HISTOIRE DE RUSSIE - Préface - Chapitre II
HISTOIRE DE RUSSIE.
HISTORIQUE ET CRITIQUE.
_______
CHAPITRE II
Le public a quelques prétendues histoires de Pierre-le-Grand ; la plupart ont été composées sur des gazettes. Celle qu’on a donnée à Amsterdam, en quatre volumes, sous le nom du boyard Nestesuranoy, est une de ces fraudes typographiques trop communes. Tels sont les Mémoires d’Espagne, sous le nom de don Juan de Colmenar ; l’Histoire de Louis XIV, composée par le jésuite La Motte sur de prétendus mémoires d’un ministre d’Etat, et attribuée à La Martinière ; telles sont l’histoire de l’empereur Charles VI et celle du prince Eugène, et tant d’autres.
C’est ainsi qu’on a fait servir le bel art de l’imprimerie au plus méprisable des commerces. Un libraire de Hollande commande un livre comme un manufacturier fait fabriquer des étoffes, et il se trouve malheureusement des écrivains que la nécessité force de vendre leur peine à ces marchands, comme des ouvriers à leurs gages ; de là tous ces insipides panégyriques et ces libelles diffamatoires dont le public est surchargé : c’est un des vices les plus honteux de notre siècle.
Jamais l’histoire n’eut plus besoin de preuves authentiques que dans nos jours, où l’on trafique si insolemment du mensonge. L’auteur qui donne au public l’Histoire de l’empire Russie sous Pierre-le-Grand est le même qui écrivit, il y a trente ans, l’Histoire de Charles XII sur les mémoires de plusieurs personnes publiques qui avaient longtemps vécu auprès de ce monarque. La présente histoire est une confirmation et un supplément de la première.
On se croit obligé ici, par respect pour le public et pour la vérité, de mettre au jour un témoignage irrécusable, qui apprendra quelle foi on doit ajouter à l’Histoire de Charles XII.
Il n’y a pas longtemps que le roi de Pologne, duc de Lorraine, se faisait relire cet ouvrage à Commercy ; il fut si frappé de la vérité de tant de faits dont il avait été le témoin, et si indigné de la hardiesse avec laquelle on les a combattus dans quelques libelles et dans quelques journaux, qu’il voulut fortifier par le sceau de son témoignage la créance que mérite l’historien, et que, ne pouvant écrire lui-même, il ordonna à un de ses grands officiers d’en dresser un acte authentique.
Cet acte, envoyé à l’auteur, lui causa une surprise d’autant plus agréable, qu’il venait d’un roi aussi instruit de tous ces événements que Charles XII lui-même, et qui d’ailleurs est connu dans l’Europe par son amour pour le vrai autant que par sa bienfaisance.
On a une foule de témoignages aussi incontestables sur l’histoire du siècle de Louis XIV (1), ouvrage non moins vrai et non moins important, qui respire l’amour de la patrie, mais dans lequel cet esprit de patriotisme n’a rien dérobé à la vérité, et n’a jamais ni outré le bien, ni déguisé le mal ; ouvrage composé sans intérêt, sans crainte et sans espérance par un homme que sa situation met en état de ne flatter personne (2).
Il y a peu de citations dans le Siècle de Louis XIV, parce que les événements des premières années, connus de tout le monde, n’avaient besoin que d’être mis dans leur jour, et que l’auteur a été témoin des derniers. Au contraire, on cite toujours ses garants dans l’Histoire de l’empire de Russie, et le premier de ces témoins, c’est Pierre-le-Grand lui-même.
1 – Le Siècle de Louis XIV avait paru depuis huit ans. (G.A.)
2 – Voltaire répond ici à ceux qui l’accusaient d’écrire l’histoire de Pierre Ier dans un sentiment de flatterie. (G.A.)