LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 22

Publié le par loveVoltaire

LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 22

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,

 

 

SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS

D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.

 

 

 

- Partie 22 -

 

 

 

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DE FONTENELLE.

 

 

 

 

          Bernard de Fontenelle, depuis secrétaire de l’Académie des sciences, eut une secousse plus vive à soutenir. Il fit insérer, en 1686, dans la République des lettres de Bayle, une Relation de l’île de Bornéo fort ingénieuse ; c’était une allégorie sur Rome et Genève ; elles étaient désignées sous le nom de deux sœurs, Mero et Enegue. Mero était une magicienne tyrannique ; elle exigeait que ses sujets vinssent lui déclarer leurs plus secrètes pensées, et qu’ensuite ils lui apportassent tout leur argent. Il fallait, avant de venir baiser ses pieds, adorer les os des morts ; et souvent, quand on voulait déjeuner, elle faisait disparaître le pain. Enfin, ses sortilèges et ses fureurs soulevèrent un grand parti contre elle ; et sa sœur Enegue lui enleva la moitié de son royaume.

 

          Bayle n’entendit pas d’abord la plaisanterie ; mais l’abbé Terrasson l’ayant commentée, elle fit beaucoup de bruit. C’était dans le temps de la révocation de l’édit de Nantes. Fontenelle courait risque d’être enfermé à la Bastille. Il eut la bassesse de faire d’assez mauvais vers à l’honneur de cette révocation, et à celui des jésuites ; on les inséra dans un mauvais recueil intitulé le Triomphe de la religion sous Louis-le-Grand, imprimé à Paris chez Langlois, en 1687.

 

          Mais ayant depuis rédigé en français avec un grand succès la savante Histoire des oracles de Van Dale, les jésuites le persécutèrent. Letellier, confesseur de Louis XIV, rappelant l’allégorie de Mero et d’Eneque, aurait voulu le traiter comme le jésuite Voisin avait traité Théophile. Il sollicita une lettre de cachet contre lui. Le célèbre garde des sceaux d’Argenson, alors lieutenant de police, sauva Fontenelle de la fureur de Letellier. S’il avait fallu choisir un athéiste entre Fontenelle et Letellier, c’était sur le calomniateur Letellier que devait tomber le soupçon.

 

          Cette anecdote est plus importante que toutes les bagatelles littéraires dont l’abbé Trublet a fait un gros volume concernant Fontenelle (1). Elle apprend combien la philosophie est dangereuse quand un fanatique, ou un fripon, ou un moine qui est l’un et l’autre, a malheureusement l’oreille du prince. C’est un danger, monseigneur, auquel on ne sera jamais exposé auprès de vous.

 

 

 

 

 

1 – Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de M. de Fontenelle. 1759-1761. Il compilait, compilait, compilait, a dit Voltaire de cet abbé dans la satire du Pauvre diable. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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