HISTOIRE DE RUSSIE - Préface - Chapitre I

Publié le par loveVoltaire

Photo de PAPAPOUSS

Photo de PAPAPOUSS

 

 

HISTOIRE DE RUSSIE.

 

 

 

PRÉFACE.

 

HISTORIQUE ET CRITIQUE.

 

_______

 

 

CHAPITRE Ier

 

 

 

         Lorsque, vers le commencement du siècle où nous sommes, le czar Pierre jetait les fondements de Pétersbourg, ou plutôt de son empire, personne ne prévoyait le succès. Quiconque aurait imaginé alors qu’un souverain de Russie pourrait envoyer des flottes victorieuses aux Dardanelles, subjuguer la Crimée, chasser les Turcs de quatre grandes provinces, dominer sur la mer Noire, établir la plus brillante cour de l’Europe, et faire fleurir tous les arts au milieu de la guerre ; quiconque l’eût dit n’eût passé que pour un visionnaire.

 

         Mais un visionnaire plus avéré est l’écrivain qui prédit en 1762, dans je ne sais quel Contrat social ou insocial, que l’empire de Russie allait tomber. Il dit en propres mots (1) : « Les Tartares, ses sujets ou ses voisins, deviendront ses maîtres et les nôtres : cela me paraît infaillible. »

 

         C’est une étrange manie que celle d’un polisson qui parle en maître aux souverains, et qui prédit infailliblement la chute prochaine des empires, du fond du tonneau où il prêche, et qu’il croit avoir appartenu autrefois à Diogène. Les étonnants progrès de l’impératrice Catherine II et de la nation russe sont une preuve assez forte que Pierre-le-Grand a bâti sur un fondement ferme et durable.

 

         Il est même de tous les législateurs, après Mahomet, celui dont le peuple s’est le plus signalé après lui. Les Romulus et les Thésée n’en approchent pas (2).

 

         Une preuve assez belle qu’on doit tout en Russie à Pierre-le-Grand est ce qui arriva dans la cérémonie de l’action de grâces rendue à Dieu, selon l’usage, dans la cathédrale de Pétersbourg, pour la victoire du comte d’Orlof, qui brûla la flotte ottomane tout entière en 1770.

 

         Le prédicateur, nommé Platon, et digne de ce nom, passa, au milieu de son discours, de la chaire où il parlait au tombeau de Pierre-le-Grand, et embrassant la statue de ce fondateur : « C’est toi, dit-il, qui as remporté cette victoire, c’est toi qui as construit parmi nous le premier vaisseau, etc. » Ce trait que nous avons rapporté ailleurs, et qui charmera la postérité la plus reculée, est, comme la conduite de plusieurs officiers russes, un exemple du sublime.

 

         Un comte de Shouvaloff, chambellan de l’impératrice Elisabeth (3), l’homme de l’empire peut-être le plus instruit, voulut, en 1759, communiquer à l’historien de Pierre les documents authentiques nécessaires, et on n’a écrit que d’après eux (4).

 

 

 

 

1 – Voici le passage de Rousseau auquel Voltaire est revenu bien souvent :

 

« Tel peuple est disciplinable en naissant, tel autre ne l’est pas au bout de dix siècles. Les Russes ne seront jamais vraiment policés parce qu’ils l’ont été trop tôt. – Pierre avait le génie imitatif ; il n’avait pas le vrai génie, celui qui crée et fait tout de rien. Quelques-unes des choses qu’il fit étaient bien, la plupart étaient déplacées. Il a vu que son peuple était barbare, il n’a point vu qu’il n’était pas mûr pour la police ; il l’a voulu civiliser quand il ne fallait que l’aguerrir. Il a d’abord voulu faire des Allemands, des Anglais, quand il fallait commencer par faire des Russes. Il a empêché ses sujets de jamais devenir ce qu’ils pourraient être en leur persuadant qu’ils étaient ce qu’ils ne sont pas. C’est ainsi qu’un précepteur français forme son élève pour briller un moment dans son enfance, et puis n’être jamais rien. L’empire de Russie voudra subjuguer l’Europe et sera subjugué lui-même. Les Tartares, ses sujets ou ses voisins, deviendront ses maîtres et les nôtres : cette révolution me paraît infaillible. Tous les rois de l’Europe travaillent de concert à l’accélérer. » (G.A.)

 

 

 

2 – Le czar Pierre avait des Etats immenses, beaucoup d’hommes, et de productions ; il forma une armée et une flotte, et dès lors il eut formé un puissant empire. Rome n’était qu’un village, et en quatre siècles de victoires continuelles elle forma un empire six fois plus peuplé que celui de Russie et six fois plus grand, si on ne compte pas les déserts pour des provinces. (K.)

 

3 – Jean Schowalow, fils du favori de la czarine Elisabeth, Pierre Schowalow, avait la direction des arts en Russie. Il vint saluer Voltaire à Ferney de la part de Catherine II en 1763. (G.A.)

 

4 – Tout ce paragraphe est de 1775.  On lisait à la place en 1759 :

 

« Qui aurait dit, en 1700, qu’une cour magnifique et polie serait établie au fond du golfe de Finlande ; que les habitants de Solikam, de Casan, et des bords du Volga et du Saïk, seraient au rang de nos troupes les plus disciplinées ; qu’ils remporteraient des victoires en Allemagne après avoir vaincu les Suédois et les Ottomans ; qu’un empire de deux mille lieues, presque inconnu de nous jusqu’alors, serait policé en cinquante années ; que son influence s’étendrait sur toutes nos cours, et qu’en 1759 le plus zélé protecteur des lettres en Europe serait un Russe ? Qui l’aurait dit eût passé pour le plus chimérique de tous les hommes. Pierre-le-Grand ayant fait et préparé seul toute cette révolution que personne n’avait pu prévoir, est peut-être de tous les princes celui dont les faits méritent le plus d’être transmis à la postérité.

 

La cour de Pétersbourg a fait parvenir à l’historien chargé de cet ouvrage tous les documents authentiques. Il est dit dans le corps de cette histoire que ces mémoires sont déposés dans la bibliothèque publique de Genève, ville assez fréquentée, et voisine des terres ou cet historien demeure. Mais comme toutes les instructions et tout le journal de Pierre-le-Grand ne lui ont pas encore été communiqués, il a pris le parti de garder chez lui ces archives, qui seront montrées à tous les curieux avec la même facilité qu’elles le seraient par les gardes de la bibliothèque de Genève, et le tout y sera déposé quand le second volume sera achevé.

 

Le public a quelques prétendues histoires, etc. » (G.A.)

 

 

 

 

Commenter cet article