HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 3

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CHAPITRE II.

 

Que les Juifs ignorèrent longtemps le

dogme de l’immortalité de l’âme.

 

 

 

 

          C’est beaucoup que les hommes aient pu imaginer par le seul secours du raisonnement qu’ils avaient une âme ; car les enfants n’y pensent jamais d’eux-mêmes ; ils ne sont jamais occupés que de leurs sens ; et les hommes ont dû être enfants pendant bien des siècles. Aucune nation sauvage ne connut l’existence de l’âme. Le premier pas dans la philosophie des peuples un peu policés fut de reconnaître un je ne sais quoi qui dirigeait les hommes, les animaux, les végétaux, et qui présidait à leur vie : ce je ne sais quoi ils l’appelèrent d’un nom vague et indéterminé qui répond à notre mot d’âme. Ce mot ne donna chez aucun peuple une idée distincte. Ce fut et c’est encore, et ce sera toujours une faculté, une puissance secrète, un ressort, un germe inconnu par lequel nous vivons, nous pensons, nous sentons ; par lequel les animaux se conduisent, et qui fait croître les fleurs et les fruits. De là les âmes végétatives, sensitives, intellectuelles, dont on nous a tant étourdis (1). Le dernier pas fut de conclure que notre âme subsistait après notre mort, et qu’elle recevait dans une autre vie la récompense de ses bonnes actions, ou le châtiment de ses crimes. Ce sentiment était établi dans l’Inde avec la métempsycose, il y a plus de cinq mille années. L’immortalité de cette faculté qu’on appelle âme était reçue chez les anciens Perses, chez les anciens Chaldéens ; c’était le fondement de la religion égyptienne ; et les Grecs adoptèrent bientôt cette théologie. Ces âmes étaient supposées être de petites figures légères et aériennes, ressemblantes parfaitement à nos corps. On les appelait dans toutes les langues connues de noms qui signifiaient ombres, mânes, génies, démons, spectres, lares, larves, farfadets, esprits, etc.

 

          Les brachmanes furent les premiers qui imaginèrent un monde, une planète, où Dieu emprisonna les anges rebelles, avant la formation de l’homme. C’est de toutes les théologies la plus ancienne.

 

          Les Perses avaient un enfer : on le voit par cette fable si connue qui est rapportée dans le livre de la religion des anciens Perses de notre savant Hyde (2). Dieu apparaît à un des premiers rois de Perse, il le mène en enfer ; il lui fait voir les corps de tous les princes qui ont mal gouverné : il s’en trouve un auquel il manquait un pied. Qu’avez-vous fait de son pied ? dit le Persan à Dieu. Ce coquin-là, répond Dieu, n’a fait qu’une action honnête en sa vie : il rencontra un âne lié à une auge, mais si éloignée de lui, qu’il ne pouvait manger. Le roi eut pitié de l’âne, il donna un coup de pied à l’auge, l’approcha, et l’âne mangea. J’ai mis ce pied dans le ciel, et le reste de son corps en enfer.

 

          On connaît le Tartare des Egyptiens, imité par les Grecs, et adopté par les Romains. Qui ne sait combien de dieux et de fils de dieux ces Grecs et ces Romains forgèrent depuis Bacchus, Persée et Hercule, et comme ils remplirent l’enfer d’Ixions et de Tantales ?

 

          Les Juifs ne surent jamais rien de cette théologie. Ils eurent la leur, qui se borna à promettre du blé, du vin et de l’huile à ceux qui obéiront au Seigneur en égorgeant tous les ennemis d’Israël ; et à menacer de la rogne et d’ulcères dans le gras des jambes, et dans le fondement, tous ceux qui désobéiront (3) : mais d’âmes, de punitions dans les enfers, de récompenses dans le ciel, d’immortalité, de résurrection, il n’en est dit un seul mot ni dans leurs lois, ni chez leurs prophètes.

 

          Quelques écrivains, plus zélés qu’instruits, ont prétendu que si le Lévitique et le Deutéronome ne parlent jamais en effet de l’immortalité de l’âme, et de récompenses ou de châtiments après la mort, il y a pourtant des passages dans d’autres livres du canon juif, qui pourraient faire soupçonner que quelques Juifs connaissaient l’immortalité de l’âme. Ils allèguent, et ils corrompent ce verset de Job : « Je crois que mon protecteur vit, et que dans quelques jours je me relèverai de terre : ma peau tombée en lambeaux se consolidera. Tremblez alors, craignez la vengeance de mon épée. »

 

          Ils se sont imaginé que ces mots, « Je me relèverai, » signifiaient « Je ressusciterai après ma mort. » Mais alors comment ceux auxquels Job répond auraient-ils à craindre son épée ? Quel rapport entre la gale de Job et l’immortalité de l’âme ?

 

          Une des plus lourdes bévues des commentateurs est de n’avoir pas songé que ce Job n’était point Juif, qu’il était Arabe, et qu’il n’y a pas un mot dans ce drame antique de Job qui ait la moindre connexité avec les lois de la nation judaïque.

 

          D’autres, abusant des fautes innombrables de la traduction latine appelée Vulgate, trouvent l’immortalité de l’âme et l’enfer des Grecs dans ces paroles que Jacob prononce (4), en déplorant la perte de son fils Joseph, que les patriarches ses frères avaient vendu comme esclave à des marchands arabes, et qu’ils faisaient passer pour mort  Je mourrai de douleur, je descendrai avec mon fils dans la fosse. La Vulgate a traduit souterrain. Mais quelle sottise de supposer que Jacob ait dit : « Je descendrai en enfer, je serai damné, parce que mes enfants m’ont dit que mon fils Joseph a été mangé par des bêtes sauvages ! » C’est ainsi qu’on a corrompu presque tous les anciens livres par des équivoques absurdes. C’est ainsi qu’on s’est servi de ces équivoques pour tromper les hommes (5).

 

          Certainement le crime des enfants de Jacob et la douleur du père n’ont rien de commun avec l’immortalité de l’âme. Tous les théologiens sensés, tous les bons critiques en conviennent : tous avouent que l’autre vie et l’enfer furent inconnus aux Juifs jusqu’au temps d’Hérode. Le docteur Arnauld, fameux théologien de Paris, dit en propres mots, dans son Apologie de Port-Royal : « C’est le comble de l’ignorance de mettre en doute cette vérité qui est des plus communes, et qui est attestée par tous les Pères, que les promesses de l’ancien Testament n’étaient que temporelles et terrestres, et que les Juifs n’adoraient Dieu que pour des biens charnels. » Notre sage Middleton (6) a rendu cette vérité sensible.

 

          Notre évêque Warburton, déjà connu par son Commentaire sur Shakespeare, a démontré en dernier lieu que la loi mosaïque ne dit pas un seul mot de l’immortalité de l’âme, dogme enseigné par tous les législateurs précédents. Il est vrai qu’il en tire une conclusion qui l’a fait siffler dans nos trois royaumes. La loi mosaïque, dit-il, ne connaît point l’autre vie ; donc cette loi est divine. Il a même soutenu cette assertion avec l’insolence la plus grossière. On sent bien qu’il a voulu prévenir le reproche d’incrédulité, et qu’il s’est réduit lui-même à soutenir la vérité par une sottise ; mais enfin cette sottise ne détruit pas cette vérité si claire et si démontrée.

 

          L’on peut encore ajouter que la religion des Juifs ne fut fixe et constante qu’après Esdras. Ils n’avaient adoré que des dieux étrangers et des étoiles lorsqu’ils erraient dans les déserts, si l’on en croit Ezéchiel, Amos, et saint Etienne (7).          La tribu de Dan adora longtemps les idoles de Michas (8) ; et un petit-fils de Moïse, nommé Eléazar, était le prêtre de ces idoles, gagé par toute la tribu.

 

          Salomon fut publiquement idolâtre. Les melchim ou rois d’Israël adorèrent presque tous le dieu syriaque Ball. Les nouveaux Samaritains, du temps du roi de Babylone, prirent pour leurs dieux Sochothbénoth, Nergel, Adramélech, etc.

 

          Sous les malheureux régules de la tribu de Juda, Ezéchias, Manassé, Josias, il est dit que les Juifs adoraient Baal et Moloch ; qu’ils sacrifiaient leurs enfants dans la vallée de Topheth. On trouva enfin le Pentateuque du temps du melck ou roitelet Josias ; mais bientôt après Jérusalem fut détruite, et les tribus de Juda et de Benjamin furent menées en esclavage dans les provinces babyloniennes.

 

          Ce fut là, très vraisemblablement, que plusieurs Juifs se firent courtiers et fripiers : la nécessité fit leur industrie. Quelques-uns acquirent assez de richesses pour acheter du roi que nous nommons Cyrus la permission de rebâtir à Jérusalem un petit temple de bois sur des assises de pierres brutes, et de relever quelques pans de murailles. Il est dit dans le livre d’Esdras qu’il revint dans Jérusalem quarante-deux mille trois cent soixante personnes, toutes fort pauvres. Il les compte famille par famille, et il se trompe dans son calcul, au point qu’en additionnant le tout on ne trouve que vingt-neuf mille neuf cent dix-huit personnes. Une autre erreur de calcul subsiste dans le dénombrement de Néhémie ; et une bévue encore plus grande est dans l’édit de Cyrus, qu’Esdras rapporte. Il fait parler ainsi le conquérant Cyrus : « Adonaï le Dieu du ciel m’a donné tous les royaumes de la terre, et m’a commandé de lui bâtir un temple dans Jérusalem qui est en Judée. » On a très bien remarqué que c’est précisément comme si un prêtre grec faisait dire au grand Turc : Saint Pierre et saint Paul m’ont donné tous les royaumes du monde, et m’ont commandé de leur bâtir une maison dans Athènes, qui est en Grèce.

 

          Si l’on en croit Esdras, Cyrus, par le même édit, ordonna que les pauvres qui étaient venus à Jérusalem fussent secourus par les riches qui n’avaient pas voulu quitter la Chaldée, où ils se trouvaient très bien, pour un territoire de cailloux où l’on manquait de tout, et où même on n’avait pas d’eau à boire pendant six mois de l’année. Mais, soit riches, soit pauvres, il est constant qu’aucun Juif de ce temps-là ne nous a laissé la plus légère notion de l’immortalité de l’âme.

 

 

 

 

1 – Voyez l’Homme-machine, l’Homme-plante, de La Mettrie (G.A.)

 

2 – L’Anglais Hyde (1636-1763) a publié en 1700 : Veterum Persarum et magorum religionis historia. (G.A.)

 

3 – Voyez le Deutéronome. (Voltaire.)

 

4 – Voyez la Genèse. (Voltaire.)

 

5 – Voyez dans la Bible expliquée et dans le Dictionnaire philosophique nos notes à ce sujet. (G.A.)

 

6 – Dans son Examen des discours de Sherlok sur l’usage et l’esprit des prophéties.(1750). (G.A.)

 

7 – Ezéchiel, ch. XX .

 

8 – Voyez l’Histoire de Michas, dans les Juges, ch. XVII et suivant. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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