CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 8
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CRITIQUE HISTORIQUE
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NOUVEAUX DOUTES
SUR L’AUTHENTICITÉ DU TESTAMENT POLITIQUE
ATTRIBUÉ AU CARDINAL DE RICHELIEU ET SUR
LES REMARQUES DE M. DE FONCEMAGNE.
(Partie 2)
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OBJECTION TRÈS FORTE DE M. DE FONCEMAGNE.
Ce sage et savant critique me fait une objection bien plus importante, et qui peut faire une très grande impression sur les esprits ; c’est qu’il se trouve au dépôt des affaires étrangères une copie du testament du cardinal de Richelieu. Je ne suis pas à portée de la voir dans le fond de mes déserts, et, quand je serais au Louvre, je ne pourrais m’en rapporter à mes yeux, à qui la lumière est presque entièrement refusée. Je fais lire la lettre de M. de Foncemagne, je dicte mes doutes, et je lui demande des éclaircissements.
Le nouveau testament qu’il a fait imprimer porte, dit-il, des corrections en marge, de la main du cardinal de Richelieu ; ces corrections d’une demi-ligne, sont dans le discours préliminaire intitulé : Maximes d’Etat ou Testament politique, succincte narration des grandes actions du roi.
A la fin de cette succincte narration, on prétend que le cardinal de Richelieu a écrit de sa main :
Monaco
Si vous reperdez
Aire ;
galères d’Espagne
perdues par la tempête ;
distribution de
bénéfices.
RÉPONSE.
Je supplie d’abord M. de Foncemagne de vouloir bien instruire le public si on a confronté l’écriture reconnue du cardinal de Richelieu avec ces notes marginales, cet éclaircissement est d’une nécessité indispensable : je ne cherche, comme lui, que la vérité. Le cardinal faisait souvent mettre de pareilles notes par Bois-Robert et par son médecin Citois, comme le rapporte Pellisson dans son Histoire de l’Académie, au sujet de la critique du Cid. Je m’en rapporte entièrement à M. de Foncemagne, comme je le dois.
En second lieu oserai-je dire que cette Narration succincte, qui est au-devant du Testament politique, me paraît une preuve évidence de la supposition du testament ?
Je prie le lecteur attentif de faire avec moi ses réflexions, qui vaudront mieux que les miennes.
Madame la duchesse d’Aiguillon, seconde du nom, avait, dit-on, entre les mains ce dépôt précieux : l’authenticité du Testament politique était combattue hautement par plusieurs écrivains.
Comment ne se trouva-t-il personne dans sa maison qui opposât cette pièce victorieuse à l’incrédulité des savants ? Comment surtout la seconde duchesse d’Aiguillon ne s’éleva-t-elle pas contre l’avocat Auberi, pensionnaire de sa maison, auteur de l’Histoire de son Grand-Oncle ? Il osait s’inscrire en faux contre le testament, dont elle avait, dit-on, l’original marginé de la main du cardinal ; n’y a-t-il pas la plus grande vraisemblance qu’elle ne pouvait confondre Auberi, puisqu’elle ne le confondit pas, et que cet avocat était comme ceux d’aujourd’hui (1) qui préfèrent la vérité à tout ? Enfin si tout le testament était du cardinal, pourquoi n’était-il pas signé de sa main ?
Accordons que la petite note, si vous reperdez Aire, est du cardinal, qu’en pouvez-vous conclure ? qu’il est physiquement impossible que le cardinal ait ni fait ni dicté depuis le prétendu Testament politique. Aire avait été prise par le maréchal de La Meilleraie le 27 juillet 1641 ; elle fut reprise par les Espagnols la même année, le 26 auguste (que nous appelons le mois d’août par corruption) : donc ce ne fut que depuis la fin de juillet 1641 que le cardinal put écrire ou faire écrire le prétendu testament à la suite de la narration succincte. Et cependant on le fait parler dans son prétendu testament tantôt en 1640, tantôt en 1637.
Il avait ce dessein, je le veux ; il dit à M. de Montchal, archevêque de Toulouse, son ennemi, en le trompant et en répandant des larmes (2), qu’il voulait ressembler à l’empereur Auguste : à la bonne heure. Auguste avait fait rédiger un état des forces de l’empire, des finances, des légions, des frontières, des voisins de l’empire, comme les Germains septentrionaux, les Daces, les Parthes, etc. Il n’est point de prince d’Allemagne qui n’ait un pareil mémoire raisonné dans son cabinet : c’est ce que le cardinal voulait et devait faire, et c’est assurément ce qu’on ne trouve pas dans le Testament politique. Il ne put en avoir le temps depuis le mois d’août 1641 ; ce fut alors que la conspiration du grand-écuyer Cinq-Mars commença à se tramer contre lui ; il n’eut dès lors aucun moment de repos ; sa santé s’altéra, et ce ministre au bord de son tombeau, faisant couler le sang sur les échafauds, n’eut pas sans doute le loisir d’imiter Auguste.
Mais que devint donc cette note qu’on croit écrite de sa main à la fin de la narration succincte, qui est suivie des projets de l’abbé de Bourzeys, pour ôter le droit de régale au roi de France, pour faire payer la taille aux parlements, et pour enrôler la noblesse par force ? Cette note s’explique d’elle-même, et en voici le sens naturel :
« J’ai eu à peine le temps, monsieur l’abbé, de parcourir la narration succincte que vous avez faite en mon nom pour me flatter ; vous ne deviez pas dire que « dès que j’entrai au conseil, en 1624, par la faveur de la reine-mère, je promis au roi d’employer toute mon industrie et toute mon autorité pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands, et relever son nom ; » premièrement, parce qu’un tel discours est rempli d’un orgueil insupportable ; secondement, parce qu’il est entièrement faux. Toute la France sait que dans l’année 1624 j’entrai au conseil malgré la répugnance extrême du roi. Après avoir longtemps sollicité le marquis de La Vieuville, à qui je jurai sur l’eucharistie une amitié inviolable, et que je fis ensuite exiler (3), je n’eus d’abord aucun crédit, aucun département : le roi ne connaissait pas alors tout mon zèle, et je n’avais rendu aucun service signalé.
Vous parlez avec trop d’emphase de la victoire que les armes de S.M. remportèrent à Castelnaudary. Tout le monde sait assez que cette grande victoire fut à peine une escarmouche. Le duc de Montmorency étant allé reconnaître un poste à la tête de soixante maîtres, un corps avancé, qui se trouva vis-à-vis sur le bord d’un fossé, tira quelques coups ; Montmorency, emporté d’une ardeur téméraire, franchit le fossé, et n’étant suivi que de six personnes seulement, il fut percé de coups et fait prisonnier : il est vrai que je l’ait fait mourir sur un échafaud ; mais vous pourriez m’épargner cet éloge.
Vous me louez beaucoup : de justes éloges encouragent ; mais certains mensonges imprimés ou manuscrits diminueraient ma gloire, au lieu de l’accroître. Gardez-vous surtout, dans votre narration, de me faire parler d’une manière indécente, de me prêter des injures atroces contre la brave et fidèle nation espagnole, avec laquelle je suis déjà en négociation ; ne me faites pas dire qu’elle a rendu les Indes tributaires de l’enfer ; ces invectives sont d’un mauvais rhéteur, et non d’un ministre.
Quand vous me faites parler d’un héros tel que le duc Henri de Rohan, ne me faites pas dire que sa terreur panique nous a fait perdre la Valteline. Nul guerrier n’a été moins sujet aux terreurs paniques que lui ; et vous ressembleriez à ce poète italien qui, dans un opéra, introduit César criant aux siens, dès la première scène, Alla fuga, allo scampo, signori. Corrigez toutes les indécences pareilles dont vous parsemez votre narration succincte, et mettez des vérités à la place des injures.
Ajoutez à votre narration la conquête d’Aire, que je crains bien qui nous soit enlevée. Parlez de la dernière distribution des bénéfices, si vous voulez ; corrigez toutes les fautes de votre ouvrage ; et je le reverrai quand j’en aurai le temps.
Si jamais vous avez la fantaisie de coudre vos idées chimériques à votre narration, n’allez pas me faire dire que je veux abolir le droit de régale ; vous me feriez passer pour un homme qui abandonne les intérêts du roi et de la patrie ; vous me rendriez odieux à tous les parlements. J’ai signé deux arrêts du conseil pour forcer les évêques, qui se prétendent exempts de la régale, à montrer leurs titres ; ce n’est pas là vouloir abolir la plus ancienne prérogative de la couronne ; c’est M. de Montchal, archevêque de Toulouse, qui fait courir ces bruits injurieux ; il m’appelle dans ses manuscrits, qu’on m’a montrés, cruel et timide (4) ; il me compare au tyran Phocas ; il dit à tout le monde que j’abrège les jours du roi, que je le ferai bientôt mourir (5).
Il dit que je me déclare contre la régale parce que je n’ai pas payé la mienne à la Sainte-Chapelle (6).
Il dit qu’on me déplaît en me refusant le titre de chef de l’Eglise gallicane (7).
Il dit que je mourrai dans l’année pour avoir persécuté l’Eglise de Dieu (8).
Gardez-vous bien, encore une fois, de parler de régale. Voulez-vous qu’ayant été assez mal avec Rome, pendant mon ministère, je lui fasse ma cour après ma mort ? »
Si le cardinal de Richelieu n’a pas tenu ce langage, il a dû le tenir ; et cette narration succincte est si mal faite, si odieuse en quelques endroits, si remplie de faussetés évidentes, si insultante pour les familles les plus considérables, qu’il n’est pas étonnant que la duchesse d’Aiguillon ne la fit pas voir au public, qu’elle aurait révolté.
Ainsi cette note, qu’on assure être de la main du cardinal de Richelieu, au bas de la narration succincte, me paraît une preuve évidente qu’il n’a jamais vu le Testament politique ; s’il l’avait vu, il y aurait mis quelques notes selon sa coutume. Ce testament, rempli d’erreurs en tout genre, méritait bien quelques remarques ; et si malheureusement il l’avait approuvé, il y aurait mis son nom : il n’a fait ni l’un ni l’autre, donc il est bien probable que le Testament n’est point de lui (9).
1 – Allusion aux avocats qui embrassèrent la cause des Calas. (G.A.)
2 – Mémoires de Montchal, pages 202 et 216. (Voltaire.)
3 – D’Argental voulait que Voltaire retranchât cette aventure pour ne pas blesser la famille Richelieu ; mais Voltaire, qui avait déjà rapporté ce fait dans son Essai, déclara le maintenir pour ne pas se décréditer. (G.A.)
4 – Mémoires de Montchal, page 9. (Voltaire.)
5 – Mémoires de Montchal, page 7. (Voltaire.)
6 – Mémoires de Montchal, page 216. (Voltaire.)
7 – Mémoires de Montchal, page 180. (Voltaire.)
8 – Mémoires de Montchal, page 188. (Voltaire.)
9 – On voit comme le ton de Voltaire, autrefois si vif, s’est adouci. (G.A.)