LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 24
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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,
SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS
D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.
- Partie 24 -
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DE BAYLE.
Cependant s’élevait alors, et depuis plusieurs années, l’immortel Bayle, le premier des dialecticiens et des philosophes sceptiques. Il avait déjà donné ses Pensées sur la comète, ses Réponses aux questions d’un provincial, et enfin son Dictionnaire de raisonnement. Ses plus grands ennemis sont forcés d’avouer qu’il n’y a pas une seule ligne dans ses ouvrages qui soit un blasphème évident contre la religion chrétienne ; mais ses plus grands défenseurs avouent que dans les articles de controverse, il n’y a pas une seule page qui ne conduise le lecteur au doute, et souvent à l’incrédulité. On ne pouvait le convaincre d’être impie ; mais il faisait des impies, en mettant les objections contre nos dogmes dans un jour si lumineux, qu’il n’était pas possible à une foi médiocre de n’être pas ébranlée ; et malheureusement la plus grande partie des lecteurs n’a qu’une foi très médiocre.
Il est rapporté dans un de des Dictionnaires historiques (1), où la vérité est si souvent mêlée avec le mensonge, que le cardinal de Polignac, en passant par Rotterdam, demanda à Bayle s’il était anglican, ou luthérien, ou calviniste, et qu’il répondit : « Je suis protestant, car je proteste contre toutes les religions. » En premier lieu, le cardinal de Polignac ne passa jamais par Rotterdam, que lorsqu’il alla conclure la paix d’Utrecht en 1713, après la mort de Bayle.
Secondement, ce savant prélat n’ignorait pas que Bayle, né calviniste, au pays de Foix, et n’ayant jamais été en Angleterre ni en Allemagne, n’était ni anglican ni luthérien.
Troisièmement, il était trop poli pour aller demander à un homme de quelle religion il était. Il est vrai que Bayle avait dit quelquefois ce qu’on lui fait dire : il ajoutait qu’il était comme Jupiter assemble-nuages d’Homère. C’était d’ailleurs un homme de mœurs réglées et simples, un vrai philosophe dans toute l’étendue de ces mots. Il mourut subitement après avoir écrit ces mots : Voilà ce que c’est que la vérité.
Il l’avait cherchée toute sa vie, et n’avait trouvé partout que des erreurs (2).
Après lui, on a été beaucoup plus loin. Les Maillet, les Boulainvilliers, les Boulanger, les Meslier, le savant Fréret, le dialecticien Dumassais, l’intempérant Lamétrie, et bien d’autres, ont attaqué la religion chrétienne avec autant d’acharnement que les Porphyre, les Celse, et les Julien.
J’ai souvent recherché ce qui pouvait déterminer tant d’écrivains modernes à déployer cette haine contre le christianisme. Quelques-uns m’ont répondu que les écrits des nouveaux apologistes de notre religion les avaient indignés ; que si ces apologistes de notre religion les avaient indignés ; que si ces apologistes avaient écrit avec la modération que leur cause devait leur inspirer, on n’aurait pas pensé à s’élever contre eux ; mais que leur bile donnait de la bile ; que leur colère faisait naître la colère ; que le mépris qu’ils affectaient pour les philosophes excitait le mépris ; de sorte qu’enfin il est arrivé entre les défenseurs et les ennemis du christianisme, ce qu’on avait vu entre toutes les communions : on a écrit de part et d’autre avec emportement ; on a mêlé les outrages aux arguments.
1 – Celui de Chaudon. (G.A.)
2 – Voyez Siècle de Louis XIV, Catalogue. (G.A.)