CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 11

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 11

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

 

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NOUVEAUX DOUTES

 

SUR L’AUTHENTICITÉ DU TESTAMENT POLITIQUE

ATTRIBUÉ AU CARDINAL DE RICHELIEU ET SUR

LES REMARQUES DE M. DE FONCEMAGNE.

 

 

 

(Partie 5)

 

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SUITE DE CETTE QUESTION.

 

 

 

         Trouvez bon, monsieur, que je me serve encore d’une de vos allégations pour me prouver invinciblement à moi-même que ce célèbre ministre n’a point fait le testament qu’on lui reproche.

 

        Vous le reconnaissez, dites-vous, au conseil qu’il donne à Louis XIII en ces termes : « Conjurant votre majesté d’appliquer son esprit aux grandes choses importantes à son Etat, et de mépriser les petites. »

 

         Voilà précisément le défaut dans lequel on fait tomber le cardinal ; rien n’était plus important que l’éducation du dauphin : quel gouverneur lui donnera-t-on ? qui mettra-t-on auprès de sa personne ? Il n’en est pas dit un mot dans le testament ; et cependant la Narration succincte ne peut être que du mois d’août 1641, trois ans après la naissance du dauphin. Ainsi, dans cette longue déclamation adressée à Louis XIII, dans ces conseils donnés à son souverain d’un ton de maître, il n’est question ni de l’héritier de la couronne, ni des grands intérêts du roi, ni de ceux du royaume.

 

 

 

 

 

QUESTION INTÉRESSANTE.

 

 

 

 

         Souffrez que je vous propose un de mes doutes, qui me paraît mériter l’attention du public.

 

          Je ne sais s’il est bien vraisemblable qu’un grand ministre ait conseillé de perpétuer l’abus de la vénalité des charges ; la France est le seul pays souillé de cet opprobre.

 

         « Je ne sais s’il est bien vrai que ce qu’on appelle basse naissance produit rarement les qualités nécessaires à un magistrat, et que de deux personnes dont le mérite est égal, celle qui est plus aisée en ses affaires est préférable à l’autre. » Le testament ajoute : « Il est certain qu’il faut qu’un pauvre magistrat ait l’âme d’une trempe bien forte, si elle ne se laisse amollir quelquefois par la considération de ses intérêts. »

 

          Le cardinal pouvait-il penser ainsi, lui qui avait vu les magistrats les plus pauvres du parlement, Barillon, Sallo, Lainé, Bitaut, et le père de Scarron, résister à sa violence avec le plus de courage ?

 

      Peut-être les hommes d’une fortune médiocre sont en tout pays les meilleurs citoyens, puisqu’ils sont au-dessus d’une extrême pauvreté qui peut conduire à des bassesses, et au-dessous de la grande opulence qui nourrit presque toujours l’ambition.

 

         A l’égard de ce qu’il appelle basse naissance, les avocats, dont on tire les magistrats dans tout le reste de l’Europe, sont tous des citoyens de familles honnêtes, et précisément dans cet état également éloigné de la misère et de la fortune, état convenable à l’intégrité de la magistrature ; tous ont reçu une bonne éducation, tous ont étudié les lois : la dissipation et les plaisirs, suite ordinaire de la richesse, ne les ont point corrompus ; ils enseignent les magistrats, et sont par conséquent dignes de l’être (1).

 

        Avouons que la vénalité des charges est un très grand mal, qui n’a eu sa source que dans les malheurs de François Ier, et dans la très mauvaise administration de ses finances.

 

       Ce serait une chose monstrueuse en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, et même dans presque toute l’Italie, que d’acheter le droit de juger les hommes, comme on achète un pré et un champ. Cet abus n’est connu ni en Turquie, ni en Perse, ni à la Chine.

 

        Enfin je ne puis imaginer qu’un ministre ait pu conseiller le maintien de ce trafic honteux contre lequel l’univers entier réclame. Tous ceux qui exercent aujourd’hui la magistrature en France avec tant de dignité et de justice aimeraient mieux avoir été élus à la pluralité des voix, comme ils l’auraient été sans doute, que d’avoir tous acheté leur office à prix d’argent. Ainsi cette magistrature elle-même s’élève, avec le reste de la terre, contre l’abus qu’on suppose approuvé par le cardinal de Richelieu.

 

 

1 – Voltaire, qui voulait que son écrit parût à Paris, avait peur de la censure pour les alinéas précédents. La censure ferma les yeux. (G.A.)

 

 

 

 

 

CONCLUSION.

 

 

 

 

        Je persiste toujours, monsieur, dans mon sentiment, qui a été le vôtre, et qui semble encore l’être, c’est-à-dire que le cardinal de Richelieu put jeter un coup d’œil sur la Narration succincte de l’abbé de Bourzeys ; et j’ajoute que si le cardinal avait vu le reste, il n’aurait pas eu grande opinion de la capacité de ce projeteur.

 

        Le monde est plein de ces donneurs d’avis qui font parler les ministres ; mais j’ose croire que toutes les fois qu’on attribue à un ministre des projets visiblement impraticables, des calculs erronés, des assertions évidemment fausses, des erreurs grossières sur les choses les plus communes, des déclamations de rhétorique sans objet précis, et de vagues réflexions sans convenance, qui n’ont rien de commun ni avec l’état présent des choses, ni avec la situation du ministre, ni avec le caractère du prince à qui s’adressent ces discours, on peut être assuré que l’ouvrage n’est point du ministre.

 

       Pouvez-vous penser autrement, monsieur, vous qui soupçonnez toujours dans vos remarques que Bourzeys et Dageant ont fabriqué le Testament politique ? vous qui, effrayé des bévues dont les chapitres sur le commerce et la finance fourmillent, dites, page 118 : « Ce pourrait bien être le fruit du travail de Dageant ; » vous n’avez donc écrit en effet que pour confirmer mon opinion et pour prouver que le testament n’est pas du cardinal.

 

        Je ne peux imaginer, monsieur, que vous souteniez le pour et le contre, et que vous vouliez vous contredire parce que le testament se contredit en cent endroits. Je crois devoir inférer de tout votre ouvrage que, quand vous dites le cardinal de Richelieu, vous entendez toujours Dageant et Bourzeys.

 

         Cependant comment se peut-il faire qu’étant vous-même persuadé que le testament prétendu n’est pas du cardinal de Richelieu, et que la moitié de cet ouvrage est un tissu de lieux communs, et l’autre moitié, un amas de projets impraticables, vous pensiez m’éblouir en me disant qu’il a été loué par La Bruyère (1) ? N’est-il jamais arrivé qu’un homme de lettres se soit laissé séduire par un grand nom, par l’envie de faire sa cour à des personnes puissantes, enfin par l’erreur populaire, qui domine souvent les esprits les mieux faits ? Si l’abbé de Bourzeys avait donné ses Idées politiques sous son nom, on en aurait ri comme des projets de M. Ormin et de Caritidès (2).

 

         Il sentit combien Sosie a raison de dire :

 

 

Tous ces discours sont des sottises,

Partant d’un homme sans éclat ;

Ce serait paroles exquises,

Si c’était un grand qui parlât.

 

 

        Dès qu’une fois la prévention est établie, vous savez que la raison perd tous ses droits. Les noms, en tout genre, font plus d’impression que les choses.

 

         Vous avez peut-être entendu parler de ce qui se passa dans un souper au Temple, chez M. le prince de Vendôme, au sujet des fables de La Motte. Elles venaient de paraître, et par conséquent tout le monde affectait d’en dire du mal. Le célèbre abbé de Chaulieu, l’évêque de Luçon, fils du fameux Bussi-Rabutin, et beaucoup plus aimable que son père, un ancien ami de Chapelle, plein d’esprit et de goût, l’abbé Courtin, et d’autres bons juges des ouvrages, s’égayaient aux dépense de La Motte ; le prince de Vendôme et le chevalier de Bouillon enchérissaient sur eux tous ; on accablait le pauvre auteur ; je leur dis : Messieurs, vous avez tous raison ; vous jugez en connaissance de cause : quelle différence du style de La Motte à celui de La Fontaine ! Avez-vous vu la dernière édition des Fables de La Fontaine ? Non, dirent-ils. Quoi ! vous ne connaissez pas cette belle fable qu’on a retrouvée parmi les papiers de madame la duchesse de Bouillon ? Je leur récitai la fable, ils la trouvaient charmante, ils s’extasiaient. Voilà du La Fontaine, disaient-ils ; c’est la nature pure ; quelle naïveté ! quelle grâce ! Messieurs, leur dis-je, la fable est de La Motte : alors ils me la firent répéter, et la trouvèrent détestable.

 

        J’ai été souvent à portée de conter cette histoire à propos ; et je crois que c’est ici sa véritable place.

 

        Vous pensez, monsieur, justifier les bévues du ministère par les miennes, vous feignez de croire que le cardinal de Richelieu a pu prendre le pape Benoit XI pour le pape Jean XXII, parce que mon imprimeur allemand a mis dans l’Essai sur les mœurs, etc., ni la Sardaigne pour la Cerdagne. Vous concluez de ce que j’ai dit des sottises que le cardinal de Richelieu a pu aussi en dire. Le cas est bien différent, il n’est pas permis à un ministre de se tromper quand il donne des leçons à son maître. Je ne donne de leçons à personne ; je suis fait pour en recevoir ; c’est à moi qu’il est permis de se tromper ; et c’est à vous de me redresser.

 

         Aussi vous me reprochez, pour justifier le cardinal de Richelieu, ou plutôt Bourzeys et Dageant, vous me reprochez, dis-je, que j’ai dit dans l’Essai sur les mœurs, etc., que Constance de Naples était fille de Guillaume II. Non, monsieur, je ne l’ai point dit : l’édition que j’ai sous mes yeux, imprimée à Genève en 1761, porte au tome II, page 12 : « Il ne restait de la race légitime des conquérants normands que Constance, fille du roi Roger, premier du nom. » Si on a mis Victor II pour Victor IV, ce n’est pas ma faute, et cela ne prouve rien pour le testament du cardinal. Je ne sais pas de quelle édition vous vous êtes servi. Si je pouvais encore avoir quelque amour-propre dans ma vieillesse, en connaissant, comme je fais, le néant de la plupart des livres, et surtout des miens, je pourrais me plaindre de la manière dont on défigure à Paris tous mes ouvrages, jusque-là que plusieurs de mes tragédies sont remplies de vers qui ne sont pas de moi, et que je n’ai reconnu ni Tancrède ni Olympie dans les éditions des libraires de cette ville.

 

       Je me justifie auprès de vous, monsieur, moins par vanité que par mon amour pour la vérité, qui assurément est égal au vôtre ; amour qui ne doit jamais s’affaiblir, qui ne doit céder à aucune complaisance, contre lequel l’envie et la calomnie s’élèvent trop souvent, mais qu’elles sont forcées de respecter en secret.

 

         J’avoue que vous avez très grande raison quand vous relevez la faute que j’avais faite de prendre un Léopold d’Autriche pour un autre Léopold d’Autriche, dans l’Essai sur les mœurs, etc. Que Dieu vous conserve les yeux, dont la privation presque entière me fait faire bien des fautes ! Il m’a jusqu’ici conservé un peu de mémoire ; elle m’a servi depuis longtemps à corriger cette bévue ; et si vous aviez pris la peine de lire mes Remarques sur l’Histoire générale, imprimées en 1763, vous auriez vu ces paroles à la page 85 (3) :

 

        « Je me suis trompé sur un duc d’Autriche qui enchaîna et vendit Richard II, roi d’Angleterre : ce n’est pas ce duc qui fit la guerre aux Suisses. Il y a quelques erreurs pareilles dont les lecteurs savants s’aperçoivent, et dont les autres doivent être informés. »

 

         Ainsi, monsieur, étant d’accord avec moi sur une de mes erreurs, que vous relevez près de deux ans après moi, soyons aussi d’accord ensemble sur les fautes innombrables de MM. Dageant et Bourzeis. Il y a une petite différence entre eux et moi ; c’est qu’on loue le cardinal de Richelieu d’un ouvrage qu’ont fait ces messieurs, et qu’on m’impute à moi tous les jours des ouvrages dont on ne loue personne. Jamais on ne parla à Louis XIII du Testament politique attribué au cardinal de Richelieu ; et on parle quelquefois à Louis XV et à sa cour d’écrits qu’on m’attribue (4), et auxquels je n’ai pas la moindre part. Ce malheur est le partage des gens de lettres ; on les calomnie pendant leur vie, on leur rend quelquefois justice après leur mort. Je vous prie, monsieur, de me la rendre de mon vivant ; cette justice est surtout d’être bien persuadé de mes sentiments respectueux pour vous, et de ma très sincère estime.

 

 

Si quid novisti rectius istis,

Candidus imperti ; si non, his utere mecum.

 

HOR., lib. I, ep. VI, v. 67.

 

 

         Vous semblez penser que la Narration succincte fut écrite par ordre du cardinal de Richelieu, et que le Testament politique a été composé en partie par Dageant, et en partie par Bourzeys ou quelque autre ; si vous trouvez des raisons convaincantes pour vous rétracter, je vous promets de me rétracter aussi, et de me soumettre à votre jugement.

 

 

Aux Délices, près de Genève, 23 octobre 1764.

 

 

 

 

1 – « C’est la peinture de son esprit, dit La Bruyère ; son âme tout entière s’y développe ; l’on y découvre le secret de sa conduite et de ses actions ; l’on y trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands événements qui ont paru sous son administration ; l’on y voit qu’un homme qui pense si virilement et si juste a pu agir sûrement et avec succès, et que celui qui a achevé de si grandes choses, ou n’a jamais écrit, ou a dû écrire comme il a fait. » (G.A.)

 

2 – Personnage de la comédie des Fâcheux. (G.A.)

 

3 – Ce passage ne se trouve plus dans les Remarques, attendu que Voltaire a corrigé sa faute. (G.A.)

 

4 – Allusion au Dictionnaire philosophique portatif qui venait de paraître et qu’on avait dénoncé au roi comme étant de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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