HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 4
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CHAPITRE III.
Comment le platonisme pénétra chez les Juifs.
Cependant Socrate et Platon enseignèrent dans Athènes ce dogme qu’ils tenaient de la philosophie égyptienne et de celle de Pythagore, Socrate, martyr de la divinité et de la raison, fut condamné à mort, environ trois cents ans avant notre ère, par le peuple léger, inconstant, impétueux, d’Athènes, qui se repentit bientôt de ce crime. Platon était jeune encore. Ce fut lui qui, le premier chez les Grecs, essaya de prouver, par des raisonnements métaphysiques, l’existence de l’âme et sa spiritualité, c’est-à-dire sa nature légère et aérienne, exempte de tout mélange de matière grossière ; sa permanence, après la mort du corps, ses récompenses et ses châtiments après cette mort ; et même sa résurrection avec un corps tombé en pourriture. Il réduisit cette philosophie en système dans son Phœdon, dans son Timée, et dans sa République imaginaire : il orna ses arguments d’une éloquence harmonieuse et d’images séduisantes.
Il est vrai que ses arguments ne sont pas la chose du monde la plus claire et la plus convaincante. Il prouve d’une étrange manière, dans son Phœdon, l’immortalité de l’âme dont il suppose l’existence, sans avoir jamais examiné si ce que nous nommons âme est une faculté donnée de Dieu à l’espèce animale, ou si c’est un être distinct de l’animal même. Voici ses paroles : « Ne dites-vous pas que la mort est le contraire de la vie ? – Oui. Et qu’elles naissent l’une de l’autre ? – Oui. – Et qu’est-ce donc qui naît du vivant ? – Le mort. – Et qu’est-ce qui naît du mort ? … Il faut avouer que c’est le vivant. C’est donc des morts que naissent toutes les choses vivantes ? – Il me le semble. – Et, par conséquent, les âmes vont dans les enfers après notre mort ? – La conséquence est sûre. »
C’est cet absurde galimatias de Platon (car il faut appeler les choses par leur nom) qui séduisit la Grèce. Il est vrai que ces ridicules raisonnements, qui n’ont pas même le frêle avantage d’être des sophismes, sont quelquefois embellis par de magnifiques images toutes poétiques ; mais l’imagination n’est pas la raison. Ce n’est pas assez de représenter Dieu arrangeant la matière éternelle par son logos, par son verbe ; ce n’est pas assez de faire sortir de ses mains des demi-dieux composés d’une matière très déliée, et de leur donner le pouvoir de former des hommes d’une matière plus épaisse ; ce n’est pas assez d’admettre dans le grand Dieu une espèce de trinité composé de Dieu, de son verbe, et du monde ; il poussa son roman jusqu’à dire qu’autrefois les âmes humaines avaient des ailes, que les corps des hommes avaient été doubles. Enfin, dans les dernières pages de sa République, il fit ressusciter Hérès pour conter des nouvelles de l’autre monde : mais il fallait donner quelques preuves de tout cela ; et c’est ce qu’il ne fit pas.
Aristote fut incomparablement plus sage ; il douta de ce qui n’était pas prouvé. S’il donna des règles du raisonnement, qu’on trouve aujourd’hui trop scolastiques, c’est qu’il n’avait pas pour auditeurs et pour lecteurs un Montaigne, un Charron, un Bacon, un Hobbes, un Locke, un Shaftesbury, un Bolingbroke, et les bons philosophes de nos jours. Il fallait démonter, par une méthode sûre, le faux des sophismes de Platon, qui supposait toujours ce qui est en question. Il était nécessaire d’enseigner à confondre des gens qui vous disaient franchement : « Le vivant vient du mort, donc les âmes sont dans les enfers. » Cependant le style de Platon prévalut, quoique ce style de prose poétique ne convienne point du tout à la philosophie. En vain Démocrite et ensuite Epicure combattirent les systèmes de Platon ; ce qu’il y avait de plus sublime dans son roman de l’âme fut applaudit presque généralement ; et lorsque Alexandrie fut bâtie, les Grecs qui vinrent l’habiter furent tous platoniciens.
Les Juifs, sujets d’Alexandre, comme ils l’avaient été des rois de Perse, obtinrent de ce conquérant la permission de s’établir dans la ville nouvelle dont il jeta les fondements et d’y exercer leur métier de courtiers, auquel ils s’étaient accoutumés depuis leur esclavage dans le royaume de Babylone. Il y eut une transmigration de Juifs en Egypte, sous la dynastie des Ptolémées, aussi nombreuse que celle qui s’était faite vers Babylone. Ils bâtirent quelques temples dans le Delta, dans la ville d’Héliopolis, malgré la superstition de leurs pères, qui s’étaient persuadés que le Dieu des Juifs ne pouvait être adoré que dans Jérusalem.
Alors le système de Platon, que les Alexandrins adoptèrent, fut reçu avidement de plusieurs Juifs égyptiens qui le communiquèrent aux Juifs de la Palestine.