LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 17

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,

 

 

SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS

D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.

 

 

 

- Partie 17 -

 

 

 

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DE BONAVENTURE DESPERIERS.

 

 

 

 

 

          Un des premiers exemples en France de la persécution fondée sur des terreurs paniques, fut le vacarme étrange qui dura si longtemps au sujet du Cymbalum mundi (1), petit livret d’une cinquantaine de pages tout au plus. L’auteur, Bonaventure Desperiers, vivait au commencement du seizième siècle. Ce Desperiers était domestique de Marguerite de Valois, sœur de François Ier. Les lettres commençaient alors à renaître. Desperiers voulut faire en latin quelques dialogues dans le goût de Lucien : il composa quatre dialogues très insipides sur les prédictions, sur la pierre philosophale, sur un cheval qui parle, sur les chiens d’Actéon. Il n’y a pas assurément, dans tout ce fatras de plat écolier, un seul mot qui ait le moindre et le plus éloigné rapport aux choses que nous devons révérer.

 

          On persuada à quelques docteurs qu’ils étaient désignés par les chiens et par les chevaux. Pour les chevaux, ils n’étaient pas accoutumés à cet honneur. Les docteurs aboyèrent ; aussitôt l’ouvrage fut recherché, traduit en langue vulgaire, et imprimé ; et chaque fainéant d’y trouver des allusions ; et les docteurs de crier à l’hérétique, à l’impie, à l’athée. Le livret fut déféré aux magistrats, le libraire Morin mis en prison, et l’auteur en de grandes angoisses.

 

          L’injustice de la persécution frappa si fortement le cerveau de Bonaventure, qu’il se tua de son épée dans le palais de Marguerite (2). Toutes les langues des prédicateurs, toutes les plumes des théologiens, s’exercèrent sur cette mort funeste. Il s’est défait lui-même ; donc il était coupable ; donc il ne croyait point en Dieu ; donc son petit livre, que personne n’avait pourtant la patience de lire, était le catéchisme des athées : chacun le dit, chacun le crut : Credidi propter quod locutus sum, j’ai cru parce que j’ai parlé, est la devise des hommes. On répète une sottise, et à force de la redire on en est persuadé.

 

          Le livre devint d’une rareté extrême, nouvelle raison pour le croire infernal. Tous les auteurs d’anecdotes littéraires et de dictionnaires n’ont pas manqué d’affirmer que le Cymbalum mundi est le précurseur de Spinosa.

 

          Nous avons encore un ouvrage d’un conseiller de Bourges, nommé Catherinot, très digne des armes de Bourges (3). Ce grand juge dit : Nous avons deux livres impies que je n’ai jamais vus : l’un, De tribus Impostoribus, l’autre, le Cymbalum mundi. Eh ! mon ami, si tu ne les as pas vus, pourquoi en parles-tu ?

 

          Le minime Mersenne, ce facteur de Descartes, le même qui donne douze apôtres à Vanini, dit de Bonaventure Desperiers : « C’est un monstre et un fripon, d’une impiété achevée. » Vous remarquerez qu’il n’avait pas lu son livre. Il n’en restait plus que deux exemplaires dans l’Europe quand Prosper Marchand le réimprima à Amsterdam, en 1711. Alors le voile fut tiré ; on ne cria plus à l’impiété, à l’athéisme ; on cria à l’ennui, et on n’en parla plus.

 

 

1 – Le Cymbalum est de 1538. (G.A.)

 

2 – Selon Henri Estienne. On conteste le fait. (G.A.)

 

3 – Les armes de Bourges sont : un âne assis dans un fauteuil. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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