HISTOIRE DE RUSSIE - Préface - Chapitre VI

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

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HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

HISTORIQUE ET CRITIQUE.

 

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CHAPITRE VI

 

 

 

         Quand il ne s’agit que de style, que de critique, que de petits intérêts d’auteur, il faut laisser aboyer les petits faiseurs de brochures ; on se rendrait presque aussi ridicule qu’eux, si on perdait son temps à leur répondre ou même à les lire ; mais quand il s’agit de faits importants, il faut quelquefois que la vérité s’abaisse à confondre même les mensonges des hommes méprisables : leur opprobre ne doit pas plus empêcher la vérité de s’expliquer, que la bassesse d’un criminel de la lie du peuple n’empêche la justice d’agir contre lui : c’est par cette double raison qu’on a été obligé d’imposer silence au coupable ignorant (1) qui avait corrompu l’Histoire du Siècle de Louis XIV par des notes aussi absurdes que calomnieuses, dans lesquelles il outrageait brutalement une branche de la maison de France et toute la maison d’Autriche, et cent familles illustres de l’Europe, dont les antichambres lui étaient aussi inconnues que les faits qu’il osait falsifier.

 

         C’est un grand inconvénient attaché au bel art de l’imprimerie, que cette facilité malheureuse de publier les impostures et les calomnies.

 

         Le prêtre de l’Oratoire Levassor (2), et le jésuite La Motte, l’un mendiant en Angleterre, l’autre mendiant en Hollande, écrivent tous deux l’histoire pour gagner du pain : l’un choisit le roi de France Louis XIII pour l’objet de sa satire ; l’autre prit pour but Louis XIV. (3). Leur qualité de moines apostats ne devait pas leur concilier la créance publique ; cependant c’est un plaisir de voir avec quelle confiance ils annoncent tous deux qu’ils sont chargés du dépôt de la vérité : ils rebattent sans cesse cette maxime, qu’il faut oser dire tout ce qui est vrai : ils devaient ajouter qu’il faut commencer par en être instruit.

 

         Leur maxime dans leur bouche est leur propre condamnation : mais cette maxime en elle-même mérite bien d’être examinée, puisqu’elle est devenue l’excuse de toutes les satires.

 

         Toute vérité publique, importante, utile, doit être dite sans doute : mais s’il y a quelque anecdote odieuse sur un prince, si, dans l’intérieur de son domestique, il s’est livré, comme tant de particuliers, à des faiblesses de l’humanité, connues peut-être d’un ou deux confidents, qui vous a chargé de révéler au public ce que ces deux confidents ne devaient révéler à personne ? Je veux que vous ayez pénétré dans ce mystère, pourquoi déchirez-vous le voile dont tout homme a droit de se couvrir dans le secret de sa maison ? et par quelle raison publiez-vous ce scandale ? Pour flatter la curiosité des hommes, répondez-vous ; pour plaire à leur malignité ; pour débiter mon livre, qui, sans cela, ne serait pas lu. Vous n’êtes donc qu’un satirique, qu’un faiseur de libelles, qui vendez des médisances, et non pas un historien.

 

         Si cette faiblesse d’un homme public, si ce vice secret que vous cherchez à faire connaître, a influé sur les affaires publiques, s’il a fait perdre une bataille, dérangé les finances de l’Etat, rendu les citoyens malheureux, vous devez en parler : votre devoir est de démêler ce petit ressort caché qui a produit de grands événements ; hors de là vous devez vous taire.

 

         Que nulle vérité ne soit cachée, c’est une maxime qui peut souffrir quelques exceptions. Mais en voici une qui n’en admet point : « Ne dites à la postérité que ce qui est digne de la postérité. »

 

 

 

 

 

 

1 – La Beaumelle. Voyez Supplément au Siècle de Louis XIV. (G.A.)

 

2 – Voyez le catalogue des écrivains dans le Siècle de Louis XIV. (G.A.)

 

3 – Histoire de la Vie et du règne de Louis XIV, par La Motte, 1740, 6 volumes. (G.A.)

 

 

 

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