CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 15

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 15

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

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ARBITRAGE

 

ENTRE M. DE VOLTAIRE ET M. DE FONCEMAGNE.

 

 

- 1765 -

 

 

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(Partie 3)

 

 

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          Nous convenons avec M. de Montesquieu que l’abbé de Bourzeys fit ce testament, mais non pas sous les yeux du cardinal. Nous convenons encore moins que le testament dise ce que M. de Montesquieu lui fait dire. Il le cite ainsi en marge : « Il ne faut, y est-il dit, se servir de gens de bas lieu ; ils sont trop austères et trop difficiles. » Ce n’est pas citer exactement. Le testament dit dans cet endroit que les hommes d’une basse naissance sont d’ordinaire difficiles et d’une austérité épineuse : il ne dit point qu’il ne faut pas se servir d’un pauvre honnête homme ; et il se contredit dans le moment d’après, en disant « qu’un pauvre magistrat est trop exposé à se laisser amollir. »

 

          Ainsi l’auteur du testament tombe dans ces contradictions, et l’auteur de l’Esprit des lois dans une grande erreur, et surtout dans une erreur très odieuse, en supposant que la vertu n’entre jamais dans le gouvernement monarchique. Il ne faut point être flatteur, mais il ne faut point être satirique. C’est encourager au crime que de représenter la vertu comme inutile ou comme impossible.

 

         Rapportons ici le passage qui se trouve dans une note du Siècle de Louis XIV (1).

 

       « Il est dit dans l’Esprit des lois qu’il faut plus de vertu dans une république ; c’est en un sens tout le contraire : il faut beaucoup plus de vertu dans une cour pour résister à tant de séductions. Le duc de Montausier, le duc de Beauvilliers, étaient des hommes d’une vertu très austère ; le maréchal de Villeroi joignit des mœurs plus douces à une probité non moins incorruptible ; le marquis de Torcy a été un des plus honnêtes hommes de l’Europe, dans une place où la politique permet le relâchement dans la morale ; les contrôleurs-généraux Le Pelletier et Chamillart passèrent pour être moins habiles que vertueux.

 

          Il faut avouer que Louis XIV, dans cette guerre malheureuse, ne fut guère entouré que d’hommes irréprochables. C’est une observation très vraie et très importante dans une histoire où les mœurs ont tant de part. »

 

         Tout ce passage est dans la plus exacte vérité ; nous croyons qu’on ne peut trop le citer. Il est si beau qu’il se soit trouvé dans une cour tant d’hommes vertueux à la fois, cela est si honorable pour la nation et pour le beau siècle de Louis XIV, si encourageant pour tous les siècles, qu’il y aurait de l’injustice et de l’ingratitude à ne savoir pas quelque gré à l’auteur d’avoir, seul de tous les historiens, démêlé et mis dans son jour cette vérité utile au genre humain.

 

      Saisissons avec plaisir cette occasion d’observer que dans tous ses ouvrages M. de Voltaire a toujours eu pour objet la vérité et la vertu. Sa Henriade, ses tragédies, ses histoires respirent l’humanité, la bienfaisance, l’indulgence ; il a toujours rendu justice au mérite malheureux et à la vérité persécutée. Nul auteur n’a jamais détruit plus de calomnies ; nul en écrivant l’histoire n’a jamais tant confondu les auteurs des libelles. Nous devons faire pour lui ce qu’il a fait pour tant d’autres ; nous devons la vérité à celui qui l’a dite (2).

 

       11° Nous n’entrons point ici dans la discussion des atteintes que le Testament politique (page 217) donne aux parlements du royaume. Il n’était pas hors de vraisemblance que le cardinal de Richelieu eût de tels sentiments (3) ; mais aussi il est très vraisemblable que l’auteur, en conseillant au roi d’envoyer dans les provinces des conseillers d’Etat et des maîtres des requêtes pour rendre la justice, écrivait après l’année 1665, lorsque Louis XIV eut fait tenir les grands jours dans quelques provinces par une commission extraordinaire. Il n’est guère possible qu’alors on eût suivi en cela les instructions du cardinal de Richelieu, dont le testament ne parut qu’en 1688 ; et il est assez naturel que l’auteur, déguisé sous le nom du cardinal, ait conseillé ce qu’on venait de faire.

 

        12° Après avoir lu attentivement le chapitre intitulé Du conseil du prince, nous sommes forcés d’avouer notre extrême étonnement de n’y avoir rien trouvé que de vague sur la probité nécessaire à un conseiller d’Etat, sur le cœur et la force d’un conseiller d’Etat ; et nous présumons qu’il n’est pas vraisemblable qu’un ministre ait perdu son temps à composer une déclamation si vaine et si fastidieuse, lorsqu’il avait tant de choses intéressantes à dire, et tant de grands intérêts à discuter.

 

         Telle est notre opinion concernant la première partie du testament, et tel a été l’avis de ceux qui l’ont lu avec nous, et que nous avons consultés. Venons à la seconde partie.

 

        13° Nous n’avons trouvé rien de relatif à la France, rien qui la concerne plutôt qu’un autre pays, dans les chapitres intitulés « Le premier fondement du bonheur d’un Etat est l’établissement du règne de Dieu. La raison doit être la règle de la conduite d’un Etat. Les intérêts publics doivent être l’unique fin de ceux qui gouvernent les Etats. La prévoyance est nécessaire au gouvernement d’un Etat. La peine et la récompense sont deux points tout à fait nécessaires à la conduite des Etats. Une négociation continuelle ne contribue pas peu au bon succès des affaires, etc. »

 

        Tout cela convient à la Suède, à la Russie, à la Chine, aussi bien qu’à la France.

 

       Rien ne nous paraît porter davantage le caractère d’un déclamateur qui veut se faire valoir, rien ne ressemble moins à un ministre qui veut être utile.

 

       14° Nous remarquerons seulement une maxime bien cruelle (page 27, IIe partie) : il est dit qu’en plusieurs occasions on peut, sans preuve authentique, commencer par l’exécution, c’est-à-dire qu’il faut d’abord faire mourir un homme soupçonné de crime d’Etat, sauf à examiner ensuite s’il est coupable.

 

       Quelque despotique qu’ait été le cardinal de Richelieu, il est difficile de penser qu’il ait donné des conseils si abominables. Ce sont des barbaries qu’on a le malheur de commettre quelquefois, mais qu’on n’a jamais l’imprudence de dire. Cela est trop opposé au chapitre intitulé, Du règne de Dieu. C’est ici que l’auteur affecte de ressembler à Machiavel, pour se donner le relief d’un politique profond. Il croit qu’en prenant le nom d’un grand ministre, il doit le faire parler en tyran. Nous respectons trop la mémoire du cardinal, pour lui imputer des conseils qui rendraient à jamais sa mémoire odieuse à tous les peuples ; et nous nous joignons à M. de Voltaire pour bénir le ciel que Fénelon ait fait son Télémaque, et que Richelieu puisse être lavé du soupçon d’avoir fait ce testament.

 

        Venons enfin au peu d’articles qui regardent précisément la France.

 

      15° Il est dit, au chapitre IX (section V) de la Puissance sur mer, non-seulement « que la Provence a beaucoup plus de grands ports et de plus assurés que l’Espagne et l’Italie ensemble ; » ce que M. de Voltaire a très bien relevé : mais on assure encore « que la Bretagne contient les plus beaux ports qui soient dans l’Océan : » ce que M. de Voltaire ne devait pas moins reprendre.

 

        Nous sommes entièrement de son avis sur cette exagération insoutenable, dont il n’a pas cru que le surintendant des mers pût être capable : et tout le reste de ce chapitre nous a paru être d’un homme qui affecte de connaître le mistral et la tramontane, et qui n’a aucune connaissance de la mer.

 

        16° Sur l’article du commerce, il nous paraît bien difficile que le cardinal de Richelieu soit entré dans le détail des soies et des cotons filés. Il se serait bien trompé s’il avait dit (page 130) que les velours rouges, violets, et tannés, se fabriquaient à Tours beaucoup plus beaux qu’à Gênes ; ce qui est d’une fausseté reconnue par tous les marchands. On ne peut non plus soupçonner le cardinal d’avoir dit qu’il n’y avait point d’établissement à faire en Amérique.

 

         17° La section VII (page 141) annonce le projet « de décharger le peuple des trois quart du faix qui l’accable maintenant. » Ce titre ressemble plutôt, il faut l’avouer, au projet d’un citoyen oisif, effrayé des charges de l’Etat, qu’aux idées justes d’un grand ministre qui sentirait l’impossibilité de diminuer les trois quarts de ces charges.

 

         Nous ne pouvons condamner le doute que M. de Voltaire a élevé au sujet des comptants : on sent assez qu’il n’est pas naturel qu’un ministre traite d’Illicites des ordonnances qu’il signait lui seul, et qu’il s’accuse lui-même de péculat.

 

        18° Nous avons lu attentivement ce projet de finances ; nous avons été bien étonnés de la proposition de retrancher toutes les pensions (page 1616) et de réduire (même page) le comptant du roi à trois cent mille livres, tandis qu’à la page 124 il réduit ce même comptant à un million d’écus d’or. Cette énorme contradiction nous a paru impossible dans un ministre tel que le cardinal.

 

         Il n’y a pas moyen de rien comprendre à la page 172 et suivantes, dans lesquelles on propose de rembourser trente millions de capitaux de rentes. « La suppression, dit l’auteur, d’un capital de sept millions à cinq pour cent se fera en sept années et demie par la seule jouissance. »

 

       M. de Voltaire a très bien remarqué qu’il faut vingt années pour rembourser à cinq pour cent un capital par la jouissance. Il aurait dû faire voir aussi quelle serait l’énorme injustice de dépouiller une famille de son capital, sous prétexte qu’elle aurait reçu la valeur de ce capital en plusieurs années. Cette proposition révoltante serait la destruction de la société.

 

      Tous les calculs qui suivent sont également fautifs. « De sept autres millions, dit l’auteur, qui ne devront être remboursés qu’au denier six, qui est le prix courant de telles charges, ils pourront être supprimés en huit années et demie. » Cet auteur n’entend pas un mot de la matière, et n’entend pas mieux l’arithmétique la plus simple qu’il ne sait le français. Au lieu du denier six il devait dire le denier seize et un quart, parce que six pour cent sont la seizième partie et un quart de cent ; et il est bien clair qu’en huit années et demie un capital à six pour cent d’intérêt ne serait pas remboursé par la jouissance. Six fois huit et demi font cinquante et un ; de sorte qu’il s’en manquerait presque la moitié. Et que signifie remboursés qu’au denier six ? six pour cent sont-ils moins que cinq pour cent ? Autant de paroles, autant d’inepties.

 

        Nous ne pouvons assez nous étonner que des absurdités si grossières aient été imputées au cardinal de Richelieu, et nous ne pouvons qu’applaudir à M. de Voltaire, qui a persévéré constamment à défendre sa mémoire.

 

      19° Nous avions pensé d’abord qu’il s’était exprimé avec trop peu d’exactitude et trop d’exagération, quand il a reproché à l’auteur du testament d’avoir voulu imposer les cours souveraines à la taille : mais il n’est que trop certain que cette proposition se trouve expressément énoncée (page 175). La taille est une ancienne imposition établie par les seigneurs des terres sur leurs vassaux roturiers, sur les vilains nommés alors leurs sujets, impôt devenu humiliant, reste de servitude, titre de bassesse, auquel chacun cherche à se dérober aujourd’hui dès qu’il s’est élevé un peu par son industrie.

 

         Assujettir toute la robe à cette humiliation, ce serait avilir la magistrature au point qu’aucun citoyen ne voudrait embrasser cet état. La noble fonction de rendre la justice serait confondue avec les dernières classes des hommes ; l’honneur de juger la nation deviendrait un opprobre : le commis d’un receveur des tailles ferait trembler son juge. Une chimère aussi tyrannique rendrait le nom d’un ministre éternellement odieux, s’il avait pu la proposer.

 

       Il est très vrai encore (page 101) que l’auteur du testament propose d’ordonner « à tous les gentilshommes qui auront passé vingt ans de porter les armes, » et d’ordonner à tous les capitaines de cavalerie « d’enrôler dans leurs compagnies au moins la moitié de gentilshommes. »

 

         C’est dans le même chapitre (page 103) que l’auteur dit « que si l’on veut avoir cinquante mille hommes, il faut en lever cent. »

 

       Saisis d’étonnement à la lecture de tant d’étranges propositions, nous croirions en effet être coupables envers la nation comme envers la mémoire d’un grand ministre, si nous pouvions le soupçonner un moment d’avoir eu la moindre part à de tels systèmes, qui nous paraissent enfantés par un écrivain bien indigne du grand nom qu’il usurpe. Nous pensons que pour peu qu’on ait de justice, on doit des remerciements à celui qui nous a ouvert les yeux.

 

       Il reste à rechercher comment il s’est pu faire qu’on ait si longtemps attribué au cardinal de Richelieu ce Testament politique. Il est trop vrai, comme l’a dit M. de Voltaire, que bien qu’il y ait une foule immense de livres, on lit peu, et on lit mal : l’esprit se repose sur la foi d’un grand nom ; il est plus aisé et plus commun de croire que d’examiner ; le temps donne de l’autorité à l’erreur ; ceux qui la combattent trop tard passent pour téméraires ; et on emploie quelquefois, pour la soutenir, toutes les armes dont on ne devait se servir que pour défendre la vérité.

 

          Enfin, pour résumer tout ce que nous avons dit, nous pensons que M. de Foncemagne a saisi le vrai, en faisant voir que le cardinal de Richelieu commanda, lut, et margina son manifeste sous le nom de Narration succincte ; et que M. de Voltaire a prouvé que le Testament politique, joint à cette narration, n’est ni ne peut être l’ouvrage d’un ministre dont le nom sera toujours illustre, et qui nous devient cher de jour en jour par les mérites et les services des héritiers de son nom et de sa gloire.

 

 

 

1 – Voyez chapitre XXI. (G.A.)

2 – Voltaire ne se donne ces éloges que pour mieux dépister le lecteur. (G.A.)

3 – Voltaire tenait un autre langage en 1749. A cette heure, il est aux prises avec les Parlements. (G.A.)

 

 

 

 

 

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