COLLECTION D’ANCIENS ÉVANGILES - Partie 2
Photo de PAPAPOUSS
COLLECTION D’ANCIENS ÉVANGILES
ou
MONUMENTS DU PREMIER SIÈCLE DU CRISTIANISME,
(Partie 2)
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AVANT-PROPOS.
En publiant cette traduction de quelques anciens ouvrages apocryphes, on n’a pas cru devoir justifier par l’exemple de Cicéron, de Virgile et d’Homère, les idiotismes (1) et les répétitions qui choqueraient dans un écrit profane. Jésus ayant expressément déclaré qu’il avait été envoyé pour prêcher l’Evangile aux pauvres, ses disciples, à son exemple, n’affectèrent jamais le langage étudié d’une sagesse humaine.
Saint-Luc avoue à Théophile qu’on avait composé plusieurs Evangiles avant qu’il lui dédiât le sien et ses Actes des apôtres. Cependant les Constitutions apostoliques ne recommandent la lecture que des Evangiles de Matthieu, de Jean, de Luc, et de Marc. Et la principale raison qu’en donne saint Irénée, c’est que le prophète David, pour demander l’avènement du Verbe, s’écrie : Vous qui êtes assis sur le chérubin, apparaissez. Or, selon Ezéchiel et l’Apocalypse le chérubin ayant la figure de quatre animaux, le lion désigne la génération royale de Jésus écrite par Jean ; le veau, sa génération sacerdotale décrite par Luc ; l’homme, sa génération humaine racontée par Matthieu ; et l’aigle volant, l’esprit prophétique dont Marc est saisi en commençant son Evangile. C’est pour cela qu’il n’y a eu que quatre Testaments donnés au genre humain : le premier avant le déluge, sous Adam ; le second après le déluge, sous Noé ; le troisième, la loi sous Moïse ; et le quatrième, comme le sommaire de tous les autres, renouvelle l’homme et l’élève vers le royaume céleste par l’Evangile. Aussi conclut-il qu’il y aurait autant de vanité que d’ignorance et d’audace à recevoir plus ou moins de quatre Evangiles.
Saint-Ambroise, saint Athanase et saint Augustin font à la vérité chacun une association différente des quatre animaux et des quatre évangélistes ; mais saint Jérôme, qui attribue l’aigle à Jean, le bœuf à Luc, le lion à Marc, et l’homme à Matthieu, a été suivi par Fulgence, Eucher de Lyon, Sédulius, Théodulphe d’Orléans, Pierre de Riga, et par un très grand nombre d’autres modernes tant latins que grecs, comme il paraît par Germain, patriarche de Constantinople ; en un mot, par toute la foule des peintres.
Ces quatre Evangiles furent authentiques par opposition aux autres nommés apocryphes. On trouve ces deux mots grecs dans l’appendice du concile de Nicée, où il est dit qu’après avoir placé pêle-mêle les livres apocryphes et les livres authentiques sur l’autel, les Pères prièrent ardemment le Seigneur que les premiers tombassent sous l’autel, tandis que ceux qui avaient été inspirés par le Saint-Esprit resteraient dessus, ce qui arriva sur-le-champ.
Nicéphore, Baronius, et Aurelius nous apprennent d’ailleurs que deux évêques nommés Chrysante et Musonius étant morts pendant la tenue du concile de Nicée, premier œcuménique, il était nécessaire d’avoir leur signature, pour la validité dudit concile. On porta sur le tombeau des défunts le livre où étaient renfermés les actes divisés par sessions : on passa la nuit en oraison ; on mit des gardes autour du tombeau, comme on avait fait autour de celui de notre Seigneur, et le lendemain on trouva (ô chose incroyable !) que les trépassés avaient signé.
Comme le pape Léon Ier fit ensuite livrer aux flammes les écritures apocryphes, qui passaient sous le nom des apôtres, il n’y en a qu’un petit nombre qui soient parvenues jusqu’à nous, et l’on ne connaît plus des autres que les noms et quelques fragments épars dans les écrivains ecclésiastiques, Saint Jérôme, par exemple, fait mention de l’Evangile selon les Egyptiens, de celui de Thomas, de Mathias, de Barthélemy, des douze apôtres, de Basilides, d’Apelles, et ajoute qu’il serait trop long de faire l’énumération des autres.
Un décret connu sous le nom du pape Gélase, quoique quelques manuscrits l’attribuent au pape Damase et d’autres au pape Hormisdas, note comme apocryphe l’Itinéraire de Pierre apôtre en dix livres sous le nom de Saint Clément, les Actes d’André apôtre, de Philippe apôtre, de Pierre apôtre, de Thomas, apôtre, de Barnabé, de Jacques-le-Mineur, de Pierre apôtre, de Barthélemi apôtre, d’André apôtre, de Lucien, d’Hésyque ; le Livre de l’Enfance du Sauveur, de la Naissance du Sauveur et de Sainte Marie et de sa sage-femme, du Pasteur, de Lenticius, les Actes de Thècle et de Paul apôtre ; la Révélation de Thomas apôtre, de Paul apôtre, d’Etienne apôtre, le Livre du trépas de sainte Marie ; ceux qu’on appelle les Sorts des apôtres ; et la Louange des apôtres ; celui des Canons des apôtres ; l’Epître de Jésus au roi Abgare.
Les Actes de Pierre, son Evangile, et ceux de Thaddée, de Jacques-le-Mineur, et d’André, ne se trouvent pas dans quelques manuscrits de ce décret. Le savant Fabricius a publié une notice de cinquante Evangiles apocryphes, que l’on trouvera dans ce recueil avant la traduction des quatre conservés en entier.
A tant d’écrits dictés par un zèle qui n’était point selon la science, les ennemis du christianisme ne manquèrent pas d’en opposer d’autres qu’ils décoraient des mêmes titres. Pour ne parler d’abord que des Evangiles, saint Irénée dit que les disciples de Valentin étaient parvenus à un tel point d’audace, qu’ils donnaient le titre d’Evangile de vérité à un écrit qui ne s’accordait en rien avec les Evangiles des apôtres ; de sorte, ajoute-t-il, que chez eux l’Evangile même n’est pas sans blasphème.
Tertullien nous apprend que cette infamie avait commencé par les Juifs, et que par eux, et à cause d’eux, le nom du Seigneur est blasphémé parmi les nations. En effet, au rapport de saint Justin, d’Eusèbe, et de Nicéphore, les Juifs de la Palestine avaient envoyé dans toutes les parties du monde, tant par mer que par terre, des écrits remplis de blasphèmes contre Jésus, pour les faire publier et même enseigner à la jeunesse dans les écoles des villes et des champs.
Quoique les empereurs Constantin et Théodose aient donné chacun un édit portant ordre sous peine de mort de brûler tous les écrits contre la religion des chrétiens, on trouve encore des traces des blasphèmes des Juifs dans les Actes de Pilate, mieux connus sous le nom d’Evangile de Nicodème. On y lit que les Juifs, en présence de Pilate, reprochèrent à Jésus qu’il était magicien et né de la fornication.
On ne doutera pas que ce ne soit là le blasphème de l’Evangile de vérité, si l’on fait attention qu’Origène témoigne que Celse intitulait Discours de vérité un ouvrage dans lequel il faisait reprocher par un Juif à Jésus d’avoir supposé qu’il devait sa naissance à une vierge, d’être originaire d’un petit hameau de la Judée, et d’avoir eu pour mère une pauvre villageoise qui ne vivait que de son travail, laquelle ayant été convaincue d’adultère avec un soldat nommé Panther, fut chassée par son fiancé qui était charpentier de profession ; qu’après cet affront, errant misérablement de lieu en lieu, elle accoucha secrètement de Jésus ; que lui, se trouvant dans la nécessité, fut contraint de s’aller louer en Egypte, où ayant appris quelques-uns de ces secrets que les Egyptiens font tant valoir, il retourna dans son pays, et que, tout fier des miracles qu’il savait faire, il se proclama lui-même Dieu.
Cet écrit pernicieux, quoique réfuté par Origène, fit cependant une telle impression, que deux Pères écrivirent sérieusement qu’en effet Jésus avait été appelé fils de Panther, et cela, dit saint Epiphane, parce que Josèphe était frère de Cléophas fils de Jacques surnommé Panther, engendrés tous les deux d’un nommé Panther. Et selon saint Damascène, parce que Marie était fille de Joachim fils de Bar-Panther, fils de Panther.
Comme ces surnoms ne se trouvent point dans les deux généalogies différentes de Jésus, écrites l’une par saint Matthieu, l’autre par saint Luc, l’Eglise s’en est tenue au conseil de saint Paul, de ne point s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin, qui produisent plutôt des doutes que l’édification de Dieu, qui est dans la foi.
Lactance remarque aussi qu’Hiéroclès avait pris le titre d’amateur de la vérité, dans deux livres adressés aux chrétiens. Il ajoutait aux blasphèmes de Celse, que le Christ ayant été chassé par les Juifs, rassembla une troupe de neuf cents hommes, avec lesquels il fit le métier de brigand. Ces nouvelles calomnies furent aussi aisément réfutées par Eusèbe de Césarée que celles de Celse l’avaient été par Origène.
J’ai honte de parler ici d’autres ouvrages encore subsistants. L’Arétin, par exemple, compare Marie à Léda, qui devint enceinte de Jupiter, transformé en cygne, comme si c’était en cette occasion que l’Esprit saint eût pris la forme d’un pigeon. Le jésuite Sanchez, agitant de bonne foi la question, si la vierge Marie fournit de la semence dans l’incarnation du Christ, s’autorise pour l’affirmative du sentiment de Suarez et de Pero Mato. Ces théologiens ignoraient-ils que tout ce qui concerne ce mystère ineffable est si au-dessus des lumières de notre faible raison, qu’il fallut que Dieu révélât son fils à Pierre et à Paul avant de confier au premier l’Evangile de la circoncision, et au second l’Evangile du prépuce ?
Il en a été des Actes des apôtres tout comme des Evangiles. L’imposture des méchants et la pieuse curiosité des simples les ont également multipliés. Outre les actes apocryphes mentionnés dans le décret de Gélase, saint Epiphane dit que les ébionites en avaient supposé, dans lesquels ils prétendaient que Paul était né d’un père et d’une mère gentils, et qu’étant venu demeurer à Jérusalem, il devint prosélyte, et fut circoncis dans l’espérance d’épouser la fille du pontife ; mais que n’ayant pas eu cette vierge, ou bien ne l’ayant pas eue vierge, il en fut si irrité, qu’il écrivit contre la circoncision, contre le sabbat, et contre toute la loi. Cette assertion paraissait fondée sur ce que Paul lui-même se dit natif de Tarse en Cilicie, dans les Actes authentiques écrits par Luc ; mais Fabricius en cite un manuscrit grec, dans lequel Paul ne dit pas qu’il est né à Tarse , mais qu’il a été fait citoyen de cette ville ; et saint Jérôme lui-même si savant dans les langues, vient à l’appui de ce sentiment. Dans deux de ses ouvrages, il fait naître Paul à Giscala, ville de la Galilée.
Sur ce que le même Paul écrit à Thimothée, qu’Hermogènes et Démas l’ont abandonné, et qu’il lui parle en même temps des grandes persécutions et des souffrances qu’il avait essuyées à Icone et à Antioche, un de ses disciples, pour suppléer aux Actes des apôtres, qui n’en disent qu’un mot, composa les Actes de Thècle et de Paul. Cet ouvrage a été si célèbre autrefois, que l’on ne sera pas fâché d’en trouver ici le précis avec les noms des Pères qui l’ont cité.
Lorsque Paul, dit l’auteur, après sa fuite d’Antioche, s’en allait à Icone, deux hommes pleins d’hypocrisie, Démas et Hermogènes, se joignirent à lui. Cependant un certain Onésiphore, avec sa femme Lectre et ses enfants Simmie et Zénon, vint l’attendre sur le chemin royal qui conduit à Lystres, pour le recevoir chez lui. Comme il n’avait jamais vu Paul, il le reconnut à sa taille courte, sa tête chauve, ses cuisses courbes, ses grosses jambes, ses sourcils joints, et son nez aquilin. C’était là le signalement que Tite en avait donné.
Comme Paul prêchait à Icone, la vierge Thècle, qui était fiancée à un prince de la ville, nommé Thamyris, passait les jours et les nuits à l’écouter de la fenêtre de sa maison, voisine de celle d’Onésiphore, où se tenait l’assemblée. Elle n’avait point encore vu la figure de Paul ; mais elle désirait de paraître devant lui, et d’être du nombre des femmes et des vierges qu’elle y voyait entrer. Théoclia, sa mère, fit avertir son gendre qu’il y avait trois jours que Thècle, séduite par les discours trompeurs de cet étranger, oubliait de boire et de manger.
Les tendres représentations de Thamyris pour la détourner des discours de Paul, furent aussi vaines que les larmes de la mère et des servantes. Thamyris alors, voyant sortir d’auprès de Paul deux hommes qui se querellaient vivement, les alla joindre dans la rue et les invita à souper, ce qu’ils acceptèrent. Ces deux hypocrites, Démas et Hermogènes, gagnés par la bonne chère et les grands présents que leur fit Thamyris, lui déclarèrent que Paul empêchait les jeunes gens de se marier, en leur persuadant que la résurrection ne sera que pour ceux qui persévéreront dans la chasteté. Vous n’avez, ajoutèrent-ils, qu’à le faire conduire au gouverneur comme enseignant la nouvelle doctrine des chrétiens ; et, suivant le décret de César, on le fera mourir, et vous aurez votre fiancée, à laquelle nous enseignerons que la résurrection que Paul annonce comme à venir est déjà faite dans les enfants que nous avons, et que nous sommes ressuscités lorsque nous avons connu Dieu.
Thamyris, transporté d’amour et de colère, courut le lendemain matin avec des gens armés de bâtons se saisir de Paul ; et l’ayant traîné devant le gouverneur Castellius, il l’accusa de détourner les vierges du mariage, et toute la troupe criait : Ce magicien a corrompu toutes nos femmes.
Paul fut mis en prison, et Thècle, pendant la nuit, détacha ses boucles d’oreilles, dont elle fit présent au portier de la maison pour se faire ouvrir la porte ; et, courant à la prison, elle donna son miroir d’argent au geôlier pour avoir la liberté d’entrer vers Paul, dont elle baisa les chaînes en se tenant debout à ses pieds.
Le gouverneur en étant informé, la fit comparaître avec Paul devant son tribunal, et lui demanda pourquoi elle n’épousait pas Thamyris. Comme Thècle, au lieu de répondre, avait les yeux fixés sur Paul, sa mère criait au gouverneur : Brûlez, brûlez cette malheureuse au milieu du théâtre, afin d’effrayer toutes celles qui ont écouté les enseignements de ce magicien. Alors le gouverneur, très affligé, ordonna que Paul fût fouetté et chassé de la ville, et condamna Thècle à être brûlée. Comme elle parcourait des yeux la foule des spectateurs, elle vit le Seigneur assis sous la forme de Paul et dit en elle-même : Paul est venu me regarder comme si je ne pouvais pas souffrir avec courage ; et comme elle tenait les yeux arrêtés sur lui, il s’élevait au ciel en sa présence. Le gouverneur, la voyant nue, ne pouvait retenir ses larmes ; il admirait sa rare beauté.
Thècle, ayant fait le signe de la croix, monta sur le bûcher. Le peuple y mit le feu qui ne la toucha point, quoiqu’il fût embrasé de tous côtés, parce que Dieu, prenant pitié de Thècle, fit entendre sous terre un grand bruit ; un nuage chargé de pluie et de grêle la couvrit, et le sein de la terre s’ouvrant et s’écroulant engloutit plusieurs spectateurs ; le feu s’éteignit, et Thècle échappa sans avoir aucun mal.
Cependant Paul, avec Onésiphore, qui avait quitté les richesses mondaines pour le suivre avec sa femme et ses enfants, jeûnait caché dans un monument sur le chemin qui conduit d’Icone à Daphné. Un des enfants étant allé vendre la tunique de Paul pour acheter du pain, aperçut Thècle auprès de la maison de son père, et il la conduisit vers Paul, et sur ce qu’elle dit : Je vous suivrai où que vous alliez, Paul lui répliqua : Nous sommes dans un temps où règne le libertinage, et vous êtes belle ; prenez garde qu’il ne vous survienne une seconde tentation pire que la première.
De là Paul renvoya Onésiphore chez lui avec toute sa famille, et prenant Thècle, il s’en alla à Antioche. Ils n’y furent pas plutôt arrivés, qu’un Syrien, nommé Alexandre, qui en avait été gouverneur, voyant Thècle, en fut amoureux, et offrit de grands et riches présents à Paul qui lui dit : Je ne connais pas cette femme dont vous me parlez, et elle n’est point à moi. Le gouverneur l’ayant embrassée et baisée dans la rue, elle courut vers Paul, en criant d’une voix triste : N’insultez point une étrangère, et ne violez point la servante de Dieu. Je suis des premières familles d’Icone, et j’ai été contrainte de quitter la ville parce que je refusais d’épouser Thamyris. Et se saisissant d’Alexandre, elle lui déchira sa tunique, fit tomber la couronne de sa tête, et le renversa par terre devant tout le monde. Alexandre, transporté d’amour et de honte, la conduisit au gouverneur, qui, gagné par un présent d’Alexandre, la condamna aux bêtes.
Thècle, se voyant condamnée, demanda au gouverneur d’être conservée chaste jusqu’au jour qu’elle devait combattre. Elle fut confiée à une veuve fort riche, nommée Trisina ou Tryphena, dont la fille venait de mourir, et qui la regarda comme sa fille.
Thècle fut d’abord exposée à une lionne très cruelle, qui lui léchait les pieds. Et comme Trisina, qui n’avait pas rougi de la suivre, l’eut ramenée dans sa maison, voici que sa fille qui était morte lui apparut en songe, et lui dit : Ma mère, prenez à ma place Thècle, la servante du Christ, et demandez-lui qu’elle prie pour moi, afin que je sois transportée dans un lieu de repos. Thècle, pour calmer les pleurs de la mère, se mit à prier le Seigneur, disant : « Seigneur, Dieu du ciel et de la terre, Jésus-Christ, fils du Très-Haut, faites que sa fille Falconille vive éternellement. » Ce qu’entendant Trisina, elle pleura davantage, disant : « O jugements injustes ! ô crime indigne, de livrer aux bêtes une telle personne ! »
Thècle fut exposée une seconde fois aux bêtes, après qu’on l’eût dépouillée de ses habits, et on lâcha contre elle des lions et des ours ; et la cruelle lionne, courant à elle, se coucha à ses pieds. Une ourse l’ayant attaquée, fut arrêtée et mise en pièces par la lionne. Ensuite un lion accoutumé à dévorer des hommes, et qui appartenait à Alexandre, se jeta contre elle. Mais la lionne, en le combattant, tomba morte avec lui. On lâcha ensuite plusieurs bêtes, pendant que Thècle priait debout, les mains étendues vers le ciel. Ses prières étant finies, elle vit la fosse pleine d’eau ; et s’y plongeant précipitamment, elle dit : « Monseigneur Jésus-Christ, c’est en votre nom que je suis baptisée en mon dernier jour. » Le gouverneur même ne pouvait retenir ses larmes voyant que les veaux marins allaient avaler une telle beauté. Mais toutes les bêtes, frappées d’un éclat de foudre, surnagèrent sans force ; et une nuée de feu entoura Thècle ; de sorte que les bêtes ne la touchèrent point et que sa nudité fut cachée.
Or, comme on avait lâché sur Thècle d’autres bêtes redoutables, toutes les femmes poussèrent un cri de tristesse ; et ayant jeté sur elle, l’une du nard, l’autre de la casse, celle-ci des aromates, cette autre de l’onguent, toutes les bêtes furent comme accablées de sommeil, et ne touchèrent point Thècle ; de sorte qu’Alexandre dit au gouverneur : J’ai des taureaux fort terribles, nous l’y attacherons. Le gouverneur tout triste lui ayant répondu : Faites ce que vous voudrez, ils l’attachèrent par les pieds entre deux taureaux, auxquels ils mirent dans l’aine des fers ardents ; mais comme les taureaux s’agitaient et mugissaient horriblement, la flamme brûla autour des membres des taureaux les cordes dont Thècle était liée, et elle resta détachée dans le lieu du combat (2).
Enfin le gouverneur lui fit rendre ses habits ; et Thècle ayant appris que Paul était à Myre en Lycie, elle s’habilla en homme pour l’aller rejoindre. Paul la renvoya ensuite à Icone, où elle apprit la mort de Thamyris ; et n’ayant pu convertir sa mère, signant tout son corps, elle prit le chemin de Daphné : et étant entrée dans le monument où elle avait trouvé Paul avec Onésiphore, elle se prosterna et y pleura devant Dieu. Ensuite étant allée à Séleucie, elle en éclaira plusieurs de la parole du Christ, et elle y reposa en bonne paix.
Voilà le précis exact des Actes de Thècle et de Paul apôtre. Tertullien, le plus ancien des Pères latins, assure que ce fut un prêtre d’Asie qui composa cet écrit par amour pour Paul. Saint Cyprien d’Antioche fait mention de l’histoire de Thècle ; Basile de Séleucie la mit en vers au rapport de Photius ; et saint Augustin, en remarquant que les manichéens s’autorisaient de l’exemple de Thècle, ne traite point son histoire de fable, quoiqu’il qualifie de ce nom d’autres écrits apocryphes.
Enfin trois autres disciples écrivirent chacun une Relation de la mort de Pierre et de Paul. On traduira à la fin de ce recueil celle de Marcel, et les notes indigneront en quoi elles diffèrent de celles d’Abdias et d’Hégésippe.
Nous allons commencer par la notice de cinquante Evangiles dont nous avons parlé.
1 – Asconius in V Verr. On laisse les citations en latin comme inutiles au commun des lecteurs. (Voltaire.)
2 – Maxime de Turin, Homélie sur la naissance de sainte Agnès vers la fin, et saint Grégoire de Nazianze, t. II, p.300, B. de son exhortation aux vierges, disent que Thècle échappa aux flammes et aux bêtes. (Voltaire.)