EXTRAIT DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER - Partie 2
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EXTRAIT DES SENTIMENTS
DE
JEAN MESLIER.
(Partie 2)
ABRÉGÉ DE LA VIE DE JEAN MESLIER.
(1)
Jean Meslier, curé d’Etrépigni et de But en Champagne, natif du village de Mazerni, dépendant du duché de Mazarin, était le fils d’un ouvrier en serge ; élevé à la campagne, il a néanmoins fait ses études et est parvenu à la prêtrise.
Etant au séminaire, où il vécut avec beaucoup de régularité, il s’attacha au système de Descartes. Ses mœurs ont paru irréprochables, faisant souvent l’aumône ; d’ailleurs très sobre, tant sur sa bouche que sur les femmes.
MM. Voiri et Delavaux, l’un curé de Va, et l’autre curé de Bouzicourt, étaient ses confesseurs, et les seuls qu’il fréquentait.
Il était seulement rigide partisan de la justice, et poussait quelquefois ce zèle un peu trop loin. Le seigneur de son village, nommé le sieur de Touilli, ayant maltraité quelques paysans, il ne voulut pas le recommander nommément au prône : M. de Mailli, archevêque de Reims, devant qui la contestation fut portée, l’y condamna. Mais le dimanche qui suivit cette décision, ce curé monta en chaire et se plaignit de la sentence du cardinal.
« Voici, dit-il, le sort ordinaire des pauvres curés de campagne ; les archevêques, qui sont de grands seigneurs, les méprisent et ne les écoutent pas. Recommandons donc le seigneur de ce lieu. Nous prierons Dieu pour Antoine de Touilli, qu’il le convertisse, et lui fasse la grâce de ne point maltraiter le pauvre et dépouiller l’orphelin. »
Ce seigneur, présent à cette mortifiante recommandation en porta de nouvelles plaintes au même archevêque, qui fit venir le sieur Meslier à Doncheri, où il le maltraita de paroles.
Il n’a guère eu depuis d’autres événements dans sa vie, ni d’autres bénéfices que celui d’Etrépigni.
Les principaux de ses livres étaient la Bible, un Montaigne et quelques Pères ; ce n’est que dans la lecture de la Bible et des Pères qu’il puisa ses Sentiments. Il en fit trois copies de sa main, l’une desquelles fut portée au garde des sceaux de France, sur laquelle on a tiré l’extrait suivant. Son MS. est adressé à M. Leroux, procureur et avocat en parlement, à Mézières.
Il est écrit à l’autre côté d’un gros papier gris qui sert d’enveloppe : « J’ai vu et reconnu les erreurs, les abus, les vanités, les folies, et les méchancetés des hommes, je les ai haïs et détestés ; je ne l’ai osé dire pendant ma vie, mais je le dirai au moins en mourant et après ma mort ; et c’est afin qu’on le sache, que je fais et écris le présent Mémoire, afin qu’il puisse servir de témoignage de vérité à tous ceux qui le verront et qui le liront, si bon leur semble. »
On a aussi trouvé parmi les livres de ce curé un imprimé des Traités de M. de Fénelon, archevêque de Cambrai (Edit, de 1718), sur l’existence de Dieu et sur ses attributs (1), et les Réflexions du Père Tournemine, jésuite sur l’athéisme, auxquels Traités il a mis ses notes en marge, signées de sa main.
Il avait écrit deux lettres aux curés de son voisinage, pour leur faire part de ses sentiments, etc. Il leur dit qu’il a consigné au greffe (2) de la justice de la paroisse une copie de son écrit, en 366 feuilles in-8° ; mais qu’il craint qu’on ne la supprime, suivant le mauvais usage établi d’empêcher que les simples ne soient instruits, et ne connaissent la vérité (3).
Ce curé a travaillé toute sa vie en secret pour attaquer toutes les opinions qu’il croyait fausses.
On trouve à la tête de son Testament une espèce de préface ou d’avant-propos, dans lequel il demande pardon à ses paroissiens de leur avoir prêché longtemps des mensonges qu’il détestait au fond de son cœur.
Meslier mourut en 1733, âgé de cinquante-cinq ans. On a cru que, dégoûté de la vie, il s’était exprès refusé les aliments nécessaires, parce qu’il ne voulut rien prendre, pas même un verre de vin.
Par son testament, il a donné tout ce qu’il possédait, qui n’était pas considérable, à ses paroissiens, et il a prié qu’on l’enterrât dans son jardin.
1 – « Il existe, dit Naigeon, un grand nombre d’exemplaires de ce traité de Fénelon avec les notes de MESLIER : il en passe assez souvent dans les ventes de livres. Dans tous ceux que j’ai vus, les notes sont écrites de la même main, et d’une écriture très fine et très nette. » (G.A.)
2 – De Sainte-Menehould. (Voltaire.)
3 – On dit que M. Lebègue, grand-vicaire de Reims, s’est emparé de la troisième copie. (Voltaire.)