CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 12

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 12

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

 

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LETTRE

 

ÉCRITE DEPUIS L’IMPRESSION DES DOUTES.

 

 

(1)

 

 

 

 

        En vous envoyant, monsieur, la réponse que j’ai faite à M. de Foncemagne je n’en sens pas moins l’extrême futilité de la plupart de ces disputes. Il n’importe guère de qui soit un livre, pourvu qu’il soit bon. Notre véritable intérêt est d’y puiser des instructions ; le nom de l’auteur n’est qu’un objet de curiosité. Que gagnerons-nous à savoir qui sont les faussaires qui ont fabriqué les testaments de Louvois, de Colbert, du duc de Lorraine, du cardinal Albéroni, du maréchal de Belle-Isle ? Les testaments politiques sont devenus si fort à la mode, qu’on a fait enfin celui de Mandrin.

 

        Lorsque le testament du cardinal Albéroni parut, je crus d’abord qu’il avait été publié par l’abbé de Montgon (2), parce qu’en effet il y a un chapitre sur l’Espagne beaucoup plus vrai et plus instructif que tout ce que j’ai lu dans toutes les rapsodies auxquelles on a donné le nom de testament. Je souhaitai à l’auteur qu’il eût été couché sur celui du cardinal Albéroni pour quelque bonne pension : il se trouva que cet auteur était un capucin échappé de son couvent, à qui personne n’avait fait de legs, et qui, n’ayant pas de quoi subsister, faisait des testaments pour gagner sa vie.

 

       M. de Bois-Guillebert s’avisa d’abord d’imprimer la Dîme royale sous le nom de Testament politique du maréchal de Vauban : ce Bois-Guillebert, auteur du Détail de la France, en deux volumes, n’était pas sans mérite ; il avait une grande connaissance des finances du royaume ; mais la passion de critiquer toutes les opérations du grand Colbert l’emporta trop loin ; on jugea que c’était un homme fort instruit qui s’égarait toujours, un faiseur de projets qui exagérait les maux du royaume, et qui proposait de mauvais remèdes. Le peu de succès de ce livre auprès du ministère lui fit prendre le parti de mettre sa Dîme royale à l’abri d’un nom respecté (3) ; il prit celui du maréchal de Vauban et ne pouvait mieux choisir. Presque toute la France croit encore que le projet de la Dîme royale est de ce maréchal, si zélé pour le bien public ; mais la tromperie est aisée à connaître.

 

        Les louanges que Bois-Guillebert se donne à lui-même dans la préface le trahissent ; il y loue trop son livre du Détail de la France ; il n’était pas vraisemblable que le maréchal eût donné tant d’éloges à un livre rempli de tant d’erreurs ; on voit dans cette préface un père qui loue son fils, pour faire bien recevoir un de ses bâtards.

 

        L’abbé de Saint-Pierre, d’ailleurs excellent citoyen, s’y prenait d’une autre façon pour faire goûter ses idées ; il les donnait à la vérité sous son nom avec franchise, mais il les appuyait du suffrage du duc de Bourgogne, et prétendait que ce prince avait toujours été occupé du scrutin perfectionné, de la paix perpétuelle, et du soin d’établir une ville pour tenir la diète européane, ou européenne, ou europaine. Il ressemblait aux anciens législateurs qui disaient avoir reçu leurs lois de la bouche des demi-dieux.

 

        Plût à Dieu, monsieur, qu’il n’y eût de la charlatanerie que dans ces projets chimériques ! mais il y a des charlatans de toute espèce, et le nombre de ceux qui ont voulu tromper les hommes peut à peine se compter.

 

        Ce qu’il y a de pis, c’est qu’on voit quelquefois des hommes du plus rare mérite soutenir avec autant d’esprit que de bonne foi les plus grandes erreurs, uniquement parce qu’elles sont accréditées. S’ils trouvent une faible lueur qui puisse la faire valoir. Si quelque lumière plus vive éclaire le mauvais côté de leur cause, ils ferment les yeux de peur de la voir. Il est peut-être plus commun encore de se tromper soi-même que de chercher à tromper les autres.

 

        La séduction et la charlatanerie entrent même dans les choses purement de goût, dans le jugement qu’on porte d’une tragédie, d’une comédie, d’un opéra, d’une pièce de vers, d’un discours oratoire. Tel qui sera enchanté de l’Arioste n’osera l’avouer, et dira en bâillant que l’Odyssée est divine.

 

        Il y a une foule prodigieuse de gens d’esprit, mais les personnes d’un goût épuré, qui pensent juste, et qui disent ce qu’elles pensent, sont bien rares.

 

        Que d’erreurs monstrueuses accréditées par la science même qui aurait dû les détruire ! On commence par une fausse charte, par un diplôme supposé ; on le montre en secret à quelques personnes intéressées à le faire valoir : sa réputation s’établit avant même qu’il soit connu. Commence-t-il à percer, les honnêtes gens, les esprits sensés se récrient contre l’imposture ; on les fait taire ; on rectifie une erreur ; on déguise habilement un mensonge ; on corrompt le sens du texte par des commentaires. Ecoutez Montaigne, il dira bien mieux que moi (livre III, chapitre XI) :

 

        « Les premiers qui sont abreuvés de ce commencement d’étrangeté, venant à semer leur histoire, sentent, par les oppositions qu’on leur fait, où loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet endroit de quelque pièce fausse. Outre ce que, insita hominibus libidine alendi de industria rumores (Tive-Liv.), nous faisons naturellement conscience de rendre ce qu’on nous a prêté, sans quelque usure et accession de notre crû. L’erreur particulière fait premièrement l’erreur publique, et à son tour après l’erreur publique fait l’erreur particulière. Ainsi va tout ce bâtiment, s’étoffant et formant de main en main, de manière que le plus éloigné témoin en est mieux instruit que le plus voisin, et le dernier informé, mieux persuadé que le premier. C’est un progrès naturel. Car quiconque croit quelque chose, estime que c’est ouvrage de charité de la persuader à un autre, et pour ce faire, ne craint point d’ajouter de son invention, autant qu’il voit être nécessaire en son conte, pour suppléer à la résistance et au défaut qu’il pense être en la conception d’autrui. »

 

       Qui veut apprendre à douter doit lire ce chapitre entier de Montaigne, le moins méthodique des philosophes, mais le plus sage et le plus aimable.

 

 

 

 

1 – Ou plutôt, pendant l’impression des Doutes, puisqu’elle parut à leur suite dans la première édition. (G.A.)

2 – Voyez, l’Examen de ce testament. (G.A.)

3 – La Dîme royale est bien l’œuvre de Vauban. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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