LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 31

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 31

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,

 

 

SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS

D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.

 

 

 

- Partie 31 -

 

 

 

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DU CURÉ MESLIER.

 

 

 

 

          Le curé Meslier est le plus singulier phénomène qu’on ait vu parmi tous ces météores funestes à la religion chrétienne. Il était curé du village d’Etrepigni en Champagne, près de Rocroi, et desservait aussi une petite paroisse annexe, nommée But. Son père était un ouvrier en serge, du village de Mazerni dépendant du duché de Rethel-Mazerin. Cet homme, de mœurs irréprochables, et assidu à tous ses devoirs, donnait tous les ans aux pauvres de ses paroisses ce qui lui restait de son revenu. Il mourut en 1733, âgé de cinquante-cinq ans. On fut bien surpris de trouver chez lui trois gros manuscrits de trois cent soixante et six feuillets chacun, tous trois de sa main, et signés de lui, intitulé Mon testament (1). Il avait écrit sur un papier gris qui enveloppait un des trois exemplaires adressés à ses paroissiens, ces paroles remarquables :

 

 

    « J’ai vu et reconnu les erreurs, les abus, les vanités, les folies, les méchancetés des hommes. Je les hais et déteste ; je n’ai osé le dire pendant ma vie ; mais je le dirai au moins en mourant ; et c’est afin qu’on le sache que j’écris ce présent mémoire, afin qu’il puisse servir de témoignage à la vérité, à tous ceux qui le verront et qui le liront, si bon leur semble. »

 

 

          Le corps de l’ouvrage est une réfutation naïve et grossière de tous nos dogmes, sans en excepter un seul. Le style est très rebutant, tel qu’on devait l’attendre d’un curé de village. Il n’avait eu d’autres secours pour composer cet étrange écrit contre la Bible et contre l’Eglise, que la Bible elle-même, et quelques Pères. Des trois exemplaires, il y en eut un que le grand-vicaire de Reims retint, un autre fut envoyé à M. le garde-des-sceaux Chauvelin, le troisième resta au greffe de la justice du lieu. Le comte de Caylus (2) eut quelque temps entre les mains une de ces trois copies ; et bientôt après il y en eut plus de cent dans Paris, que l’on vendait dix louis la pièce. Plusieurs curieux conservent encore ce triste et dangereux monument. Un prêtre, qui s’accuse en mourant d’avoir professé et enseigné la religion chrétienne, fit une impression plus forte sur les esprits que les Pensées de Pascal.

 

          On devait plutôt, ce me semble, réfléchir sur le travers d’esprit de ce mélancolique prêtre, qui voulait délivrer ses paroissiens du joug d’une religion prêchée vingt ans par lui-même. Pourquoi adresser ce testament à des hommes agrestes qui ne savaient pas lire ? et s’ils avaient pu lire, pourquoi leur ôter un joug salutaire, une crainte nécessaire qui seule peut prévenir les crimes secrets ? La croyance des peines et des récompenses après la mort est un frein dont le peuple a besoin. La religion bien épurée serait le premier lien de la société.

 

          Ce curé voulait anéantir toute religion, et même la naturelle. Si son livre avait été bien fait, le caractère dont l’auteur était revêtu en aurait trop imposé aux lecteurs. On en a fait plusieurs petits abrégés, dont quelques-uns ont été imprimés : ils sont heureusement purgés du poison de l’athéisme (3).

 

          Ce qui est encore plus surprenant, c’est que dans le même temps il y eut un curé de Bonne-Nouvelle auprès de Paris, qui osa de son vivant écrire contre la religion qu’il était chargé d’enseigner : il fut exilé sans bruit par le gouvernement. Son manuscrit est d’une rareté extrême.

 

          Longtemps avant ce temps-là l’évêque du Mans, Lavardin, avait donné en mourant un exemple non moins singulier : il ne laissa pas, à la vérité, de testament contre la religion qui lui avait procuré un évêché ; mais il déclara qu’il la détestait ; il refusa les sacrements de l’Eglise, et jura qu’il n’avait jamais consacré le pain et le vin en disant la messe, ni eu aucune intention de baptiser les enfants et de donner les ordres, quand il avait baptisé des chrétiens et ordonné des diacres et des prêtres. Cet évêque se faisait un plaisir malin d’embarrasser tous ceux qui auraient reçu de lui les sacrements de l’Eglise : il riait en mourant des scrupules qu’ils auraient, et il jouissait de leurs inquiétudes : on décida qu’on ne rebaptiserait et qu’on ne réordonnerait personne ; mais quelques prêtres scrupuleux se firent ordonner une seconde fois. Du moins l’évêque Lavardin ne laissa point après lui de monuments contre la religion chrétienne : c’était un voluptueux qui riait de tout ; au lieu que le curé Merlier était un homme sombre et un enthousiaste, d’une vertu rigide, il est vrai, mais plus dangereux par cette vertu même.

 

 

 

 

1 – Voyez l’Extrait des sentiments de Jean Meslier. (G.A.)

 

2 – Célèbre antiquaire, fils de la marquise de Caylus dont Voltaire publia les Mémoires. (G.A.)

 

3 – Voyez notre Avertissement sur l’Extrait des sentiments de Jean Meslier. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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