HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 26

Publié le par loveVoltaire

HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 26

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CHAPITRE XV.

 

De Constance Chlore, ou le Pâle, et de l’abdication de Dioclétien.

 

 

 

 

 

 

          Constance-le-Pâle avait été déclaré césar par Dioclétien. C’était un soldat de fortune, comme Galérius, Maximien Hercule, et Dioclétien lui-même ; mais il était allié par sa mère à la famille de l’empereur Claude. L’empereur Dioclétien lui donna une partie de l’Italie, l’Espagne, et principalement les Gaules à gouverner. Il fut regardé comme un très bon prince. Les chrétiens ne furent presque point molestés dans son département. Il est dit qu’ils lui prêtèrent des sommes immenses ; et cette politique fut le fondement de leur grandeur.

 

          Dioclétien, qui créait tant de césars, était comme le dieu de Platon qui commande à d’autres dieux. Il conserva sur eux un empire absolu jusqu’au moment à jamais fameux de son abdication, dont le motif fut très équivoque.

 

          Il avait fait Maximien Hercule son collègue à l’empire, dès l’année de notre ère 281. Ce Maximien adopta Constance-le-Pâle l’an 293. Mais tous ces princes obéissaient à Dioclétien comme à un père qu’ils aimaient et qu’ils craignaient. Enfin, en 306, se sentant malade, lassé du tumulte des affaires, et détrompé de la vanité des grandeurs, il abdiqua solennellement l’empire, comme fit depuis Charles-Quint ; mais il ne s’en repentit pas, puisque son collègue Maximien Hercule, qui abdiqua comme lui, ayant voulu depuis remonter sur le trône du monde connu, et ayant vivement sollicité Dioclétien d’y remonter avec lui, cet empereur, devenu philosophe, lui répondit qu’il préférait ses jardins de Salone à l’empire romain.

 

          Qu’on nous permette ici une petite digression qui, ne sera pas étrangère à notre sujet. D’où vient que dans les plates histoires de l’empire romain, qu’on fait et qu’on refait de nos jours, tous les auteurs disent que Dioclétien fut forcé par son gendre Galérius de renoncer au trône ? c’est que Lactance la dit. Et qui était ce Lactance ? c’était un avocat véhément, prodigue de paroles, et avare de bon sens : voyons ce que plaide cet avocat.

 

          Il commence par assurer que Dioclétien, contre lequel il plaide, devint fou, mais qu’il avait quelques bons moments. Il rapporte mot pour mot l’entretien que son gendre Galérius eut avec lui, tête à tête, dans le dessein de le faire enfermer. « L’empereur Nerva (lui dit Galérius) abdiqua l’empire. Si vous ne voulez pas en faire autant, je prendrai mon parti,

 

 

DIOCLÉTIEN.

 

          Et bien ! qu’il soit donc fait comme il vous plaît. Mais il faut que les autres césars en soient d’avis.

 

GALÉRIUS.

 

          Qu’est-il besoin de leurs avis ? Il faut bien qu’ils approuvent ce que nous aurons fait.

 

DIOCLÉTIEN.

 

          Que ferons-nous donc ?

 

GALÉRIUS.

 

          Choisissons Sévère pour césar.

 

DIOCLÉTIEN.

 

          Qui ! ce danseur, cet ivrogne, qui fait du jour la nuit, et de la nuit le jour !

 

GALÉRIUS.

 

          Il est digne d’être césar, car il a donné de l’argent aux troupes, et j’ai déjà envoyé à Maximien, pour qu’il le revêtisse de la pourpre.

 

DIOCLÉTIEN.

 

          Soit. Et qui nous donnerez-vous pour l’autre césar ?

 

GALÉRIUS.

 

          Le jeune Daïa, mon neveu, qui n’a presque point de barbe.

 

DIOCLÉTIEN, en soupirant.

 

          Vous ne me donnez pas là des gens à qui l’on puisse confier les affaires de la république.

 

GALÉRIUS.

 

          Je les ai mis à l’épreuve, cela suffit.

 

DIOCLÉTIEN.

 

          Prenez-y garde ; c’est vous de qui tout cela dépend ; s’il arrive malheur, ce n’est pas ma faute.

 

 

          Voilà une étrange conversation entre les deux maîtres du monde. L’avocat Lactance était-il en tiers ? Comment les auteurs osent-ils, dans leur cabinet, faire parler ainsi les empereurs et les rois ? Comment ce pauvre Lactance est-il assez ignorant pour faire dire à Galérius que Nerva abdiqua l’empire, tandis qu’il n’y a point d’écolier qui ne sache que c’est une fausseté ridicule ? On a regardé ce Lactance comme un Père de l’Eglise ; il fait voir qu’un Père de l’Eglise peut se tromper.

 

          C’est lui qui cite un oracle d’Apollon pour faire connaître la nature de Dieu. « Il est par lui-même ; personne ne l’a enseigné ; il n’a point de mère ; il est inébranlable ; il n’a point de nom ; il habite dans le feu : c’est là Dieu, et nous sommes une petite portion d’ange. »

 

          Dieu dit-dit dans un autre endroit, « a-t-il besoin du sexe féminin ? Il est tout-puissant, et peut faire des enfants sans femme, puisqu’il a donné ce privilège à de petits animaux. »

 

          Il cite des vers grecs de la sibylle le règne de mille ans, pendant lequel le diable sera enchaîné. On voit par là qu’il savait l’avenir tout comme il savait le passé.

 

          Tel est le témoin des conversations secrètes entre deux empereurs romains. Mais que Dioclétien ait abdiqué par grandeur d’âme ou par faiblesse, cela ne change rien aux événements dont nous allons parler.

 

          Nous observerons seulement ici que jamais l’histoire ne fut plus mal écrite que dans les temps qui suivirent la mort de Dioclétien, et qu’on appelle du bas-empire. Ce fut à qui serait le plus extravagant et le plus menteur des partisans de l’ancienne religion et de la nouvelle. On ne perdait point de temps à discuter les prodiges et les oracles de ses adversaires, chacun s’en tenait aux siens : les prêtres des deux partis ressemblaient à ces deux plaideurs, dont l’un produisait une fausse obligation, et l’autre une fausse quittance.

 

 

 

 

 

 

 

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