LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE *** - Partie 3

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LETTRES A S.A. MGR LE PRINCE DE ***,

 

 

SUR RABELAIS ET SUR D’AUTRES AUTEURS ACCUSÉS

D’AVOIR MAL PARLÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.

 

 

 

- Partie 3 -

 

 

 

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LETTRE II

 

Sur les prédécesseurs de Rabelais en Allemagne

et en Italie, et d’abord du livre intitulé :

Epistolæ obscurorum virorum.

 

 

 

 

 

          MONSEIGNEUR,

 

 

         Votre altesse me demande si avant Rabelais on avait écrit avec autant de licence. Nous répondons que probablement son modèle a été le Recueil des lettres des GENS OBSCURS, qui parut en Allemagne au commencement du seizième siècle (1). Ce Recueil est en latin ; mais il est écrit avec autant de naïveté et de hardiesse que Rabelais. Voici une ancienne traduction d’un passage de la vingt-huitième lettre.

 

       « Il y a concordance entre les sacrés cahiers et les fables poétiques, comme le pourrez noter du serpent Python, occis par Apollon, comme le dit le Psalmiste : Ce dragon qu’avez formé pour vous en gausser. Sature, vieux père des dieux, qui mage ses enfants, est en Ezéchiel, lequel dit : Vos pères mangeront leur enfants. Diane se pourmenant avec force vierges est la bienheureuse vierge Marie, selon le Psalmiste, lequel dit : Vierges viendront après elle. Calisto déflorée par Jupiter, et retournant au ciel, est en Matthieu, chap. XII : Je reviendrai dans la maison dont je suis sortie. Alglaure transmuée en pierre se trouve en Job, chap. XLII : Son cœur s’endurcira comme pierre. Europe engrossée par Jupiter est en Salomon : Ecoute, fille, vois, et incline ton oreille, car le roi t’a concupisée. Ezéchiel a prophétisé d’Actéon qui vit la nudité de Diane : Tu étais nue ; j’ai passé par là et je t’ai vue. Les poètes ont écrit que Bacchus est né deux fois, ce qui signifie le Christ, né avant les siècles et dans le siècle. Sémélé, qui nourrit Bacchus, est le prototype de la bienheureuse Vierge ; car il est dit en Exode : Prends cet enfant, nourris-le-moi, et tu auras salaire. »

 

         Ces impiétés sont encore moins voilées que celles de Rabelais.

 

       C’est beaucoup que dans ce temps-là on commençât en Allemagne à se moquer de la magie. On trouve dans la lettre de maître Achatius Lampirius une raillerie assez forte sur la conjuration qu’on employait pour se faire aimer des filles. Le secret consistait à prendre un cheveu de la fille ; on le plaçait d’abord dans son haut-de-chausse ; on faisait une confession générale ; et l’on faisait dire trois messes pendant lesquelles on mettait le cheveu autour de son cou ; on allumait un cierge bénit au dernier évangile, et on prononçait cette formule : « O cierge ! je te conjure par la vertu du Dieu tout-puissant, par les neuf chœurs des anges, par la vertu gosdrienne, amène-moi icelle fille en chair et en os, afin que je la saboule à mon plaisir, etc. »

 

         Le latin macaronique dans lequel ces lettres sont écrites porte avec lui un ridicule qu’il est impossible de rendre en français ; il y a surtout une lettre de Pierre de La Charité, messager de grammaire à Ortuin, dont on ne peut traduire en français les équivoques latines : il s’agit de savoir si le pape peut rendre physiquement légitime un enfant bâtard. Il y en a une autre de Jean Schwinfordt, maître ès arts, où l’on soutient que Jésus-Christ a été moine, saint Pierre prieur du couvent, Judas Iscariote maître-d’hôtel, et l’apôtre Philippe portier.

 

         Jean Schluntzig raconte dans la lettre qui est sous son nom, qu’il avait trouvé à Florence Jacques de Hochstraten (Grande-Rue), ci-devant inquisiteur. Je lui fis la révérence, dit-il, en lui ôtant mon chapeau, et je lui dis : Père, êtes-vous révérend, ou n’êtes-vous pas révérend ? Il me répondit : Je suis celui qui suit. Je lui dis alors : Vous êtes maître Jacques Grande-Rue ; sacré char d’Elie, dis-je, comment diable êtes-vous à pied ? c’est un scandale ; ce qui est ne doit pas se promener avec ses pieds en fange et en merde. Il me répondit : Ils sont venus en chariots et sur chevaux, mais nous venons au nom du Seigneur. Je lui dis : Par le Seigneur il est grande pluie et grand froid. Il leva les mains au ciel en disant : Rosée du ciel, tombez d’en haut, et que les nuées du ciel pleuvent le juste.

 

        Il faut avouer que voilà précisément le style de Rabelais : et je ne doute pas qu’il n’ait eu sous les yeux des Lettres des GENS OBSCURS, lorsqu’il écrivit son Gargantua et son Pantagruel.

 

        Le conte de la femme qui, ayant ouï dire que tous les bâtards étaient de grands hommes alla vite sonner à la porte des cordeliers, pour se faire faire un bâtard, est absolument dans le goût de notre maître François.

 

         Les mêmes obscénités et les mêmes scandales fourmillent dans ces deux singuliers livres.

 

 

 

 

1 – Ces lettres (litterœ obscurorum virorum) parurent en 1516. Ulrich von Hutten les composa à propos de l’accusation de judaïsme portée contre le philologue Reuchlin par les moines inquisiteurs de Cologne (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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