CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 13

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 13

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

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(Partie 1)

 

 

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ARBITRAGE

 

ENTRE M. DE VOLTAIRE ET M. DE FONCEMAGNE.

 

 

- 1765 -

 

 

 

(1)

 

 

 

 

          M. de Voltaire et M. de Foncemagne ont donné au monde littéraire un de ces exemples de politesse dans la dispute, qui ne sont pas toujours imités par les écrivains. Ces égards et cette décence conviennent également aux deux antagonistes.

 

       Le sujet qui les divise paraît très important ; il s’agit de savoir, non-seulement si le plus grand ministre qu’ait eu la France est l’auteur du Testament politique, mais encore s’il est digne de lui, et s’il faut ou l’accuser de l’avoir fait, ou le justifier de ne l’avoir point écrit.

 

          Nous vivons heureusement dans un siècle où la recherche de la vérité est permise dans tous les genres. Nulle considération particulière ne doit empêcher d’examiner cette vérité toujours précieuse aux hommes jusque dans les choses indifférentes. Un homme public, un grand homme, appartient à la nation entière il est comme un de ces monuments publics exposés aux yeux et aux jugements de tous les hommes.

 

         Je vais donc user du droit naturel que nous avons tous, et proposer mes idées sur ce fameux Testament politique.

 

          Je suis persuadé que M. de Foncemagne a raison d’attribuer au cardinal de Richelieu la Narration succincte des grandes actions du roi Louis XIII, et de rendre en effet ce ministre responsable de tout ce qu’on lit dans ce discours, supposé qu’en effet il y ait quelques lignes corrigées de la propre main du cardinal, comme je n’en doute pas. Les mots écrits de sa main sont une démonstration qu’il avait vu l’ouvrage, et laissent penser en même temps que l’ouvrage n’était point de lui, mais qu’il l’approuvait.

 

          Il semble surtout par ces mots, « Monaco, si vous reperdez Aire, galères d’Espagne perdues par la tempête, etc…, » que ce sont des avis qu’il donne à l’écrivain qu’il fait travailler.

 

          M. de Voltaire nous a donné la véritable époque du temps auquel ce discours fut écrit : « Ce ne peut être, dit-il, que sur la fin de juillet ou au mois d’auguste 1641, » puisque la ville d’Aire fut prise le 27 juillet 1641, et reprise un mois après par les Espagnols.

 

          Le cardinal avertit donc l’écrivain par cette note de ne pas parler de la conquête d’Aire, que l’on est prêt de perdre ; et il l’avertit qu’il pourra parler de Monaco (2), dont en effet on s’empara le 18 novembre de cette même année : il devient donc responsable de cette pièce, quoiqu’il n’en soit point l’auteur. Ainsi les princes, dans leurs manifestes et dans leurs traités, sont censés parler eux-mêmes. Le discours dont il s’agit est visiblement un manifeste écrit par l’ordre du cardinal de Richelieu, pour justifier toute sa conduite depuis qu’il était entré dans le ministère.

 

          M. de Voltaire demande pourquoi ce manifeste n’est point signé par le cardinal ? En voici, je crois, la raison :

 

          Le cardinal voulait et devait examiner bien soigneusement ce mémoire avant de le présenter au roi. L’auteur, dans le dessein de relever toutes les actions du premier ministre, le faisait parler en plusieurs endroits d’une manière un peu contraire à la vérité et à la modestie. Il lui faisait dire des choses dont Louis XIII n’aurait que trop connu la fausseté. Il était impossible que le cardinal de Richelieu, en entrant dans le conseil, eût promis au roi la ruine des protestants et l’abaissement des grands. C’était le marquis duc de La Vieuville qui était alors premier ministre. C’est le titre que le comte de Brienne, secrétaire d’Etat, lui donne. Le comte de Brienne nous apprend dans ses mémoires que ce fut le duc de La Vieuville qui fit entrer le cardinal au conseil, pour y assister seulement ainsi que le cardinal de La Rochefoucauld (3). Le roi ne lui donna point alors le secret des affaires.

 

           Les Mémoires de Rohan, le Journal de Bassompierre, les Mémoires de Vittorio Siri, les Manifestes de la reine-mère, les Mémoires de Dageant, nous apprennent que le cardinal ne traita même avec aucun ambassadeur dans les six premiers mois qu’il jouit de sa place ; il n’était chargé d’aucun département ; il était très éloigné d’avoir le premier crédit ; et ce ne fut qu’à l’occasion du mariage de la sœur de Louis XIII avec le roi d’Angleterre, qu’il commença à manifester ses grands talents, et à l’emporter sur tous ses concurrents.

 

          Ainsi, quelque dessein qu’il eût de faire valoir ses services auprès du roi, il ne pouvait, sans se nuire à lui-même, dire qu’il avait eu d’abord toute autorité, et qu’il promit de s’en servir « pour rabaisser l’orgueil des grands. »

 

          Ce fut depuis le mois d’août 1641, que le cardinal eut tout à craindre de ces grands et du roi même. Le roi était si fatigué et si mécontent de lui, que le grand écuyer Cinq-Mars osa lui proposer d’assassiner ce même ministre qu’il ne pouvait garder, et dont il ne pouvait se défaire.

 

         C’est un fait dont on ne peut douter, puisque Louis XIII lui-même l’avoua dans une lettre au chancelier de Châteauneuf.

 

         Les conspirations éclatèrent bientôt après de toutes parts ; on ne voit guère de moments depuis le mois d’août 1641, jusqu’à la mort du cardinal, où il ait eu le temps de s’occuper de la Narration succincte ; et une grande présomption qu’il ne l’a pas revue, c’est qu’il ne l’a point signée.

 

           Il y a une grande apparence que, s’il eût eu le loisir de l’examiner avec attention, il y aurait corrigé bien des choses que le zèle inconsidéré de son écrivain avait laissé échapper, et que la circonspection d’un premier ministre ne pouvait avouer. Il aurait exigé qu’on parlât du cardinal de Bérulle avec plus de modération ; il aurait adouci les injures odieuses prodiguées à toute la nation espagnole, avec laquelle il voulait faire la paix. Il n’aurait pas permis qu’on se servît de son nom pour dire de la duchesse de Savoie, sœur du roi son maître, « que les extravagances ajoutaient une nouvelle honte à sa conduite. »

 

           Il y a tant de traits de cette espèce dans la Narration succincte, toutes les grandes maisons du royaume y sont si maltraitées, on y parle de plusieurs principaux personnages avec tant de mépris, que je ne suis point étonné que le cardinal de Richelieu n’ait jamais signé cette pièce.

 

         Nous accordons à M. de Foncemagne que cet ouvrage est authentique ; qu’il a été composé en 1641 ; que le cardinal de Richelieu l’a vu ; qu’il y a fait des notes ; qu’en un mot c’est un monument précieux de ces temps-là.

 

         Nous pensons en même temps qu’il ne faut point faire de reproches au cardinal sur cet ouvrage, puisqu’il ne lui a pas donné une sanction légitime en le signant. Nous le regarderons comme un projet qui n’a point eu d’exécution, comme une pièce digne d’être conservée, et qui reçoit sa principale importance du nom sous lequel elle a été composée.

 

         Il nous paraît extrêmement vraisemblable que cette Narration succincte, ce projet de manifeste, fait évidemment en 1641, finissait à ces mots : « d’un prince dont la présence n’était pas peu utile à maintenir en son obéissance les peuples qu’il avait en gouvernement ; » car c’est au bas de cette page, qui est probablement la dernière, qu’on trouve dans un grand espace ces mots de la main du cardinal ainsi rangés :

 

 

Monaco

si vous reperdez

Aire ;

galères d’Espagne

perdues par la tempête ;

distribution de

bénéfices.

 

 

          Ensuite à une autre page l’auteur ajoute ces paroles :

 

         « Voilà, sire, jusqu’à présent, quelles ont été les actions de votre majesté, que j’estimerai heureusement terminées, si elles sont suivies d’un repos qui vous donne moyen de combler votre Etat de toutes sortes d’avantages. Pour ce faire, il faut considérer les divers ordres de votre royaume, l’Etat qui en est composé, votre personne, qui est chargée de sa conduite, et les moyens qu’elle doit tenir pour s’en acquitter dignement, ce qui ne requiert autre chose en général que d’avoir un bon et fidèle conseil, faire état de ses avis, et suivre la raison dans les principes qu’elle prescrit pour le gouvernement de ses Etats : c’est à quoi se réduira le reste de cet ouvrage, traitant distinctement ces matières en divers chapitres subdivisés en diverses sections, pour les éclaircir plus méthodiquement. »

 

         Premièrement, cette addition ne nous paraît pas tout à fait du même style que la Narration succincte.

 

        Secondement, elle n’est point annoncée dans le commencement de la Narration, elle ne l’est que dans une lettre au roi qui précède cette Narration, et jamais on n’a vu l’original de cette lettre, laquelle n’étant nullement sujette à révision, comme la Narration succincte, devrait avoir été signée sans aucune difficulté.

 

        S’il nous paraît indubitable que ce manifeste du cardinal de Richelieu auprès du roi son maître sous le nom de Narration succincte, a été vu et corrigé de la main du premier ministre, nous croyons qu’il n’en est pas de même du Testament politique. Nous pensons que l’auteur, soit l’abbé de Bourzeys, soit quelque autre, a voulu lier ces deux ouvrages ensemble, et faire passer ses propres idées, non-seulement sous un nom illustre, mais à la faveur d’une pièce avouée en quelque façon par le cardinal lui-même. Nous sommes portés à penser que l’abbé de Bourzeys n’avait aucune part à la Narration. Le style du Testament politique semble être entièrement conforme à celui du dernier paragraphe ajouté après coup à cette Narration succincte.

 

         Nous sommes entièrement de l’avis de M. de Voltaire, quand il dit que si le Testament politique avait été vu du cardinal de Richelieu, il y aurait certainement fait des notes, comme il en fit à la Narration.

 

        Ce Testament, en effet, mérite beaucoup plus de notes qu’aucun autre ouvrage de ce genre, et il ne nous paraît nullement vraisemblable qu’un homme aussi instruit et aussi éclairé que le cardinal n’eût pas indiqué en marge une seule des erreurs dont le Testament politique est rempli.

 

         Nous avouons que cette réflexion de M. de Voltaire est d’un très grand poids.

 

 

 

1 – Voyez notre Notice en tête des Mensonges imprimés. (G.A.)

2 – N.B. – Il paraît pourtant bien difficile à croire que le cardinal de Richelieu ait fait en juillet une note de Monaco, qui ne fut au pouvoir du roi qu’au mois de novembre. (Voltaire.)

3 – Mémoires de Brienne, tome I, page 160. (Voltaire.)

 

 

 

 

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