barbare, dont les sauvages auraient honte, vient de ce que les Turcs ont toujours des ministres étrangers résidant continuellement chez eux, et qu’ils n’envoient jamais d’ambassadeurs ordinaires. Ils regardent les ambassadeurs des princes chrétiens comme des consuls de marchands ; et n’ayant pas d’ailleurs moins de mépris pour les chrétiens que pour les juifs, ils ne daignent observer avec eux le droit des gens que quand ils y sont forcés ; du moins, jusqu’à présent, ils ont persisté dans cet orgueil féroce.

 

       Le célèbre vizir Achmet Couprougli, qui prit Candie sous Mahomet IV, avait traité le fils d’un ambassadeur de France avec outrage, et ayant poussé la brutalité jusqu’à le frapper, l’avait envoyé en prison, sans que Louis XIV, tout fier qu’il était, s’en fût autrement ressenti qu’en envoyant un autre ministre à la Porte. Les princes chrétiens, très délicats entre eux sur le point d’honneur, et qui l’ont même fait entrer dans le droit public, semblaient l’avoir oublié avec les Turcs.

 

        Jamais souverain ne fut plus offensé dans la personne de ses ministres que le czar de Russie. Il vit, dans l’espace de peu d’années, son ambassadeur à Londres mis en prison pour dettes ; son plénipotentiaire en Pologne et en Saxe roué vif sur un ordre du roi de Suède ; son ministre à la Porte ottomane saisi et mis en prison dans Constantinople comme un malfaiteur.

 

         La reine d’Angleterre lui fit, comme nous avons vu (6), satisfaction pour l’outrage de Londres. L’horrible affront reçu dans la personne de Patkul fut lavé dans le sang des Suédois à la bataille de Pultava ; mais la fortune laissa impunie la violation du droit des gens par les Turcs.

 

         Le czar fut obligé de quitter le théâtre de la guerre en Occident (7) pour aller combattre sur les frontières de la Turquie. D’abord il fait avancer vers la Moldavie (8) dix régiments qui étaient en Pologne ; il ordonne au maréchal Sheremetof de partir de la Livonie avec son corps d’armée, et, laissant le prince Menzikoff à la tête des affaires à Pétersbourg, il va donner dans Moscou tous les ordres pour la campagne qui doit s’ouvrir.

 

        Un sénat de régence est établi (9) ; ses régiments des gardes se mettent en marche ; il ordonne à la jeune noblesse de venir apprendre sous lui le métier de la guerre, place les uns en qualité de cadets, les autres d’officiers subalternes. L’amiral Apraxin va dans Azof commander sur terre et sur mer. Toutes ces mesures étant prises, il ordonne dans Moscou qu’on reconnaisse une nouvelle czarine ; c’était cette même personne faite prisonnière de guerre dans Marienbourg en 1702. Pierre avait répudié, l’an 1696, Eudoxia Lapoukin (10), son épouse, dont il avait deux enfants. Les lois de son Eglise permettent le divorce, et si elles l’avaient défendu, il eût fait une loi pour le permettre.

 

         La jeune prisonnière de Marienbourg, à qui on avait donné le nom de Catherine, était au-dessus de son sexe et de son malheur. Elle se rendit si agréable par son caractère, que le czar voulut l’avoir auprès de lui ; elle l’accompagna dans ses courses et dans ses travaux pénibles, partageant ses fatigues, adoucissant ses peines par la gaieté de son esprit et par sa complaisance, ne connaissant point cet appareil de luxe et de mollesse dont les femmes se sont fait ailleurs des besoins réels. Ce qui rendit  sa faveur plus singulière, c’est qu’elle ne fut ni enviée ni traversée, et que personne n’en fut la victime. Elle calma souvent la colère du czar, et le rendit plus grand encore en le rendant plus clément. Enfin elle lui devint si nécessaire qu’il l’épousa secrètement en 1707. Il en avait déjà deux filles, et il en eut l’année suivante une princesse qui épousa depuis le duc de Holstein. Le mariage secret de Pierre et de Catherine fut déclaré le jour même (11) que le czar (12) partit avec elle pour aller éprouver sa fortune contre l’empire ottoman. Toutes les dispositions promettaient un heureux succès. L’hetman des Cosaques devait contenir les Tartares, qui déjà ravageaient l’Ukraine dès le mois de février ; l’armée russe avançait vers le Niester ; un autre corps de troupes, sous le prince Gallitzin, marchait par la Pologne. Tous les commencements furent favorables ; car Gallitzin ayant rencontré près de Kiovie un parti nombreux de Tartares joints à quelques Cosaques et à quelques Polonais du parti de Stanislas, et même de Suédois, il les défit entièrement, et leur tua cinq mille hommes. Ces Tartares avaient déjà fait dix mille esclaves dans le plat pays. C’est de temps immémorial la coutume des Tartares de porter plus de cordes que de cimeterres pour lier les malheureux qu’ils surprennent. Les captifs furent tous délivré, et leurs ravisseurs passés au fil de l’épée. Toute l’armée, si elle eût été rassemblée, devait monter à soixante mille hommes. Elle dut être encore augmentée par les troupes du roi de Pologne. Ce prince, qui devait tout au czar, vint le trouver le 3 juin, à Jaroslau, sur la rivière de Sane, et lui promit de nombreux secours. On proclama la guerre contre les Turcs au nom des deux rois ; mais la diète de Pologne ne ratifia pas ce qu’Auguste avait promis ; elle ne voulut point rompre avec les Turcs. C’était le sort du czar d’avoir dans le roi Auguste un allié qui ne pouvait jamais l’aider. Il eut les mêmes espérances dans la Moldavie et dans la Valachie, et il fut trompé de même.

 

         La Moldavie et la Valachie devaient secouer le joug des Turcs. Ces pays sont ceux des anciens Daces, qui, mêlés aux Gépides, inquiétèrent longtemps l’empire romain : Trajan les soumit ; le premier Constantin les rendit chrétiens. La Dacie fut une province de l’empire d’Orient ; mais bientôt après ces mêmes peuples contribuèrent à la ruine de celui d’Occident, en servant sous les Odoacre et sous les Théororic.

 

         Ces contrées restèrent depuis annexées à l’empire grec ; et quand les Turcs eurent pris Constantinople, elles furent gouvernées et opprimées par des princes particuliers. Enfin elles ont été entièrement soumises par le padisha ou empereur turc, qui en donne l’investiture. Le hospodar ou vaivode que la Porte choisit pour gouverner ces provinces est toujours un chrétien grec. Les Turcs ont, par ce choix, fait connaître leur tolérance, tandis que nos déclamateurs ignorants leur reprochent la persécution. Le prince que la Porte nomme est tributaire ou plutôt fermier : elle confère cette dignité à celui qui en offre davantage, et qui fait le plus de présents au vizir, ainsi qu’elle confère le patriarcat grec de Constantinople. C’est quelquefois un dragoman, c’est-à-dire un interprète du divan, qui obtient cette place. Rarement la Moldavie et la Valachie sont réunies sous un même vaivode ; la Porte partage ces deux provinces pour en être plus sûre. Démétrius Cantemir avait obtenu la Moldavie. On faisait descendre ce vaivode Cantemir de Tamerlan, parce que le nom de Tamerlan était Timur, que ce Timur était un kan tartare ; et du nom de Timur-kan venait, disait-on, de la famille de Kantemir.

 

 

 

 

1 – Cette partie ne parut, comme nous l’avons dit dans notre Avertissement, qu’en 1763, avec une préface au lecteur. (G.A.)

 

2 – Ce que rapporte Norberg sur les prétentions du grand-seigneur n’est ni moins faux ni moins puéril : il dit que le sultan Achmet envoya au czar les conditions auxquelles il accorderait la paix avant d’avoir commencé la guerre. Ces conditions étaient, selon le confesseur de Charles XII, de renoncer à son alliance avec le roi Auguste, de rétablir Stanislas, de rendre la Livonie à Charles, de payer à ce prince, argent comptant, ce qu’il lui avait pris à Pultava, et de démolir Pétersbourg. Cette pièce fut forgée par un nommé Brazey, auteur famélique d’une feuille intitulée : Mémoires satiriques, historiques et amusants. Norbert puisa dans cette source. Il paraît que ce confesseur n’était pas le confident de Charles XII. (Voltaire.)

 

3 – Le sultan fut déterminé par le ministre français à Constantinople, M. Désaleurs, et par l’agent de Charles XII, Poniatowski. (G.A.)

 

4 –Novembre 1710.

 

5 – 29 novembre 1710.

 

6 – Page 102.

 

7 – Janvier 1711.

 

8 – Il est bien étrange que tant d’auteurs confondent la Valachie et la Moldavie. (Voltaire.)

 

9 – 18 janvier 1711.

 

10 – Ou Lapouchin.

 

11 – 17 mars 1711.

 

12 – Journal de Pierre-le-Grand.

 

 

 

 

 

 

 

 

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