LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 5
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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,
SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS
D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.
- Partie 5 -
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LETTRE III.
SUR VANINI.
(1)
MONSEIGNEUR,
Vous me demandez des mémoires sur Vanini ; je ne puis mieux faire que de vous renvoyer à la section troisième de l’article ATHÉISME du Dictionnaire philosophique (2) : j’ajouterai aux sages réflexions que vous y trouverez, qu’on imprima une Vie de Vanini à Londres en 1717. Elle est dédiée à milord North and Grey. C’est un Français réfugié (3), son chapelain, qui en est l’auteur. C’est assez de dire, pour faire connaître le personnage, qu’il s’appuie dans son histoire sur le témoignage du jésuite Garasse, le plus absurde et le plus insolent calomniateur, et en même temps le plus ridicule écrivain qui ait jamais été chez les jésuites. Voici les paroles de Garasse citées par le chapelain, et qui se trouvent en effet dans la Doctrine curieuse de ce jésuite, page 144 :
« Pour Lucile Vanin, il était Napolitain, homme de néant, qui avait rôdé toute l’Italie en chercheur de repues franches, et une bonne partie de la France en qualité de pédant. Ce méchant bélître, étant venu en Gascogne en 1617, faisait état d’y semer avantageusement son ivraie, et faire riche moisson d’impiétés, cuidant avoir trouvé des esprits susceptibles de ses propositions. Il se glissait dans les noblesses effrontément pour y piquer l’escabelle aussi franchement que s’il eût été domestique, et apprivoisé de tout temps à l’humeur du pays mais il rencontra des esprits plus forts et résolus à la défense de la vérité, qu’il ne s’était imaginé. »
Que pouvez-vous penser, monseigneur, d’une Vie écrite sur de pareils mémoires ? Ce qui vous surprendra davantage, c’est que, lorsque ce malheureux Vanini fut condamné, on ne lui représenta aucun de ses livres, dans lesquels ont a imaginé qu’était contenu le prétendu athéisme pour lequel il fut condamné. Tous les livres de ce pauvre Napolitain étaient des livres de théologie et de philosophie imprimés avec privilège, et approuvés par des docteurs de la faculté de Paris. Ses dialogues même qu’on lui reproche aujourd’hui, et qu’on ne peut guère condamner que comme un ouvrage très ennuyeux, furent honorés des plus grands éloges en français, en latin, et même en grec. On voit surtout parmi ces éloges ces vers d’un fameux docteur de Paris (4) :
Vaninus, vir mente potens, sophiæque magister
Maximus, Italiæ decus, et nova gloria gentis.
Ces deux vers furent imités depuis en français :
Honneur de l’Italie, émule de la Grèce,
Vanini fait connaître et chérir la sagesse.
Mais tous ces éloges ont été oubliés, et on se souvient seulement qu’il a été brûlé vif. Il faut avouer qu’on brûle quelquefois les gens un peu légèrement ; témoin Jean Hus, Jérôme de Prague, le conseiller Anne Dubourg, Servet, Antoine, Urbain Grandier, la maréchal d’Ancre, Morin, et Jean Calas ; témoin enfin cette foule innombrable d’infortunés que presque toutes les sectes chrétiennes ont fait périr tout à tour dans les flammes ; horreur inconnue aux Persans, aux Turcs, aux Tartares, aux Indiens, aux Chinois, à la république romaine, et à tous les peuples de l’antiquité ; horreur à peine abolie parmi nous, et qui fera rougir nos enfants d’être sortis d’aïeux si abominables.
1 – Né près de Naples en 1684, brûlé vif à Toulouse en 1619. (G.A.)
2 – Variante de la première édition : « Je ne puis mieux faire que de transcrire ici ce qui est rapporté dans la sixième édition d’un petit ouvrage composé par une société de gens de lettres, attribué très mal à propos à un homme célèbres. » Et suivait une partie de la section III de l’article ATHÉES du Dictionnaire philosophique. (G.A.)
3 – David Durand. (G.A.)
4 – Gr. Certain. (G.A.)