EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE - Partie 40 (et FIN)
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EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE
ou
LE TOMBEAU DU FANATISME.
(Partie 40)
CHAPITRE XXXVIII.
(1)
Excès de l’Eglise romaine.
Ce n’est que dans l’Eglise romaine incorporée avec la férocité des descendants des Huns, des Goths, et des Vandales, qu’on voit cette série continue de scandales et de barbaries inconnues chez tous les prêtres des autres religions du monde.
Les prêtres ont partout abusé, parce qu’ils sont hommes. Il fut même et il est encore chez les brames des fripons et des scélérats quoique cette ancienne secte soit sans contredit la plus honnête de toutes les sectes du monde, parce qu’elle a eu des richesses et du pouvoir.
Elle l’a emporté en débauches obscènes, parce que, pour mieux gouverner les hommes, elle s’est interdit le mariage, qui est le plus grand frein à l’impudicité vulgivague et à la pédérastie.
Je m’en tiens à ce que j’ai vu de mes yeux, et à ce qui s’est passé peu d’années avant ma naissance. Y eut-il jamais un brigand qui respectât moins la foi publique, le sang des hommes, et l’honneur des femmes, que ce Bernard Van-Galen, évêque de Munster, qui se faisait soudoyer tantôt par les Hollandais contre ses voisins, tantôt par Louis XIV contre les Hollandais ? Il s’enivra de vin et de sang toute sa vie. Il passait du lit de ses concubines aux champs du meurtre, comme une bête en rut et carnassière. Le sot peuple cependant se mettait à genoux devant lui, et recevait humblement sa bénédiction.
J’ai vu un de ses bâtards, qui malgré sa naissance, trouva le moyen d’être chanoine d’une collégiale ; il était plus méchant que son père, et beaucoup plus dissolu : je sais qu’il assassina une de ses maîtresses.
Je demande s’il n’est pas probable que l’évêque marié à une Allemande femme de bien, et son fils, né en légitime mariage et bien élevé, auraient mené l’un et l’autre une vie moins abominable. Je demande s’il y a quelque chose au monde plus capable de modérer nos fureurs que les regards d’une épouse et d’une mère respectée, si les devoirs d’un père de famille n’ont pas étouffé mille crimes dans leur germe.
Combien d’assassinats commis par des prêtres n’ai-je pas vus en Italie il n’y a pas quarante ans ? Je n’exagère point ; il y avait peu de jours où un prêtre corse n’allât, après avoir dit la messe, arquebuser son ennemi ou son rival derrière un buisson ; et quand l’assassiné respirait encore, le prêtre lui offrait de le confesser et de lui donner l’absolution. C’est ainsi que ceux que le pape Alexandre VI faisait égorger pour s’emparer de leur bien, lui demandaient unam indulgentiam in articulo mortis.
Je lisais hier ce qui est rapporté dans nos histoires d’un évêque de Liège du temps de notre Henri V. Cet évêque n’est appelé que Jean-sans-Pitié. Il avait un prêtre qui lui servait de bourreau ; et après l’avoir employé à pendre, à rouer, à éventrer plus de deux mille personnes, il le fit pendre lui-même.
Que dirai-je de l’archevêque d’Upsal, nommé Troll, qui, de concert avec le roi de Danemark, Christian II, fit massacrer devant lui quatre-vingt-quatorze sénateurs, et livra la ville de Stockholm au pillage, une bulle du pape à la main ?
Il n’y a point d’Etat chrétien où les prêtres n’aient étalé des scènes à peu près semblables.
On me dira que je ne parle que des crimes ecclésiastiques, et que je passe sous silence ceux des séculiers. C’est que les abominations des prêtres, et surtout des prêtres papistes, font un plus grand contraste avec ce qu’ils enseignent au peuple ; c’est qu’ils joignent à la foule de leurs forfaits un crime non moins affreux, s’il est possible, celui de l’hypocrisie ; c’est que plus leurs mœurs doivent être pures, plus ils sont coupables. Ils insultent au genre humain ; ils persuadent à des imbéciles de s’enterrer vivants dans un monastère. Ils prêchent une vêture, ils administrent leurs huiles, et au sortir de là ils vont se plonger dans la volupté ou dans le carnage ; c’est ainsi que l’Eglise fut gouvernée depuis les fureurs d’Athanase et d’Arius jusqu’à nos jours.
Qu’on me parle avec la même bonne foi que je m’explique ; pense-t-on qu’il y ait eu un seul de ces monstres qui ait cru les dogmes impertinents qu’ils ont prêchés ? Y a-t-il eu un seul pape qui, pour peu qu’il ait eu de sens commun, ait cru l’incarnation de Dieu, la mort de Dieu, la résurrection de Dieu, la Trinité de Dieu, la transsubstantiation de la farine en Dieu, et toutes ces odieuses chimères qui ont mis les chrétiens au-dessous des brutes ? certes ils n’en ont rien cru ; et parce qu’ils ont senti l’horrible absurdité du christianisme, ils se sont imaginé qu’il n’y a point de Dieu. C’est là l’origine de toutes les horreurs dont ils se sont souillés ; prenons-y garde, c’est l’absurdité des dogmes chrétiens qui fait les athées.
CONCLUSION.
Je conclus que tout homme sensé, tout homme de bien, doit avoir la secte chrétienne en horreur. Le grand nom de théiste, qu’on ne révère pas assez, est le seul nom qu’on doive prendre. Le seul Evangile qu’on doive lire, c’est le grand livre de la nature, écrit de la main de Dieu, et scellé de son cachet. La seule religion qu’on doive professer est celle d’adorer Dieu et d’être honnête homme. Il est aussi impossible que cette religion pure et éternelle produise du mal, qu’il était impossible que le fanatisme chrétien n’en fit pas.
On ne pourra jamais faire dire à la religion naturelle : Je suis venue apporter, non pas la paix, mais le glaive. Au lieu que c’est la première confession de foi qu’on met dans la bouche du Juif qu’on a nommé le Christ.
Les hommes sont bien aveugles et bien malheureux de préférer une secte absurde, sanguinaire, soutenue par des bourreaux, et entourée de bûchers ; une secte qui ne peut être approuvée que par ceux à qui elle donne du pouvoir et des richesses ; une secte particulière qui n’est reçue que dans une petite partie du monde ; à une religion simple et universelle qui, de l’aveu même des christicoles, était la religion du genre humain du temps de Seth, d’Enoch, de Noé. Si la religion de leurs premiers patriarches est vraie, certes la secte de Jésus est fausse. Les souverains se sont soumis à cette secte, croyant qu’ils en seraient plus chers à leurs peuples, en se chargeant eux-mêmes du joug que leurs peuples portaient. Ils n’ont pas vu qu’ils se faisaient les premiers esclaves des prêtres, et ils n’ont pu encore parvenir dans la moitié de l’Europe à se rendre indépendants.
Et quel roi, je vous prie, quel magistrat, quel père de famille, n’aimera pas mieux être le maître chez lui que d’être l’esclave d’un prêtre ?
Quoi ! le nombre innombrable des citoyens molestés, excommuniés, réduits à la mendicité, égorgés, jetés à la voirie, le nombre des princes détrônés et assassinés, n’a pas encore ouvert les yeux des hommes ! et si on les entr’ouvre, on n’a pas encore renversé cette idole funeste ! Que mettrons-nous à la place ? dites-vous : Quoi ! un animal féroce a sucé le sang de mes proches : je vous dis de vous défaire de cette bête, et vous me demandez ce qu’on mettra à sa place ? vous me le demandez ! vous, cent fois plus odieux que les pontifs païens, qui se contentaient tranquillement de leurs cérémonies et de leurs sacrifices, qui ne prétendaient point enchaîner les esprits par des dogmes qui ne disputèrent jamais aux magistrats leur puissance, qui n’introduisirent point la discorde chez les hommes. Vous avez le front de demander ce qu’il faut mettre à la place de vos fables ! Je vous réponds, Dieu, la vérité, la vertu, des lois, des peines, et des récompenses. Prêchez la probité et non le dogme. Soyez les prêtres de Dieu, et non d’un homme.
Après avoir pesé devant Dieu le christianisme dans les balances de la vérité, il faut le peser dans celles de la politique. Telle est la misérable condition humaine, que le vrai n’est pas toujours avantageux. Il y aurait du danger et peu de raison à vouloir faire tout d’un coup du christianisme ce qu’on a fait du papisme. Je tiens que dans notre île on doit laisser subsister la hiérarchie établie par un acte de parlement, en la soumettant toujours à la législation civile, et en l’empêchant de nuire. Il serait sans doute à désirer que l’idole fût renversée, et qu’on offrît à Dieu des hommages plus purs ; mais le peuple n’en est pas encore digne. Il suffit pour le présent que notre Eglise soit contenue dans ses bornes. Plus les laïques seront éclairés, moins les prêtres pourront faire de mal. Tâchons de les éclairer eux-mêmes, de les faire rougir de leurs erreurs, et de les amener peu à peu jusqu’à être citoyens.
1 – Même remarque que pour les chapitres XXXV, XXXVI et XXXVII. (G.A.)
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