HISTOIRE DE RUSSIE - PREMIÈRE PARTIE - Chapitre X - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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CHAPITRE X.

 

 

(Parte 1)

 

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CONJURATION PUNIE. MILICE DES STRÉLITZ ABOLIE.

CHANGEMENTS DANS LES USAGES, DANS LES MŒURS,

DANS L’ÉTAT, ET DANS L’ÉGLISE.

 

 

 

 

 

         Il avait pourvu à tout en partant, et même aux moyens de réprimer une rébellion. Ce qu’il faisait de grand et d’utile pour son pays fut la cause même de cette révolte.

 

         De vieux boyards, à qui les anciennes coutumes étaient chères, des prêtres, à qui les nouvelles paraissaient des sacrilèges, commencèrent les troubles. L’ancien parti de la princesse Sophie se réveilla. Une de ses sœurs (1), dit-on, renfermée avec elle dans le même monastère, ne servit pas peu à exciter les esprits : on représentait de tous côtés combien il était à craindre que des étrangers ne vinssent instruire la nation (2). Enfin, qui le croirait ? la permission que le czar avait donnée de vendre du tabac dans son empire, malgré le clergé, fut un des grands motifs des séditieux. La superstition, qui, dans toute la terre, est un fléau si funeste et si cher aux peuples, passa du peuple russe aux strélitz répandus sur les frontières de la Lithuanie : ils s’assemblèrent, ils marchèrent vers Moscou, dans le dessein de mettre Sophie sur le trône, et de fermer le retour à un czar qui avait violé les usages en osant s’instruire chez les étrangers. Le corps commandé par Shein et par Gordon, mieux discipliné qu’eux, les battit à quinze lieues de Moscou ; mais cette supériorité d’un général étranger sur l’ancienne milice, dans laquelle plusieurs bourgeois de Moscou étaient enrôlés, irrita encore la nation.

 

         Pour étouffer ces troubles, le czar part secrètement de Vienne, passe par la Pologne, voit incognito le roi Auguste, avec lequel il prend déjà des mesures pour s’agrandir du côté de la mer Baltique. Il arrive enfin à Moscou (3), et surprend tout le monde par sa présence : il récompense les troupes qui ont vaincu les strélitz. Les prisons étaient pleines de ces malheureux. Si leur crime était grand, le châtiment le fut aussi. Leurs chefs, plusieurs officiers et quelques prêtres furent condamnés à la mort (4) ; quelques-uns furent roués, deux femmes enterrées vives. On pendit autour des murailles de la ville, et on fit périr dans d’autres supplices  deux mille strélitz (5) ; leurs corps restèrent deux jours exposés sur les grands chemins, et surtout autour du monastère où résidaient les princesses Sophie et Eudoxe (6). On érigea des colonnes de pierre où le crime et le châtiment furent gravés. Un très grand nombre qui avaient leurs femmes et leurs enfants à Moscou furent dispersés avec leurs familles dans la Sibérie, dans le royaume d’Astracan, dans le pays d’Azof : par là du moins leur punition fut utile à l’Etat ; ils servirent à défricher et à peupler des terres qui manquaient d’habitants et de culture.

 

         Peut-être si le czar n’avait pas eu besoin d’un exemple terrible, il eût fait travailler aux ouvrages publics une partie des strélitz qu’il fit exécuter, et qui furent perdus pour lui et pour l’Etat, la vie des hommes devant être comptée pour beaucoup, surtout dans un pays où la population demandait tous les soins d’un législateur ; mais il crut devoir étonner et subjuguer pour jamais l’esprit de la nation par l’appareil et par la multitude des supplices. Le corps entier des strélitz, qu’aucun de ses prédécesseurs n’aurait osé seulement diminuer, fut cassé à perpétuité, et leur nom aboli. Ce grand changement se fit sans la moindre résistance, parce qu’il avait été préparé. Le sultan des Turcs, Osman, comme on l’a déjà remarqué, fut déposé dans le même siècle, et égorgé, pour avoir laissé seulement soupçonner aux janissaires qu’il voulait diminuer leur nombre. Pierre eut plus de bonheur, ayant mieux pris ses mesures. Il ne resta de toute cette grande milice des strélitz que quelques faibles régiments qui n’étaient plus dangereux, et qui cependant, conservant encore leur ancien esprit, se révoltèrent dans Astracan, en 1705, mais furent bientôt réprimés.

 

         Autant Pierre avait déployé de sévérité dans cette affaire d’Etat, autant il montra d’humanité quand il perdit quelque temps après son favori Le Fort, qui mourut d’une mort prématurée à l’âge de quarante-six ans (7). Il l’honora d’une pompe funèbre telle qu’on en fait aux grands souverains. Il assista lui-même au convoi, une pique à la main, marchant après les capitaines, au rang de lieutenant qu’il avait pris dans le grand régiment du général, enseignant à la fois à sa noblesse à respecter le mérite et les grades militaires.

 

         On connut après la mort de Le Fort que les changements préparés dans l’Etat ne venaient pas de lui, mais du czar. Il s’était confirmé dans ses projets par les conversations avec Le Fort ; mais il les avait tous conçus, et il les exécuta sans lui.

 

         Dès qu’il eut détruit les strélitz, il établit des régiments réguliers sur le modèle allemand ; ils eurent des habits courts et uniformes, au lieu de ces jaquettes incommodes dont ils étaient vêtus auparavant : l’exercice fut plus régulier.

 

         Les gardes Préobazinski étaient déjà formées : ce nom leur venait de cette première compagnie de cinquante hommes que le czar, jeune encore, avait exercée dans la retraite de Préobazinski, du temps que sa sœur Sophie gouvernait l’Etat ; et l’autre régiment des gardes était aussi établi.

 

         Comme il avait passé lui-même par les plus bas grades militaires, il voulut que les fils de ses boyards et de ses knès commençassent par être soldats avant d’être officiers. Il en mit d’autres sur la flotte à Véronise et vers Azof, et il fallut qu’ils fissent l’apprentissage de matelot. On n’osait refuser un maître qui avait donné l’exemple. Les Anglais et les Hollandais travaillaient à mettre cette flotte en état, à construire des écluses, à établir des chantiers où l’on pût caréner les vaisseaux à sec, à reprendre le grand ouvrage de la jonction du Tanaïs et du Volga, abandonné par l’Allemand Brakel. Dès lors les réformes dans son conseil d’Etat, dans les finances, dans l’Eglise, dans la société même, furent commencées.

 

         Les finances étaient à peu près administrées comme en Turquie. Chaque boyard payait pour ses terres une somme convenue qu’il levait sur ses paysans serfs ; le czar établit pour ses receveurs des bourgeois, des bourgmestres qui n’étaient pas assez puissants pour s’arroger le droit de ne payer au trésor public que ce qu’ils voudraient. Cette nouvelle administration des finances fut ce qui lui coûta le plus de peine : il fallut essayer de plus d’une méthode avant de se fixer.

 

         La réforme dans l’Eglise, qu’on croit partout difficile et dangereuse, ne le fut point pour lui. Les patriarches avaient quelquefois combattu l’autorité du trône, ainsi que les strélitz ; Nicon avec audace ; Joachim, un des successeurs de Nicon, avec souplesse. Les évêques s’étaient arrogé le droit du glaive, celui de condamner à des peines afflictives et à la mort ; droit contraire à l’esprit de la religion et au gouvernement : cette usurpation ancienne leur fut ôtée. Le patriarche Adrien étant mort à la fin du siècle, Pierre déclara qu’il n’y en aurait plus. Cette dignité fut entièrement abolie ; les grands biens affectés au patriarcat furent réunis aux finances publiques, qui en avaient besoin. Si le czar ne se fit pas le chef de l’Eglise russe, comme les rois de la Grande-Bretagne le sont de l’Eglise anglicane, il en fut en effet le maître absolu, parce que les synodes n’osaient ni désobéir à un souverain despotique, ni disputer contre un prince plus éclairé qu’eux.

 

         Il ne faut que jeter les yeux sur le préambule de l’édit de ses règlements ecclésiastiques, donné en 1721, pour voir qu’il agissait en législateur et en maître. « Nous nous croirions coupable d’ingratitude envers le Très-Haut, si, après avoir réformé l’ordre militaire et le civil, nous négligions l’ordre spirituel, etc. A ces causes, suivant l’exemple des plus anciens rois dont la piété est célèbre, nous avons pris sur nous le soin de donner de bons règlements au clergé. » Il est vrai qu’il établit un synode pour faire exécuter ses lois ecclésiastiques ; mais les membres du synode devaient commencer leur ministère par un serment dont lui-même avait écrit et signé la formule : ce serment était celui de l’obéissance ; en voici les termes : « Je jure d’être fidèle et obéissant serviteur et sujet à mon naturel et véritable souverain ; aux augustes successeurs qu’il lui plaira de nommer, en vertu du pouvoir incontestable qu’il en a. Je reconnais qu’il est le juge suprême de ce collège spirituel ; je jure par le Dieu qui voit tout, que j’entends et que j’explique ce serment dans toute la force et le sens que les paroles présentent à ceux qui le lisent ou qui l’écoutent. » Ce serment est encore plus fort que celui de suprématie en Angleterre. Le monarque russe n’était pas à la vérité un des Pères du synode, mais il dictait leurs lois ; il ne touchait point à l’encensoir, mais il dirigeait les mains qui le portaient.

 

 

 

1 – Eudoxe. (G.A.)

 

2 – Manuscrit de Le Fort.

 

3 – Septembre 1698.

 

4 – Mémoires du capitaine et ingénieur Perri, employé en Russie par Pierre-le-Grand.

 

5 – Manuscrits de Le Fort.

 

6 – Voltaire ne dit pas qu’on chargeait des médecins de raviver les corps disloqués, et qu’on soumettait les victimes de nouveau à la question, sous les yeux mêmes de Pierre. Il ne dit pas non plus que le czar abattait lui-même tout en s’enivrant jusqu’à vingt têtes de conspirateurs dans une seule orgie, et que ses courtisans l’imitaient par ordre. (G.A.)

 

7 – 12 mars 1699. (n. st.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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