HISTOIRE DE RUSSIE - PREMIÈRE PARTIE - Chapitre III - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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CHAPITRE III.

 

 

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ALEXIS MICHAELOVITZ, FILS DE MICHEL.

 

 

 

         Alexis se maria comme son père, et choisit parmi les filles qu’on lui amena celle qui lui parut la plus aimable. Il épousa une des deux filles du boyard Miloslauski, en 1647, et ensuite une Nariskin en 1671. Son favori Morosou épousa l’autre. On ne peut donner à ce Morosou un titre plus convenable que celui de vizir, puisqu’il était despotique dans l’empire, et que sa puissance excita des révoltes parmi les strélitz et le peuple, comme il est arrivé souvent à Constantinople.

 

         Le règne d’Alexis fut troublé par des séditions sanglantes, par des guerres intestines et étrangères. Un chef des Cosaques du Tanaïs, nommé Stenko-Rasin, voulut se faire roi d’Astracan ; il inspira longtemps la terreur ; mais enfin, vaincu et pris, il finit par le dernier supplice, comme tous ses semblables, pour lesquels il n’y a jamais que le trône ou l’échafaud. Environ douze mille de ses partisans furent pendus, dit-on, sur le chemin d’Astracan. Cette partie du monde était celle où les hommes, étant le moins gouvernés par les mœurs, ne l’étaient que par les supplices, et de ces supplices affreux naissaient la servitude et la fureur secrète de la vengeance.

 

         Alexis eut une guerre contre la Pologne ; elle fut heureuse et terminée par une paix qui lui assura la possession de Smolensko, de Kiovie et de l’Ukraine ; mais il fut malheureux avec les Suédois, et les bornes de l’empire étaient toujours très resserrées du côté de la Suède.

 

         Les Turcs étaient alors plus à craindre ; ils tombaient sur la Pologne et menaçaient les pays du czar voisins de la Tartarie-Crimée, l’ancienne Chersonèse-Taurique. Ils prirent, en 1671, la ville importante de Kaminieck et tout ce qui dépendait de la Pologne en Ukraine. Les Cosaques de l’Ukraine, qui n’avaient jamais voulu de maîtres, ne savaient alors s’ils appartenaient à la Turquie, à la Pologne, ou à la Russie. Le sultan Mahomet IV, vainqueur des Polonais, et qui venait de leur imposer un tribut, demanda avec tout l’orgueil d’un Ottoman et d’un vainqueur que le czar évacuât tout ce qu’il possédait en Ukraine, et fut refusé avec la même fierté. On ne savait point alors déguiser l’orgueil par les dehors de la bienséance. Le sultan, dans sa lettre, ne traitait le souverain des Russies que de hospodar chrétien, et s’intitulait très glorieuse majesté, roi de tout l’univers. Le czar répondit « qu’il n’était pas fait pour se soumettre à un chien de mahométan, et que son cimeterre valait bien le sabre du grand-seigneur. »

 

         Alexis alors forma un dessein qui semblait annoncer l’influence que la Russie devait avoir un jour dans l’Europe chrétienne. Il envoya des ambassadeurs au pape et à presque tous les grands souverains d’Europe, excepté à la France, alliée des Turcs, pour tâcher de former une ligue contre la Porte ottomane. Ses ambassadeurs ne réussirent dans Rome qu’à ne point baiser les pieds du pape, et n’obtinrent ailleurs que des vœux impuissants, les querelles des princes chrétiens et les intérêts qui naissent de ces querelles mêmes les mettant toujours hors d’état de se réunir contre l’ennemi de la chrétienté.

 

         Les Ottomans cependant menaçaient de subjuguer la Pologne, qui refusait de payer le tribut. Le czar Alexis la secourut du côté de la Crimée, et le général de la couronne, Jean Sobieski, lava la honte de son pays dans le sang des Turcs (1), à la célèbre bataille de Choczim, qui lui fraya le chemin au trône. Alexis disputa ce trône, et proposa d’unir ses vastes Etats à la Pologne, comme les Jagellons y avaient joint la Lithuanie ; mais plus son offre était grande, moins elle fut acceptée. Il était très digne, dit-on, de ce nouveau royaume par la manière dont il gouvernait les siens. C’est lui qui le premier fit rédiger un code de lois, quoique imparfait ; il introduisit des manufactures de toile et de soie, qui à la vérité ne se soutinrent pas, mais qu’il eut le mérite d’établir. Il peupla les déserts vers le Volga et la Kama de familles lithuaniennes, polonaises et tartares, prises dans ses guerres. Tous les prisonniers auparavant étaient esclaves de ceux auxquels ils tombaient en partage ; Alexis en fit des cultivateurs. Il mit autant qu’il put la discipline dans ses armées ; enfin, il était digne d’être le père de Pierre-le-Grand ; mais il n’eut le temps de perfectionner rien de ce qu’il entreprit ; une mort prématurée l’enleva à l’âge de quarante-six ans, au commencement de 1677, selon notre calendrier, qui avance toujours de onze jours sur celui des Russes.

 

 

 

1 – En 1674.

 

 

 

 

 

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FŒDOR ALEXIOVITZ.

 

 

 

         Après Alexis, fils de Michel, tout retomba dans la confusion. Il laissait de son premier mariage deux princes et six princesses. L’aîné Fœdor, monta sur le trône, âge de quinze ans (1) ; prince d’un tempérament faible et valétudinaire, mais d’un mérite qui ne tenait pas de la faiblesse de son corps. Alexis, son père, l’avait fait reconnaître pour son successeur un an auparavant. C’est ainsi qu’en usèrent les rois de France depuis Hugues Capet jusqu’à Louis-le-Jeune, et tant d’autres souverains.

 

         Le second des fils d’Alexis était Ivan ou Jean, encore plus maltraité par la nature que son frère Fœdor, presque privé de la vue et de la parole, ainsi que de santé, et attaqué souvent de convulsions. Des six filles nées de ce premier mariage, la seule célèbre en Europe fut la princesse Sophie, distinguée par les talents de son esprit, mais malheureusement plus connue encore par le mal qu’elle voulut faire à Pierre-le-Grand.

 

         Alexis, de son second mariage avec une autre de ses sujettes, fille du boyard Nariskin, laissa Pierre et la princesse Nathalie. Pierre, né le 30 mai 1672, et suivant le nouveau style, 10 juin, avait à peine quatre ans et demi quand il perdit son père. On n’aimait pas les enfants d’un second lit, et on ne s’attendait pas qu’il dût un jour régner.

 

         L’esprit de la famille de Romano fut toujours de policer l’Etat : tel fut encore le caractère de Fœdor. Nous avons déjà remarqué, en parlant de Moscou, qu’il encouragea les citoyens à bâtir plusieurs maisons de pierre. Il agrandit cette capitale ; on lui doit quelques règlements de police générale. Mais en voulant réformer les boyards, il les indisposa tous. D’ailleurs, il n’était ni assez instruit, ni assez actif, ni assez déterminé pour oser concevoir un changement général. La guerre avec les Turcs, ou plutôt avec les Tartares de la Crimée, qui continuait toujours avec des succès balancés, ne permettait pas à un prince d’une santé faible de tenter ce grand ouvrage. Fœdor épousa, comme ses autres prédécesseurs, une de ses sujettes, originaire des frontières de Pologne ; et l’ayant perdue au bout d’une année, il prit pour seconde femme, en 1682, Marthe Mateona, fille du secrétaire Apraxin. Il tomba malade quelques mois après de la maladie dont il mourut, et ne laissa point d’enfants. Comme les czars se mariaient sans avoir égard à la naissance, ils pouvaient aussi choisir (du moins alors) un successeur, sans égard à la primogéniture. Il semblait que le rang de femme et d’héritier du souverain dût être uniquement le prix du mérite, et en cela l’usage de cet empire était bien supérieur aux coutumes des Etats les plus civilisés.

 

         Fœdor (2), avant d’expirer, voyant que son frère Yvan, trop disgracié de la nature, était incapable de régner, nomma pour héritier des Russies son second frère, Pierre, qui n’était âgé que de dix ans, et qui faisait déjà concevoir de grandes espérances.

 

         Si la coutume d’élever les sujettes au rang de czarine était favorable aux femmes, il y en avait une autre bien dure : les fils des czars se mariaient alors rarement ; la plupart passaient leur vie dans un monastère.

 

         La princesse Sophie, la troisième des filles du premier lit du czar Alexis, princesse d’un esprit aussi supérieur que dangereux, ayant vu qu’il restait à son frère Fœdor peu de temps à vivre, ne prit point le parti du couvent ; et, se trouvant entre ses deux autres frères qui ne pouvaient gouverner, l’un par son incapacité, l’autre par son enfance, elle conçut le dessein de se mettre à la tête de l’empire : elle voulut, dans les derniers temps de la vie du czar Fœdor, renouveler le rôle que joua autrefois Pulchérie avec l’empereur Théodose, son frère.

 

 

 

1 – 1677.

 

2 – Avril 1682.

 

 

 

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