CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 4

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 4

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

 

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RAISONS DE CROIRE

 

QUE LE LIVRE INTITULÉ TESTAMENT POLITIQUE DU

CARDINAL DE RICHELIEU EST UN OUVRAGE SUPPOSÉ.

 

 

(1)

 

 

 

- 1750 -

 

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(Partie 1)

 

 

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          Mon zèle pour la vérité, mon emploi d’historiographe de France (2), qui m’oblige à des recherches historiques, mes sentiments de citoyen, mon respect pour la mémoire du fondateur d’un corps (3) dont je suis membre, mon attachement aux héritiers de son nom et de son mérite ; voilà mes motifs pour chercher à détromper ceux qui attribuent au cardinal de Richelieu un livre qui m’a paru n’être ni pouvoir être de ce ministre.

 

         I. Le titre même est très suspect ; un homme qui parle à son maître n’intitule guère ses conseils respectueux du nom fastueux de Testament politique. A peine le cardinal de Richelieu fut-il mort qu’il courut cent manuscrits pour et contre sa mémoire ; j’en ai deux sous le titre de Testamentum christianum, et deux sous celui de Testamentum politicum : voilà probablement l’origine de tous les testaments politiques qu’on a fabriqués depuis.

 

         II. Si un ouvrage dans lequel un des plus grands hommes d’Etat qu’ait jamais eus l’Europe est supposé rendre compte de son administration à son maître, et lui donner des conseils pour le présent et pour l’avenir, eût été en effet composé par ce ministre, il eût pris probablement toutes les mesures possibles pour qu’un tel monument ne fût pas négligé : il l’eût revêtu de la forme la plus authentique ; il en eût parlé dans son vrai testament, qui contient ses dernières volontés ; il l’eût légué au roi, comme un présent beaucoup plus précieux que le Palais-Cardinal ; il eût chargé l’exécuteur de son testament de remettre à Louis XIII cet ouvrage important ; le roi en eût parlé ; tous les mémoires de ce temps-là auraient fait mention d’une anecdote si intéressante : rien de tout cela n’est arrivé. Le silence universel dans une affaire aussi grave doit donner à tout homme de bon sens les plus violents soupçons. Pourquoi ni le manuscrit original, ni aucune copie, n’auraient-ils jamais paru pendant un si grand nombre d’années ? On savait à la mort de César qu’il avait fait des Commentaires ; on savait que Cicéron avait écrit sur l’éloquence ; un manuscrit de Raphaël sur la peinture n’eût pas été ignoré.

 

         III. Cet ouvrage n’est point un projet informe, il est entièrement terminé ; la conclusion finit par une péroraison pleine de morale : « Je supplie votre majesté de penser dès à cette heure ce que Philippe II ne pensa peut-être qu’à l’heure de sa mort ; et, pour l’y convier par exemple autant que par raison, je lui promets qu’il ne sera jour de ma vie que je ne tâche de me mettre en l’esprit ce que j’y devrais avoir à l’heure de ma mort sur le sujet des affaires publiques. » Rien ne manque à l’ouvrage pour le rendre complet ; on y trouve jusqu’à l’épître dédicatoire, qu’on a eu l’impudence de signer en Hollande Armand du Plessis, quoique le cardinal n’ait jamais signé ainsi ; on y trouve jusqu’à la table des matières, que l’éditeur ose encore dire rédigée par le cardinal n’ait jamais signé ainsi ; on y trouve jusqu’à la table des matières, que l’éditeur ose encore dire rédigée par le cardinal même ; et dans cette épître dédicatoire on le fait parler ainsi au roi : « Cette pièce verra le jour sous le titre de mon Testament politique, parce qu’elle est faite pour servir après ma mort, etc. » Donc, en effet, cette pièce devait voir le jour apès la mort du cardinal ; donc elle devait être présentée au roi d’une manière solennelle ; donc l’original eût dû être signé, être connu ; donc le jour où la famille eût présenté au roi ce legs si important eût été un jour mémorable.

 

         IV. Si après la mort de Louis XIII ce manuscrit eût passé entre les mains de quelque ministre, et de là dans celles qui l’ont rendu public, on en aurait dû savoir quelques circonstances ; l’éditeur aurait dit par quelle voie il aurait été mis en possession de ce manuscrit ; il l’aurait dit d’autant plus hardiment qu’il imprimait le livre dans un pays libre, environ quarante ans après la mort du cardinal, et lorsque le souvenir des inimitiés entre ce ministre et plusieurs grandes maisons était éteint. L’éditeur, comme je l’ai déjà remarqué ailleurs (4), était tenu surtout de constater l’authenticité de ce manuscrit, sans quoi il se déclarait indigne de toute croyance. Aucune de ces conditions, absolument nécessaire à l’authenticité d’un tel livre, n’a été remplie ; et même pendant vingt-quatre années entières, depuis la prétendue date du manuscrit, ni la cour, ni la ville, ni aucun livre, ni aucun journal, ne fit la moindre mention que le cardinal eût laissé au roi un testament politique.

 

         V. Comment en effet le cardinal de Richelieu, qui, comme on sait, avait plus de peine à gouverner le roi son maître qu’à tenir le timon de la France, aurait-il eu le dessein et le loisir de faire un tel ouvrage pour l’usage de Louis XIII ? L’auteur du nouvel Abrégé chronologique de l’Histoire de France (5), qui peint si bien les siècles et les hommes, avoue dans ce livre si utile que le cardinal de Richelieu avait « autant à craindre du roi, pour qui il risquait tout, que du ressentiment de ceux qu’il forçait d’obéir : » les aigreurs, les défiances, les mécontentements réciproques, allaient tous les jours si loin entre le roi et le ministre, que le grand-écuyer Cinq-Mars proposa au roi d’assassiner le cardinal de Richelieu comme le maréchal d’Ancre, et s’offrit pour l’exécution ; c’est ce que Louis XIII dit lui-même dans une lettre au chancelier, après la conspiration de Cinq-Mars. Le roi avait donc mis son favori à portée de lui faire cette proposition étrange. Est-ce dans une telle situation qu’on se donne la peine de faire pour un roi d’un âge mûr qu’on redoute, et dont on est redouté, un recueil de préceptes qu’un père oisif pourrait tout au plus laisser à son fils encore dans l’enfance ? Il me semble que le cœur humain n’est point fait ainsi. Cette raison ne sera pas d’un grand poids auprès d’un savant ; mais elle fait impression sur ceux qui connaissent les hommes.

 

         VI. Supposons pourtant qu’un homme tel que le cardinal de Richelieu eût voulu donner en effet au roi son maître des conseils pour gouverner après sa mort, comme il lui en avait donné pendant sa vie : quel est l’homme qui en ouvrant ce livre ne s’attendra pas à voir tous les secrets du cardinal de Richelieu développés, et la grandeur et la hardiesse de son génie respirant dans son testament ? Qui ne se flattera pas de lire des conseils fins et hardis, convenables à l’état présent de l’Europe, à celui de la France, de la cour, et surtout du monarque ? Par le premier chapitre, il est évident que l’auteur feint d’écrire en 1640 ; car il fait dire au cardinal de Richelieu dans un jargon barbare, parlant de la guerre avec l’Espagne : « Ce n’est pas que dans cette guerre, qui a duré cinq ans, il ne vous est arrivé aucun mauvais accident, etc. » Or cette guerre avait commencé en 1635, et le dauphin était né en 1638. Comment dans un écrit politique, qui entre dans les détails des cas privilégiés, des appels comme d’abus, du droite d’indult, et des vents qui règnent sur la Méditeranée, oublie-t-on l’éducation de l’héritier de la monarchie ? Certes le faussaire est bien maladroit. La véritable cause de cette faute d’omission, c’est que dans plusieurs autres endroits du livre, l’auteur, oubliant qu’il a feint d’écrire en 1639 et en 1640, s’avise ensuite d’écrire en 1635. Il donne à Louis XIII vingt-cinq ans de règne, au lieu de lui en donner trente ; contradiction palpable, et démonstration évidente d’une supposition que rien ne peut pallier.

 

       VII. Quoi ! Louis XIII est engagé dans une guerre ruineuse contre la maison d’Autriche ; les ennemis sont aux frontières de la Champagne et de la Picardie, et son premier ministre, qui lui a promis des conseils, ne lui dit rien, ni de la manière dont il faut soutenir cette guerre dangereuse, ni de celle dont on peut faire la paix, ni des généraux, ni des négociateurs qu’on peut employer ? Quoi ! pas un mot de la conduite qu’on doit tenir avec le chancelier Oxenstiern, avec l’armée du duc de Veimar, avec la Savoie, avec le Portugal et la Catalogne ? On ne trouve rien sur les révolutions que le cardinal lui-même formentait en Angleterre ; rien sur le parti huguenot qui respirait encore la faction et la vengeance. Il me semble voir un médecin qui vient pour prescrire un régime à son malade, et qui lui parle de tout autre chose que de sa santé.

 

         VIII. Celui qui a débité ses idées sous le nom du cardinal de Richelieu commence par se servir des succès mêmes que ce grand homme avait eu, dans son ministère, pour lui faire avancer qu’il avait promis ces succès au roi son maître. Le cardinal avait baissé les grands du royaume qui étaient dangereux, les hugenots qui l’étaient davantage, et la maison d’Autriche, qui avait été encore plus à craindre ; de là il infère que le cardinal avait promis ces révolutions au roi, dès qu’il était entré dans le conseil. Voici les paroles qu’il prête au cardinal : « Lorsque votre majesté se résolut de me donner en même temps et l’entrée de ses conseils, et grande part en sa confiance….. je lui promis d’employer toute l’autorité qu’il lui plaisait de me donner pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands, réduire tous ses sujets dans leur devoir, et relever son nom dans les nations étrangères au point où il devait être, etc. (pages 6 et 9). » Or, il est de notoriété publique que, quand Louis XIII consentit à mettre le cardinal de Richelieu dans le conseil, il était bien éloigné de connaître le bien qu’il procurait à la France et à lui-même. Il est public que le roi qui alors avait de l’éloignement pour ce grand homme ne fit que céder aux instances de la reine sa mère, qui triompha enfin de la répugnance de son fils, après s’être donné les plus grands mouvements pour introduire dans le conseil celui qu’elle avait fait cardinal, qu’elle regardait comme sa créature, et par qui elle espérait gouverner. On eut même besoin de gagner le marquis de La Vieuville, surintentant des finances, qui consentit avec beaucoup de peine à voir entrer le cardinal au conseil en 1624. Il n’y eut ni la première place ni le premier crédit. Toute cette année se passa en jalousies, en cabales, en factions secrètes ; le cardinal ne prit que peu à peu l’ascendant.

 

          Quelques lecteurs apprendront peut-être ici avec plaisir que le cardinal de Richelieu n’eut les provisions de premier ministre qu’en 1629, le 21 novembre ; Louis XIII les signa seul de sa main. Ces lettres patentes sont adressées par le roi au cardinal même ; et ce qu’il y a de très remarquable, c’est que les appointements attachés à cette nouvelle dignité y sont en blanc, le roi laissant à la magnificence et à la discrétion de son ministre le soin de prendre au trésor public de quoi soutenir la grandeur de cette place.

 

         Je reviens, et je dis qu’il n’est pas vraisemblable que le cardinal ait tenu en 1624 les discours qu’on lui prête. Il est beau de faire tant de grandes choses, mais il est téméraire de les promettre ; et c’eût été le comble du ridicule et de l’indécence de dire au roi son maître en entrant dans ses conseils, je relèverai votre nom. On lui fait raconter sans bienséance et avec infidélité ce qu’il a fait : il ne dit rien du tout de ce qu’il faut dire. Pourquoi ? c’est que l’un était fort aisé, et l’autre très difficile.

 

          IX. Par le peu qu’on vient de dire, il paraît déjà que l’ouvrage prétendu ne peut convenir ni au caractère du ministre à qui on le donne, ni au roi auquel on l’adresse, ni au temps où on le suppose écrit ; j’ajouterai encore, ni au style du cardinal. Il n’y a qu’à voir cinq ou six de ses lettres, pour juger que ce n’est point du tout la même main ; et cette preuve suffirait pour quiconque a le moindre goût et le moindre discernement. D’ailleurs le cardinal de Richelieu, obligé de faire quelquefois des actions violentes, ne laissait point échapper dans ses écrits des paroles dures et indécentes. S’il agissait avec hardiesse, il écrivait de la manière la plus circonspecte. Il n’eût certainement pas appelé, dans un ouvrage politique, la marquise du Fargis, dame d’atour de la reine régnante, la Fargis (page 49). C’est manquer aux premières lois du respect et de la bienséance, en parlant au roi, et à la postérité. Cette indigne expression est tirée d’un mauvais livre imprimé en 1649, intitulé, Histoire du ministère du cardinal de Richelieu. L’auteur du testament a copié cet ouvrage de ténèbres, plus flétri sans doute par le mépris public que par l’arrêt qui le condamne.

 

Qui pourra se persuader qu’un premier ministre, qui suppose la paix faite avec l’Espagne, parle des Espagnols en ces termes : « Cette nation avide et insatiable, ennemie du repos de la chrétienté ? » C’est ainsi qu’on aurait pu parler de Mahomet II. Serait-il possible qu’un prêtre, un cardinal, un premier ministre, un homme sage, écrivant à un roi sage, et écrivant un testament qui devait être exempt de passion, se fût emporté (dans le temps de cette paix supposée) à des expressions qu’il n’avait pas employées dans la déclaration de la guerre ?

 

        X. Est-il vraisemblable qu’un homme d’Etat qui se propose un ouvrage aussi solide dise « que le roi d’Espagne, en secourant les huguenots, avait rendu les Indes tributaires de l’enfer ; que les gens de palais mesurent la couronne du roi par sa forme, qui, étant ronde, n’a point de fin ; que les éléments n’ont de pesanteur que lorsqu’ils sont en leur lieu ; que le feu, l’air, ni l’eau, ne peuvent soutenir un corps terrestre, parce qu’il est pesant hors de son lieu ; » et cent autres absurdités pareilles, dignes d’un professeur de rhétorique de province dans le seizième siècle, ou d’un répétiteur irlandais qui dispute sur les bancs ?

 

         XI. Y a-t-il encore une grande vraisemblance que le cardinal de Richelieu, si connu par ses galanteries, et même par la témérité de ses désirs (6), ait recommandé la chasteté à Louis XIII, prince chaste par tempérament, par scrupule, et par ses maladies ?

 

       XII. Après de si fortes présomptions, quel homme de bon sens peut résister à cette preuve évidente de faux qui se trouve dans le premier chapitre, je veux dire à cette supposition que la paix est faite ? « Vous êtes parvenu, dit-on, à la conclusion de la paix… Votre majesté n’est entrée dans la guerre… etc., et n’en est sortie…etc. » Un imposteur, dans la chaleur de la composition, oubliant le temps dont il parle, peut tomber dans cette absurdité énorme ; mais un premier ministre, quand il fait la guerre, ne peut pas assurément dire que la paix est conclue. Jamais la guerre ne fut plus vive contre la maison d’Autriche, quoique toutes les puissances négociassent, ou plutôt parce qu’elles négociaient. Il est vrai qu’en 1641 on jeta quelques fondements des traités de Munster, qui ne furent consommés qu’en 1648, et l’auteur du testament fait parler le cardinal de Richelieu tantôt en 1740, tantôt en 1635. Le cardinal ne pouvait ni supposer la paix faite au milieu de la guerre, ni dire des injures atroces aux Espagnols avec lesquels il voulait traiter.

 

          XIII. Faudra-t-il à cette preuve palpable de l’imposture ajouter une bévue moins forte à la vérité, mais qui ne décèle pas moins un menteur ignorant ? Il fait dire à un premier ministre tel que le cardinal, dans ce même premier chapitre, que « le roi a refusé le secours des armes ottomanes contre la maison d’Autriche. » S’il s’agit d’un secours que le Turc voulait envoyer aux armées françaises, le fait est faux, et l’idée en est ridicule : s’il s’agit d’une diverson des Turcs en Hongrie ou ailleurs, quiconque connaît le monde, quiconque a la moindre idée du cardinal de Richelieu, sait assez que de telles offres ne se refusent pas.

 

 

1 – C’était là le chapitre III en 1750.

2 – Voyez la Vie de Voltaire. (G.A.)

3 – L’Académie française. (G.A.)

4 – Voyez la grande variante et les Conseils à un journaliste. (G.A.)

5 – Le président Hénault, ami de Voltaire. Son Abrégé avait paru en 1744. (G.A.)

6 – Allusion à sa passion pour la reine régnante, Anne d’Autriche, dont il fut rebuté. Nous avons dit, dans une note du chapitre CLXXVI de l’Essai que M. Michelet croit que cette histoire d’amour est de pure invention. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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