HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 5
Photo de PAPAPOUSS
CHAPITRE IV.
Secte des Juifs.
(1)
Dans la longue paix dont les Juifs jouirent sous l’Arabe iduméen Hérode, créé roi par Antoine, et ensuite par Auguste, quelques Juifs de Jérusalem commencèrent à raisonner à leur manière, à disputer, à se partager en sectes. Le fameux rabbin Hillel, précurseur de Gamaliel, de qui saint Paul fut quelque temps le domestique, fut l’auteur de la secte des pharisiens, c’est-à-dire des distingués. Cette secte embrassait tous les dogmes de Platon ; âme, et son mauvais démon ; âme punie dans un enfer ; âme immortelle, ayant son bon et son mauvais démon ; âme punie dans un enfer, ou récompensée dans une espèce d’élysée, âme transmigrante, âme ressuscitante.
Les saducéens ne croyaient rien de tout cela ; ils s’en tenaient à la loi mosaïque qui n’en parla jamais. Ce qui peut paraître très singulier aux chrétiens intolérants de nos jours, s’il en est encore, c’est qu’on ne voit pas que les pharisiens et les saducéens, en différant si essentiellement, aient eu entre eux la moindre querelle. Ces deux sectes rivales vivaient en paix, et avaient également part aux honneurs de la synagogue.
Les esséniens étaient des religieux dont la plupart ne se mariaient point, et qui vivaient en commun ; ils ne sacrifiaient jamais de victimes sanglantes ; ils fuyaient non-seulement tous les honneurs de la république, mais le commerce dangereux des autres hommes. Ce sont eux que Pline l’Ancien appelle une nation éternelle dans laquelle il ne naît personne.
Les thérapeutes juifs, retirés en Egypte auprès du lac Mœris, étaient semblables aux thérapeutes des gentils ; et ces thérapeutes étaient une branche des pythagoriciens. Thérapeute signifie serviteur et médecin. Ils prenaient ce nom de médecin, parce qu’ils croyaient purger l’âme. On nommait en Egypte les bibliothèques la médecine de l’âme, quoique la plupart des livres ne fussent qu’un poison assoupissant. Remarquons, en passant, que chez les papistes les révérends pères carmes ont gravement et fortement soutenu que les thérapeutes étaient carmes : pourquoi non ? Elie, qui a fondé les carmes, ne pouvait-il pas aussi aisément fonder les thérapeutes ?
Les judaïtes avaient plus d’enthousiasme que toutes ces autres sectes. L’historien Josèphe nous apprend que ces judaïtes étaient les plus déterminés républicains qui fussent sur la terre. C’était à leurs yeux un crime horrible de donner à un homme le titre de mon maître, de milord. Pompée et Sosius, qui avaient pris Jérusalem l’un après l’autre, Antoine, Octave, Tibère étaient regardés par eux comme des brigands dont il fallait purger la terre. Ils combattaient contre la tyrannie avec autant de courage qu’ils en parlaient. Les plus horribles supplices ne pouvaient leur arracher un mot de déférence pour les Romains leurs vainqueurs et leurs maîtres ; leur religion était d’être libres.
Il y avait déjà quelques hérodiens, gens entièrement opposés aux judaïtes. Ceux-là regardaient le roi Hérode, tout soumis qu’il était à Rome, comme un envoyé d’Adonaï, comme un libérateur, comme un messie ; mais ce fut après sa mort que la secte hérodienne devint nombreuse. Presque tous les Juifs qui trafiquaient dans Rome, sous Néron, célébraient la fête d’Hérode leur messie. Perse parle ainsi de cette fête dans sa cinquième satire, où il se moque des superstitieux. (V. 180).
« Hérodis venêre dies, unctaque fenestra
Dispositæ pinguem nebulam vomnère lucernæ,
Portantes violas, rubrumque amplexa catinum
Cauda natat thynni, tumet alba fidelia vino.
Labra moves tacitus, recutitaque sabbata palles ;
Tunc nigri lemures, ovoque pericula rupto.
Hinc grandes galli, et cum sistro lusca sacerdos,
Incussère Deos inflantes corpora, si non
Prædictum ter mane caput gustaveris alli. »
« Voici les jours de la fête d’Hérode. De sales lampions sont disposés sur des fenêtres noircies d’huile ; il en sort une fumée puante ; ces fenêtres sont ornées de violettes. On apporte des plats de terre peints en rouge, chargés d’une queue de thon qui nage dans la sauge. On remplit de vin des cruches blanches. Alors, superstitieux que tu es, tu remues les lèvres tout bas ; tu trembles au sabbat des déprépucés ; tu crains les lutins noirs et les farfadets ; tu frémis si on casse un œuf. Là sont des galles, ces fanatiques prêtres de Cybèle ; ici est une prêtresse d’Isis qui louche en jouant du sistre. Avalez vite trois gousses d’ail consacrées, si vous ne voulez pas qu’on vous envoie des dieux qui vous feront enfler tout le corps. »
Ce passage est très curieux et très important pour ceux qui veulent connaître quelque chose de l’antiquité. Il prouve que, du temps de Néron, les Juifs étaient autorisés à célébrer dans Rome la fête solennelle de leur messie Hérode, et que les gens de bon sens les regardaient en pitié, et se moquaient d’eux comme aujourd’hui. Il prouve que les prêtres de Cybèle et eux d’Isis, quoique chassés sous Tibère avec la moitié des Juifs, pouvaient jouer leurs facéties en toute liberté.
Dignus Româ locus, quo Deus omnis eat.
OVID., Fast. IV, V. 270.
Tout dieu doit aller à Rome, disait un jour une statue qu’on y transportait.
Si les Romains, malgré leur loi des Douze Tables, souffraient toutes les sectes dans la capitale du monde, il est clair, à plus forte raison, qu’ils permettaient aux Juifs et aux autres peuples d’exercer chacun chez soi les rites et les superstitions de son pays. Ces vainqueurs législateurs ne permettaient pas que les Barbares soumis immolassent leurs enfants comme autrefois : mais qu’un Juif ne voulût pas manger d’un plat d’un Cappadocien, qu’il eût dans son temple des bœufs de bronze, qu’il se fît couper un petit bout de l’instrument de la génération, qu’il fût baptisé par Hitlel ou par Jean, que son âme fût mortelle ou immortelle, qu’il ressuscitât ou non, et qu’ils répondissent bien ou mal à la question que leur fit Cléopâtre, s’ils ressusciteraient tout vêtus ou tout nus ; rien n’était plus indifférent aux empereurs de la terre.
1 – Ce sujet a déjà été traité dans la Bible expliquée. (G.A.)