EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE - Partie 21
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EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE
ou
LE TOMBEAU DU FANATISME.
(Partie 21)
CHAPITRE XIX.
Des falsifications et des livres supposés.
Pour mieux séduire les catéchumènes des premiers siècles, on ne manqua point de supposer que la secte avait été respectée par les Romains et par les empereurs eux-mêmes. Ce n’était pas assez de forger mille écrits qu’on attribuait à Jésus ; on fit encore écrire Pilate. Justin, Tertullien, citent ces actes ; on les inséra dans l’Evangile de Nicodème. Voici quelques passages de la première lettre de Pilate à Tibère ; ils sont curieux (1) :
« Il est arrivé depuis peu, et je l’ai vérifié, que les Juifs par leur envie se sont attiré une cruelle condamnation : leur Dieu leur ayant promis de leur envoyer son saint du haut du ciel, qui serait leur roi à bien juste titre, et ayant promis qu’il serait fils d’une vierge, le Dieu des Hébreux l’a envoyé en effet, moi étant président en Judée. Les principaux des Juifs me l’ont dénoncé comme un magicien ; je l’ai cru, je l’ai bien fait fouetter ; je le leur ai abandonné : ils l’ont crucifié : ils ont mis des gardes auprès de sa fosse : il est ressuscité le troisième jour. »
Cette lettre très ancienne est fort importante, en ce qu’elle fait voir qu’en ces premiers temps les chrétiens n’osaient encore imaginer que Jésus fût Dieu ; ils l’appelaient seulement envoyé de Dieu. S’il avait été Dieu alors, Pilate qu’ils font parler n’eût pas manqué de le dire.
Dans la seconde lettre, il dit que s’il n’avait pas craint une sédition, peut-être ce noble Juif vivrait encore, Fortasse vir ille nobilis viveret. On forgea encore une relation de Pilate plus circonstanciée.
Eusèbe de Césarée, au livre VII de son Histoire ecclésiastique, assure que l’hémorrhoïsse guérie par Jésus-Christ était citoyenne de Césarée : il a vu sa statue aux pieds de celle de Jésus-Christ. Il y a autour de la base des herbes qui guérissent toutes sortes de maladies. On a conservé une requête de cette hémorrhoïsse dont le nom était, comme on sait, Véronique elle y rend compte à Hérode du miracle que Jésus-Christ a opéré sur elle. Elle demande à Hérode la permission d’ériger une statue à Jésus ; mais ce n’est pas dans Césarée, c’est dans la ville de Paniade ; et cela est triste pour Eusèbe.
On fit courir un prétendu édit de Tibère pour mettre Jésus au rang des dieux. On supposa des lettres de Paul à Sénèque, et de Sénèque à Paul. Empereurs, philosophes, apôtres, tout fut mis à contribution ; c’est une suite non interrompue de fraudes : les unes sont seulement fanatiques, les autres sont politiques. Un mensonge fanatique, par exemple, est d’avoir écrit, sous le nom de Jean, l’Apocalypse, qui n’est qu’absurde ; un mensonge politique est le livre des Constitutions attribué aux apôtres. On veut au chap. XXV du livre II, que les évêques recueillent les décimes et les prémices. On y appelle les évêques rois, au chap XXVI : Qui episcopus est, hic vester rex et dynastes.
Il faut, chap. XXVIII, quand on fait le repas des agapes (2), envoyer les meilleurs plats à l’évêque, s’il n’est pas à table. Il faut donner double portion au prêtre et au diacre. Les portions des évêques ont bien augmenté, et surtout celle de l’évêque de Rome.
Au chap. XXIV, on met les évêques bien au-dessus des empereurs et des rois, précepte dont l’Eglise s’est écartée le moins qu’elle a pu : Quanto animus prœstat corpore, tantum sacerdotium regno. C’est là l’origine cachée de cette terrible puissance que les évêques de Rome ont usurpée pendant tant de siècles. Tous ces livres supposés, tous ces mensonges qu’on a osé nommer pieux, n’étaient qu’entre les mains des fidèles. C’était un péché énorme de les communiquer aux Romains, qui n’en eurent presque aucune connaissance pendant deux cents ans ; ainsi le troupeau grossissait tous les jours.
1 – Voyez dans la Collection des anciens Evangiles. (G.A.)
2 – On accuse plusieurs sociétés chrétiennes d’avoir fait de ces agapes des scènes de la plus infâme dissolution, accompagnées de mystères. Et ce qu’il faut observer, c’est que les chrétiens s’en accusaient les uns les autres. Epiphane est convaincu que les gnostiques, qui étaient parmi eux la seule société savante, étaient aussi la plus impudique. Voici ce qu’il dit d’eux au livre Ier, contre les hérésies :
« Après qu’ils se sont prostitués les uns aux autres, ils montrent au jour ce qui est sortie d’eux. Une femme en met dans ses mains. Un homme remplit aussi sa main de l’éjaculation d’un garçon ; et ils disent à Dieu : Nous te présentons cette offrande qui est le corps de Christ. Ensuite hommes et femmes avalent ce sperme, et s’écrient : C’est la pâque. Puis on prend du sang d’une femme qui a ses ordinaires, on l’avale et on dit : C’est le sang de Christ. »
Si un Père de l’Eglise a reproché ces horreurs à des chrétiens, nous ne devons pas regarder comme des calomniateurs insensés, des adorateurs de Zeus, de Jupiter, qui leur ont fait les mêmes imputations. Il se peut qu’ils se soient trompés. Il se peut aussi que des chrétiens aient été coupables de ces abominations, et qu’ils se soient corrigés dans la suite, comme la cour romaine substitue depuis longtemps la décence aux horribles débauches dont elle fut souillée pendant près de cinq cents ans. (Voltaire.) (1771)