CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 14

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 14

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

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ARBITRAGE

 

ENTRE M. DE VOLTAIRE ET M. DE FONCEMAGNE.

 

 

- 1765 -

 

 

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(Partie 2)

 

 

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         Il convient de faire ici un relevé des erreurs, des faussetés, des incompatibilités, des superfluités, dont M. de Voltaire s’est contenté de faire remarquer une partie, et qui n’auraient certainement pas échappé aux yeux d’un ministre tel que le cardinal.

 

          1° Page 104, le Testament politique dit « que le désordre des personnes qui autorisait les laïques à posséder des bénéfices est absolument banni. »

 

          Il est certain que cet abus n’a été absolument banni que sous Louis XIV. M. de Voltaire a justement remarqué que le cardinal lui-même avait donné cinq abbayes au comte de Soissons tué à la bataille de la Marfée, onze au duc de Guise, l’évêché de Metz au duc de Verneuil, l’abbaye de Saint-Denis au prince de Conti, celle de Saint-Remi de Reims au duc de Nemours, celle de Moutier-Ender au marquis de Tréville, etc. Cet usage était si commun, et dura si longtemps, que nous lisons dans la Vie du célèbre Boileau Despréaux qu’il jouit longtemps d’un bénéfice étant laïque.

 

        2° Dans le chapitre des appels comme d’abus, chapitre entièrement contraire à toutes les lois du royaume, il est dit, page 112 : « Il y a très grand lieu de croire que le premier fondement de cet usage vient de la confiance que les ecclésiastiques prirent en l’autorité royale, lorsqu’étant maltraités par les anti-papes Clément VII, Benoît XIII, et Jean XXIII, réfugiés en Avignon, ils eurent recours au roi. »

 

          Clément VII, qui disputait la papauté avec tant de scandale à Urbain VI, plus scandaleux encore, vint en effet dans Avignon, tandis que son compétiteur Urbain prêchait une croisade contre la France. Après la mort d’Urbain, celui qui s’appelait Boniface IX disputa la tiare à celui qui se faisait appeler Clément XII ; et tous deux à l’envi taxèrent, autant qu’ils le purent, les églises dont ils étaient reconnus. L’université de Paris résista à Clément VII, l’accusa de simonie par la bouche de Clamengis, et proposa « de le chasser du troupeau de l’Eglise comme un loup dangereux ; » mais il ne fut point question d’appels comme d’abus dans cette affaire.

 

          Jean XXIII ne fut jamais réfugié en Avignon. L’opiniâtre Luna, anti-pape, qui lui succéda sous le nom de Benoit XIII, essuya de l’université un appel en 1396 ; mais ce n’était pas un appel comme d’abus, c’était un appel au futur pape légitime. Il fut suivi d’un autre appel à un concile œcuménique.

 

          Ainsi tout cet article du Testament politique est entièrement erroné, et l’auteur se trompe évidemment sur l’origine des appels comme d’abus.

 

         3° (Page 127) « Les personnes qui s’attachent à Dieu, etc., sont si absolument exemptées de la juridiction temporelle des princes, qu’elles ne peuvent être jugées que par leurs supérieurs ecclésiastiques. «

 

          M. de Foncemagne fait à cette occasion la remarque judicieuse « que cette proposition, fausse dans tous ses points, est peu digne d’un législateur français. » Nous ajoutons que ce qui est si indigne d’un ministre ne doit point être présumé avoir été écrit par ce ministre.

 

          4° Nous en disons autant de cette assertions si évidemment fausse (page 128), « que l’Eglise donna pouvoir aux juges séculiers de prendre connaissance des cas appelés privilégiés. » Il n’est certainement ni dans la nature humaine, ni dans la nature ecclésiastique, de se dépouiller de ses droits pour en revêtir ceux qu’on croit ses compétiteurs ; et M. de Foncemagne pense comme nous.

 

          Ce chapitre des cas privilégiés nous paraît composé par un ecclésiastique beaucoup plus attaché à son état qu’à l’autorité royale, et qui n’avait aucune idée des principes du ministère.

 

         5° Nous dirons la même chose de l’article sur la régale, et de celui des trois sentences conformes, requises pour punir les clercs, et de l’article sur les exemptions. Ce sont des traités de jurisprudence ultramontaine, dont les maximes sont presque en tout l’opposé de nos lois. On y propose de faire révoquer toutes ces exemptions qui sont la plupart subreptices ; et on y suppose (page 156) que ce remède serait improuvé par les parlements.

 

         Nous pensons que le cardinal devait être instruit combien tous les parlements du royaume sont contraires à ces droits abusifs des moines.

 

          6° Les sections sur le droit des laïques de présenter aux cures, et sur la réforme des monastères, nous paraissent, comme à M. de Voltaire, moins dignes de l’attention d’un grand ministre, que les objets intéressants qui devaient occuper le roi et le cardinal, comme les négociations avec la Suède et avec une partie de l’Allemagne, l’éducation du dauphin, et tant d’autres matières véritablement politiques, sur lesquelles le testament garde un silence absolu ; et nous pensons que la cause évidente de ce silence sur des choses si nécessaires, et de cet appesantissement sur des choses si inutilement, vient de ce que l’auteur théologien était un peu instruit des unes, et n’avait aucune connaissance des autres.

 

          7° Nous ne voyons pas que jamais la société des jésuites ait donné tant de jalousie à l’archiduc Albert, comme il est dit (page 174) qu’elle en donna à l’université de Louvain ; mais il nous semble qu’il n’est rien dit nulle part de cet ombrage donné à l’archiduc par les jésuites, si dévoués en tout temps à la maison d’Autriche.

 

          8° (Page 175) Selon l’auteur du testament, « l’ordre de Saint-Benoît a été autrefois si absolument maître des écoles, qu’on n’enseignait en aucun autre lieu. »

 

        Le cardinal de Richelieu savait sans doute que Charlemagne institua l’école du Palais. Il y eut des écoles attachées à toutes les cathédrales, et il y eut toujours des écoles à Paris, jusqu’à Guillaume de Champeaux qui illustra cette école, érigée bientôt après en université.

 

          9° (Page 176) « L’histoire du pape Benoit XI contre lequel les cordeliers, piqués sur le sujet de la perfection de la pauvreté, etc. »

 

        Nous ne pouvons nous empêcher de relever, avec M. de Voltaire, cette erreur essentielle. Ce n’est pas ici une simple erreur de nom, une simple méprise en chronologie, un mot mis pour un autre. Benoit XI ou XII, à qui on attribue de grandes querelles avec l’empereur et les cordeliers, ne peut être pris pour le pape Jean XXII, qui fut accusé d’hérésie sur la vision béatifique, et qui longtemps auparavant s’étant déclaré contre l’empereur Louis de Bavière, osa le déposer en idée par une bulle en 1327. Il fut déposé à son tour, non moins vainement, par l’empereur, qui le condamna dans Rome à être brûlé vif le 22 mai 1328.

 

        L’auteur du testament brouille toute cette histoire avec une ignorance étonnante. Il suppose que les cordeliers engagèrent l’empereur à faire la guerre au pape. Il est seulement vrai que deux cordeliers, pendant cette guerre, offrirent leur plume à Louis de Bavière ; mais il est assez connu que cette guerre était un intérêt d’Etat, et non un intérêt de moines, et qu’il s’agissait de la domination de l’empereur en Italie, et non d’une dispute de cordeliers sur la forme de leur capuchon.

 

        Nous avouons que dans ce morceau il n’y a pas un mot qui ne soit une faute. Nous ne croyons pas le cardinal de Richelieu capable d’avoir laissé tant d’erreurs à la postérité.

 

        10° Nous ne dirons rien de la vénalité des charges de judicature, dont l’auteur paraît être le partisan. Il se pourrait qu’un ministre, sentant combien il est difficile de rembourser toutes ces charges, eût conclu à laisser subsister un abus qui ne se pouvait corriger qu’avec un argent qu’on n’avait pas. Mais en ce cas il nous semble que celui qui fait parler le ministre l’aurait fait parler plus dignement, en déplorant la nécessité de ce trafic honteux, qu’en cherchant à pallier ce vice par quelques avantages, peut-être imaginaires, qu’on prétend en résulter.

 

         Nous croyons remarquer une contradiction dans cet article. L’auteur dit à la page 205 que les esprits des magistrats qui sont d’une naissance trop médiocre « ont une austérité si épineuse, qu’elle n’est pas seulement fâcheuse, mais préjudiciable ; » et, à la page 206, il dit qu’il faut « qu’un pauvre magistrat ait l’âme d’une trempe bien forte, si elle ne se laisse quelquefois amollir par la considération de ses intérêts. »

 

        Nous invitons le lecteur à lire ce que dit M. de Voltaire sur ce sujet ; il nous paraît qu’il s’explique en véritable citoyen (1).

 

         Nous remarquons ici que le célèbre auteur de l’Esprit des lois n’a que trop abusé de ce passage du Testament politique (2). « Si dans le peuple, dit-il, se trouve quelque malheureux honnête homme, le cardinal de Richelieu insinue qu’un monarque doit se garder de s’en servir : tant il est vrai que la vertu n’est pas le ressort de ce gouvernement. » Il met en marge « que le Testament politique a été fait sous les yeux et sur les mémoires du cardinal de Richelieu par MM. de Bourzeys et de …, qui lui étaient attachés. »

 

 

 

 

1 – Voyez, dans les Nouveaux doutes, le passage ayant pour titre : Question importante. (G.A.)

2 – Esprit des lois, chap. V, liv. III, dernières lignes. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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