LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 19
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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,
SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS
D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.
- Partie 19 -
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DE DES-BARREAUX.
Le conseiller au parlement Des-Barreaux, qui dans sa jeunesse avait été ami de Théophile, et qui ne l’avait pas abandonné dans sa disgrâce, passa constamment pour un athée. Et sur quoi ? sur un conte qu’on fait de lui, sur l’aventure de l’omelette au lard. Un jeune homme à saillies libertines peut très bien dans un cabaret manger gras un samedi, et pendant un orage mêlé de tonnerre jeter le plat par la fenêtre, en disant : Voilà bien du bruit pour une omelette au lard, sans pour cela mériter l’affreuse accusation d’athéisme. C’est sans doute une très grande irrévérence ; c’est insulter l’Eglise dans laquelle il était né ; c’est se moquer de l’institution des jours maigres ; mais ce n’est pas nier l’existence de Dieu.
Ce qui lui donna cette réputation, ce fut principalement l’indiscrète témérité de Boileau, qui, dans sa Satire des femmes, laquelle n’est pas sa meilleure, dit qu’il a vu plus d’un Capanée,
Du tonnerre dans l’air bravant les vains carreaux,
Et nous parlant de Dieu du ton de Des-Barreaux.
Jamais ce magistrat n’écrivit rien contre la Divinité. Il n’est pas permis de flétrir du nom d’athée un homme de mérite contre lequel on n’a aucune preuve ; cela est indigne. On a imputé à Des-Barreaux le fameux sonnet qui finit ainsi :
Tonne, frappe, il est temps ; rends-moi guerre pour guerre.
J’adore en périssant la raison qui t’aigrit ;
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?
Ce sonnet ne vaut rien du tout. Jésus-Christ en vers n’est pas tolérable ; rends-moi guerre n’est pas français ; guerre pour guerre est très plat, et dessus quel endroit est détestable. Ces vers sont de l’abbé de Lavau ; et Des-Barreaux fut toujours très fâché qu’on les lui attribuât. C’est ce même abbé de Lavau qui fit cette abominable épigramme sur le mausolée élevé dans Saint-Eustache à l’honneur de Lulli :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Laissez tomber, sans plus attendre,
Sur ce buste honteux votre fatal rideau ;
Et ne montrez que le flambeau
Qui devrait avoir mis l’original en cendre (1).
1 – Voyez encore sur Des-Barreaux le Catalogue des écrivains dans le Siècle de Louis XIV. (G.A.)