HISTOIRE DE RUSSIE - PREMIÈRE PARTIE - Chapitre III - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

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CHAPITRE III.

 

 

(Partie 1)

 

 

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DES ANCÊTRES DE PIERRE-LE-GRAND.

 

 

 

 

         La famille de Pierre était sur le trône depuis l’an 1613. La Russie, avant ce temps, avait essuyé des révolutions qui éloignaient encore la réforme et les arts. C’est le sort de toutes les sociétés d’hommes. Jamais il n’y eut de troubles plus cruels dans aucun royaume. Le tyran Boris Godonou fit assassiner, en 1597, l’héritier légitime Démétri, que nous nommons Démétrius, et usurpa l’empire. Un jeune moine prit le nom de Démétrius, prétendit être le prince échappé aux assassins, et, secouru des Polonais et d’un grand parti que les tyrans ont toujours contre eux, il chassa l’usurpateur, et usurpa lui-même la couronne. On reconnut son imposture dès qu’il fut maître, parce qu’on fut mécontent de lui : il fut assassiné. Trois autres faux Démétrius s’élevèrent l’un après l’autre (1). Cette suite d’impostures supposait un pays tout en désordre. Moins les hommes sont civilisés, plus il est aisé de leur en imposer. On peut juger à quel point ces fraudes augmentaient la confusion et le malheur public.

 

         Les Polonais, qui avaient commencé les révolutions en établissant le premier faux Démétri, furent sur le point de régner en Russie. Les Suédois partagèrent les dépouilles du côté de la Finlande, et prétendirent aussi au trône ; l’Etat était menacé d’une ruine entière.

 

         Au milieu de ces malheurs, une assemblée composée des principaux boyards élut pour souverain, en 1613, un jeune homme de quinze ans ; ce qui ne paraissait pas un moyen sûr de finir les troubles. Ce jeune homme était Michel Romano (2), grand-père du czar Pierre, fils de l’archevêque de Rostou, surnommé Philarète, et d’une religieuse, allié par les femmes aux anciens czars.

 

         Il faut savoir que cet archevêque était un seigneur puissant que le tyran Boris avait forcé de se faire prêtre. Sa femme Sheremeto fut aussi contrainte de prendre le voile : c’était un ancien usage des tyrans occidentaux chrétiens latins : celui des chrétiens grecs était de crever les yeux. Le tyran Démétri donna à Philarète l’archevêché de Rostou, et l’envoya ambassadeur en Pologne. Cet ambassadeur était prisonnier chez les Polonais alors en guerre avec les Russes ; tant le droit des gens était ignoré chez tous ces peuples. Ce fut pendant sa détention que le jeune Romano, fils de cet archevêque, fut élu czar. On échangea son père contre des prisonniers polonais, et le jeune czar créa son père patriarche : ce vieillard fut souverain en effet sous le nom de son fils.

 

         Si un tel gouvernement paraît singulier aux étrangers, le mariage du czar Michel Romano le semble davantage. Les monarques des Russies ne prenaient plus des épouses dans les autres Etats depuis l’an 1490. Il paraît que depuis qu’ils eurent Casan et Astracan, ils suivirent presque en tout les coutumes asiatiques, et principalement celle de ne se marier qu’à leurs sujettes.

 

         Ce qui ressemble encore plus aux usages de l’ancienne Asie, c’est que pour marier un czar, on faisait venir à la cour les plus belles filles des provinces ; la grande maîtresse de la cour les recevait chez elle, les logeait séparément, et les faisait manger toutes ensemble. Le czar les voyait ou sous un nom emprunté ou sans déguisement. Le jour du mariage était fixé sans que le choix fût encore connu ; et le jour marqué, on présentait un habit de noce à celle sur qui le choix secret était tombé : on distribuait d’autres habits aux prétendantes, qui s’en retournaient chez elles. Il y eu quatre exemples de pareils mariages.

 

         C’est de cette manière que Michel Romano épousa Eudoxe, fille d’un pauvre gentilhomme nommé Streshneu. Il cultivait ses champs lui-même avec ses domestiques, lorsque des chambellans, envoyés par le czar avec des présents, lui apprirent que sa fille était sur le trône. Le nom de cette princesse est encore cher à la Russie. Tout cela est éloigné de nos mœurs, et n’en est pas moins respectable.

 

         Il est nécessaire de dire qu’avant l’élection de Romano un grand parti avait élu le prince Ladislas, fils du roi de Pologne Sigismond III. Les provinces voisines de la Suède avaient offert la couronne à un frère de Gustave-Adolphe : ainsi la Russie était dans la même situation où l’on a vu si souvent la Pologne, chez qui le droit d’élire un monarque a été une source de guerres civiles. Mais les Russes n’imitèrent point les Polonais, qui font un contrat avec le roi qu’ils élisent. Quoiqu’ils eussent éprouvé la tyrannie, ils se soumirent à un jeune homme sans rien exiger de lui.

 

         La Russie n’avait jamais été un royaume électif ; mais la race masculine des anciens souverains ayant manqué, six czars ou prétendants ayant péri malheureusement dans les derniers troubles, il fallut, comme on l’a vu, élire un monarque ; et cette élection causa de nouvelles guerres avec la Pologne et la Suède, qui combattirent pour leurs prétendus droits au trône de Russie. Ces droits de gouverner une nation malgré elle ne se soutiennent jamais longtemps. Les Polonais d’un côté, après s’être avancés jusqu’à Moscou, et après des pillages qui étaient les expéditions militaires de ces temps-là, conclurent une trêve de quatorze ans. La Pologne, par cette trêve, demeura en possession du duché de Smolensko, dans lequel le Borysthène prend sa source. Les Suédois firent aussi la paix ; ils restèrent en possession de l’Ingrie, et privèrent les Russes de toute communication avec la mer Baltique, de sorte que cet empire reste plus que jamais séparé du reste de l’Europe.

 

         Michel Romano, depuis cette paix, régna tranquille, et il ne se fit dans ses Etats aucun changement qui corrompît ni qui perfectionnât l’administration. Après sa mort, arrivée en 1645, son fils Alexis Michaelowitz, ou fils de Michel, âgé de seize ans, régna par le droit héréditaire. On peut remarquer que les czars étaient sacrés par le patriarche, suivant quelques rites de Constantinople, à cela près que le patriarche de Russie était assis sur la même estrade avec le souverain, et affectait toujours une égalité qui choquait le pouvoir suprême.

 

 

 

1 – Voyez sur les faux Démétrius l’admirable chapitre CXC de l’Essai sur les mœurs. (G.A.)

 

2 – Les Russes écrivent Romanow : les Français ne se servent point du w. On prononce aussi Romanof.

 

 

 

 

 

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