HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 23

Publié le par loveVoltaire

HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 23

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CHAPITRE XII.

 

Que les quatre Evangiles furent connus les derniers.

Livres, miracles, martyrs supposés.

 

 

 

 

          C’est une chose très remarquable, et aujourd’hui reconnue pour incontestable, malgré toutes les faussetés alléguées par Abbadie, qu’aucun des premiers docteurs chrétiens nommés Pères de l’Eglise n’a cité le plus petit passage de nos quatre Evangiles canoniques, et qu’au contraire ils ont cité les quatre Evangiles appelés apocryphes, et que nous réprouvons. Cela seul démontre que ces Evangiles apocryphes furent non-seulement écrits les premiers, mais furent quelque temps les seuls canoniques, et que ceux attribués à Matthieu, à Marc, à Luc, à Jean, furent écrit les derniers.

 

          Vous ne retrouverez chez les Pères de l’Eglise du premier et du second siècle, ni la belle parabole des filles sages, qui mettaient de l’huile dans leurs lampes, et des folles qui n’en mettaient pas ; ni celle des usuriers qui font valoir leur argent à cinq cents pour cent ; ni le fameux contrains-les d’entrer.

 

          Au contraire, vous voyez dès le premier siècle Clément le Romain qui cite l’Evangile des Egyptiens, dans lequel on trouve ces paroles : « On demanda à Jésu quand viendrait son royaume ; il répondit : Quand deux feront un, quand le dehors sera semblable au-dedans, quand il n’y aura ni mâle ni femelle. » Cassien rapporte le même passage, et dit que ce fut Salomé qui fit cette question. Mais la réponse de Jésu est bien étonnante. Elle veut dire précisément : Mon royaume ne viendra jamais, et je me suis moqué de vous. Quand on songe que c’est un Dieu qu’on a fait parler ainsi, quand on examine avec attention et sincérité tout ce que nous avons rapporté, que doit penser un lecteur raisonnable ? Continuons.

 

          Justin, dans son dialogue avec Tryphon, rapporte un trait tiré de l’Evangile des douze Apôtres ; c’est que, quand Jésu fut baptisé dans le Jourdain, les eaux se mirent à bouillir.

 

          A l’égard de Luc, qu’on regarde comme le dernier en date des quatre Evangiles reçus (1), il suffira de se souvenir qu’il fait ordonner par Auguste un dénombrement de l’univers entier au temps des couches de Marie, et qu’il fait rédiger une partie de ce dénombrement en Judée par le gouverneur Cirénius, qui ne fut gouverneur que dix ans après.

 

          Une si énorme bévue aurait ouvert les yeux des chrétiens mêmes, si l’ignorance ne les avait pas couverts d’écailles. Mais quel chrétien pouvait savoir alors que ce n’était pas Cirénius, mais Varus, qui gouvernait la Judée ? Aujourd’hui même y a-t-il beaucoup de lecteurs qui en soient informés ? Où sont les savants qui se donnent la peine d’examiner la chronologie, les anciens monuments, les médailles ? cinq ou six, tout au plus, qui sont obligés de se taire devant cent mille prêtres payés pour tromper, et dont la plupart sont trompés eux-mêmes.

 

          Avouons-le hardiment, nous qui ne sommes point prêtres, et qui ne les craignons pas, le berceau de l’Eglise naissante n’est entouré que d’impostures. C’est une succession non interrompue de livres absurdes sous des noms supposés, depuis la lettre d’un petit toparque d’Edesse à Jésus-Christ, et depuis la lettre de la sainte Vierge à saint Ignace d’   Antioche, jusqu’à la donation de Constantin au pape Sylvestre. C’est un tissu de miracles extravagants depuis saint Jean, qui se remuait toujours dans sa fosse, jusqu’aux miracles opérés par notre roi Jacques (2) lorsque nous l’eûmes chassé. C’est une foule de martyrs qui ne tiendraient pas dans le Pandemonium de Milton, quand ils ne seraient pas plus gros que des mouches. Je ne prétends pas essuyer et donner le mortel ennui d’étaler le vaste tableau de toutes ces turpitudes. Je renvoie à notre Middleton, qui a prouvé, quoique avec trop de retenue, la fausseté des miracles ; je renvoie à notre Dodwell, qui a démontré la paucité des martyrs.

 

          On demande comment la religion chrétienne a pu s’établir par ces mêmes fraudes absurdes qui devaient la perdre. Je réponds que cette absurdité était très propre à subjuguer le peuple. On n’allait pas discuter dans un comité nommé par le sénat romain, si un ange était venu avertir une pauvre Juive de village que le Saint-Esprit viendrait lui faire un enfant ; si Enoch, septième homme après Adam, a écrit ou non que les anges avaient couché avec les filles des hommes ; et si saint Jude Thaddée a rapporté ce fait dans sa lettre. Il n’y avait point d’académie chargée d’examiner si Polycarpe ayant été condamné à être brûlé dans Smyrne, une voix lui cria du haut d’une nuée, Macte animo, Polycarpe ; si les flammes, au lieu de le toucher, formèrent un arc de triomphe autour de sa personne ; si son corps avait l’odeur d’un bon pain cuit ; si, ne pouvant être brûlé, il fut livré aux lions, lesquels se trouvent toujours à point nommé quand on a besoin d’eux ; si les lions lui léchèrent les pieds au lieu de le manger ; et si enfin le bourreau lui coupa la tête. Car il est à remarquer que les martyrs, qui résistent toujours aux lions, au feu, et à l’eau, ne résistent jamais au tranchant du sabre, qui a une vertu toute particulière.

 

          Les centumvirs ne firent jamais d’enquête juridique pour constater si les sept vierges d’Ancyre, dont la plus jeune avait soixante et dix ans, furent condamnées à être déflorées par tous les jeunes gens de la ville ; et si le saint cabaretier Théodote obtint de la sainte Vierge qu’on les noyât dans un lac pour sauver leur virginité.

 

          On ne nous a point conservé l’original de la lettre que saint Grégoire Thaumaturge écrivit au diable, et de la réponse qu’il en reçut.

 

          Tous ces contes furent écrits dans des galetas et entièrement ignorés de l’empire romain. Lorsque ensuite les moines furent établis, ils augmentèrent prodigieusement le nombre de ces rêveries ; et il n’était plus temps de les réfuter et de les confondre.

 

          Telle est même la misérable condition des hommes, que l’erreur, mise une fois en crédit, et bien fondée sur l’argent qui en revient, subsiste toujours avec empire, lors même qu’elle est reconnue par tous les gens sensés, et par les ministres mêmes de l’erreur. L’usage alors et l’habitude l’emportent sur la vérité. Nous en avons partout des exemples. Il n’y a guère aujourd’hui d’étudiant en théologie, de prêtre de paroisse, de balayeur d’église, qui ne se moque des oracles des sibylles, forgés par les premiers chrétiens en faveur de Jésu, et des vers acrostiches attribués à ces sibylles. Cependant les papistes chantent encore dans leurs églises des hymnes fondées sur ces mensonges ridicules. Je les ai entendus, dans mes voyages, chanter à plein gosier :

 

 

Solvet sæclum in favilla,

Teste David cum sibylla.

 

 

          C’est ainsi que j’ai vu le peuple même à Lorette rire de la fable de cette maison que le détestable pape Boniface VIII dit avoir été transportée sous son pontificat de Jérusalem à la marche d’Ancône par les airs. Et cependant il n’y a point de vieille femme qui, dès qu’elle est enrhumée, ne prie Notre-Dame de Lorette, et ne mette quelques oboles dans son tronc pour augmenter le trésor de cette madone, qui est certainement plus riche qu’aucun roi de la terre, et qui est aussi plus avare ; car il ne sort jamais un schelling de son échiquier.

 

          Il en est de même du sang de san Gennaro qui se liquéfie tous les ans à jour nommé dans Naples. Il en est de même de la sainte ampoule en France. Il faut de nouvelles révolutions dans les esprits, il faut un nouvel enthousiasme pour détruire l’enthousiasme ancien, sans quoi l’erreur subsiste, reconnue et triomphante (3).

 

 

 

 

1 – C’est le Saint-Jean qu’on regarde aujourd’hui comme le dernier en date des Evangiles. (G.A.)

 

2 – Jacques II. Il prétendait guérir les écrouelles à Saint-Germain. Voyez dans le Dictionnaire philosophique, l’article ECROUELLES. (G.A.)

 

3 – L’enthousiasme nouveau qui détruisit l’enthousiasme ancien éclata en 1789. Aussi est-ce pendant la Révolution que la madone de Lorette fut dénichée de son autel par l’illustre Monge ; que la liquéfaction du sang de saint Janvier fut tout aux ordres du général Championnet ; et que la fiole de la sainte ampoule fut brisée par le député Rhul. (G.A.)

 

 

 

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