CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 10

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CRITIQUE HISTORIQUE - Testament politique du cardinal de Richelieu - Partie 10

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CRITIQUE HISTORIQUE

 

 

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NOUVEAUX DOUTES

 

SUR L’AUTHENTICITÉ DU TESTAMENT POLITIQUE

ATTRIBUÉ AU CARDINAL DE RICHELIEU ET SUR

LES REMARQUES DE M. DE FONCEMAGNE.

 

 

 

(Partie 4)

 

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PREUVES DE LA SUPPOSITION DU TESTAMENT.

 

AFFAIRE DE FINANCE.

 

 

 

          A toutes ces vraisemblances, qui me paraissent des certitudes, j’ajouterai toujours que si le cardinal a voulu donner des leçons à son maître, il a donné des leçons à son maître, il a donné des leçons bien étranges : s’il entre dans quelques détails, il se trompe toujours ; s’il parle de finances, chapitre IX, il fait des fautes qu’un écolier qui apprendrait l’arithmétique ne commettrait pas.

 

       « De trente millions à supprimer, il y en a près de sept dont le remboursement ne devant être fait qu’au denier cinq, la suppression se fera en sept années et demie par la seule jouissance. »

 

          Premièrement, l’auteur met le denier cinq pour le denier vingt.

 

         Secondement, comment imaginer que dans sept années et demie un fonds est absorbé par la jouissance à cinq pour cent ? ces cinq pour cent en sept années et demie font trente-sept et demi : or je demande à Barême si trente-sept et demi font cent ?

 

         Je prie tous les calculateurs, et tous les hommes versés dans la finance, de lire ce chapitre, et de dire s’ils ont jamais vu de pareils comptes, et de pareils projets de ministre.

 

 

 

 

AUTRES PREUVES.

 

 

 

 

          Vous voyez que sur terre et sur mer le rédacteur du Testament politique s’éloigne assez des idées ordinaires. Il soutient qu’il n’y a point d’établissements à faire dans l’Occident : les Anglais et les Hollandais nous ont bien prouvé le contraire ; et il est très certain que le feu comte Maurice, qui était plein de vie en 1642, gouvernait le Brésil, que les Hollandais avaient conquis sur les Portugais.

 

         M. de Foncemagne me dit que j’ai confondu ce comte Maurice avec le Maurice prince d’Orange. Non, c’est l’abbé de Bourzeys qui les confond, et c’est une de ses moindres méprises.

 

          Il n’y a sans doute que cet abbé de Bouzeys qui ait pu avancer (chap. IX) que Gênes était la plus riche ville d’Italie, tandis que le pape jouissait de quinze millions de nos livres de rente, tandis que Livourne faisait un plus grand commerce que Gênes, tandis que Venise trouva des fonds assez considérables pour résister aux forces de l’empire ottoman.

 

 

 

 

 

RÉFLEXION.

 

 

 

         Je crains que tant de fautes accumulées ne fatiguent le lecteur ainsi que moi. Je finis par cette grande difficulté à laquelle on n’a jamais pu répondre, et que j’ai indiquée dans mes premières réflexions. Y a-t-il quelqu’un qui puisse croire qu’un premier ministre parle à son roi de tant de petits détails qui n’appartiennent qu’à des commis subalternes, et surtout de tant de calculs erronés et de projets chimériques de finance, qui n’appartiennent qu’à ces écrivains qu’on appelle en Angleterre projeteurs ? qu’il propose aux Français de ne s’habiller que d’un bon drap du seau (1), aux parlements de payer la taille, aux gentilshommes d’être enrôlés, aux chefs des armées de lever toujours par ménage cent mille soldats, quand il en faut cinquante mille ; qu’il ne donne d’ailleurs que des conseils vagues sur la grande administration, qu’il s’appesantisse dans la moitié de son livre sur des lieux communs de morale, et en fasse un sermon insipide, sans dire un seul mot de la manière dont il fallait soutenir alors l’Etat chancelant ?

 

        J’avoue que j’ai toujours été tellement frappé d’une inconvenance si marquée, que si l’abbé de Bouzeys me montrait aujourd’hui son livre signé de la main du cardinal de Richelieu, je lui dirais : Non, il n’est pas de lui ; c’est vous qui lui avez fait signer votre propre ouvrage ; il vous avait demandé peut-être quelques observations politiques dont il pût faire usage ; il a pu les signer comme tant de grands seigneurs signent les comptes de leurs intendants sans les avoir presque lus (2).

 

 

1 – Selon Furetière, le drap d’Usseau « est un drap manufacturé en un village de Languedoc, près de Carcassonne, d’où ce nom lui est venu »

2 – Voltaire se sent vaincu ; il ne discute plus, il s’entête ; c’est habile. (G.A.)

 

 

 

 

 

OBJECTION.

 

 

 

 

          M. de Foncemagne me dit qu’il n’est pas étonnant que le cardinal de Richelieu ait présenté à Louis XIII « ces lieux communs, puérils, vagues, ce catéchisme pour un prince de dix ans, si déplacé à l’égard d’un roi âgé de quarante années, puisque le grand Bossuet composa autrefois, pour l’instruction du dauphin, la Politique tirée de l’Ecriture sainte. »

 

 

 

 

 

RÉPONSE.

 

 

 

 

          Je réponds à M. de Foncemagne : Il est pardonnable au grand Bossuet d’avoir fait pour un enfant ce livre peu digne de lui, intitulé Politique tirée de l’Ecriture sainte ; mais ce sublime écrivain aurait bien négligé toute décence, s’il avait fait un tel ouvrage pour l’usage de Louis XIV. Vous savez mieux qu’un autre, monsieur, comment il faut parler aux jeunes princes et aux princes d’un âge mûr ; et dans le fond de votre cœur, vous sentez encore mieux que moi les prodigieuses disparates que j’ai observées, et l’extrême inconvenance de dire à un prince qui règne depuis trente-six ans ce qu’on dirait à peine à un enfant qu’on élève, et surtout ce qu’il ne faudrait pas lui dire dans un style prolixe et rebutant.

 

 

 

 

 

QUESTION IMPORTANTE.

 

 

 

 

          Imaginons que Louis XIV, après les batailles d’Hochstedt, de Ramillies, d’Oudenarde, de Turin, manquant d’argent, ayant peine à recruter ses armées, demanda au maréchal de Villars un plan qui pût remédier aux maux présents de la France. Croyez-vous de bonne foi qu’alors le maréchal de Villars, prêt à partir pour entrer en campagne, eût dit au roi : « Sire, il faut commencer par restreindre les appels comme d’abus ; toute contravention à la pragmatique a été estimée cas privilégié ; vous avez tort de prétendre le droit de régale dans certains diocèses : il faut annexer à la Sainte-Chapelle une abbaye ; il ne faut pas croire les gens de palais, qui jugent de la puissance du roi par la forme de sa couronne, qui, étant ronde, n’a point de fin ; les universités prétendent qu’on leur fait un tort extrême de ne leur pas laisser privativement à tous autres la faculté d’enseigner la jeunesse.

 

         L’histoire de Benoit XI contre les cordeliers qui piqués sur le sujet de la perfection de la pauvreté, savoir, des revenus de saint François, s’animèrent à un tel point qu’ils lui firent ouvertement la guerre par leurs livres, etc.

 

        Je vous apprends que les meilleurs princes ont besoin d’un bon conseil : je vous apprends qu’un prince capable est un grand trésor dans un Etat, et que beaucoup de qualités sont requises pour faire un conseiller d’Etat parfait. Je vous apprends qu’un conseiller d’Etat doit être un honnête homme ; et voici sept grands paragraphes où je parle des grands conseillers d’Etat, sans dire un seul mot du fait dont il s’agit (1).

 

          Il est question, sire, d’empêcher les ennemis de venir à Paris ; mais n’en parlons point. Apprenez, à votre âge, que le règne de Dieu est le principe du gouvernement des Etats, et que la pureté d’un prince chaste bannira plus d’impureté du royaume que toutes les ordonnances qu’il saurait faire à cette fin.

 

          Ecoutez, sire, cette vérité si peu connue : la raison doit être la règle et la conduite d’un Etat : la lumière naturelle fait connaître à un chacun que l’homme, ayant été fait raisonnable, ne doit rien faire que par raison. »

 

 

        (Cette maxime est nouvelle, je l’avoue ; mais elle n’en est pas moins curieuse, et elle prouve qu’il ne faut pas croire le P. Canaye, qui loue tant le maréchal d’Hocquincourt de n’avoir point de raison (2).

 

 

         « Je vous apprends que la prévoyance est nécessaire au gouvernement d’un Etat.

 

         Je me donnerai bien de garde de vous dire quels négociateurs secrets il faudrait employer pour détacher l’Angleterre de l’Allemagne et de la Hollande, et pour opposer le comte d’Oxford au duc de Marlborough ; mais lisez, si vous pouvez, mon chapitre VII, où je parle des négociations ; je vous y apprends que la faveur peut innocemment avoir lieu dans quelques choses, lorsque le trône de cette fausse déesse est élevé au-dessus de la raison : lisez le chapitre VII, où un abbé que j’ai consulté dit que les Français, étant destitués de flegme, sont des viandes servies sans sauce. »

 

         Si le maréchal de Villars avait parlé ainsi, n’est-il pas vrai que le roi Louis XIV l’aurait cru un peu affaibli du cerveau, et ne l’eût certainement pas envoyé commander sur la frontière ?

 

         Voilà pourtant très précisément ce qu’on impute au cardinal de Richelieu.

 

        Maintenant je suppose que le cardinal eût donné à lire son testament à Louis XIII, qui ne lisait jamais ; je suppose même que le roi eût fait l’effort difficile de parcourir cet ouvrage ; dans quel excès de surprise ne serait-il pas tombé ? n’aurait-il pas été en droit de dire à son ministre : « J’attendais de vous des conseils un peu plus précis : vous savez de quelle importance il est d’attacher à mon service les troupes veimariennes, et que c’est l’unique moyen d’incorporer l’Alsace à la France.

 

         La Savoie va nous échapper : le chancelier Oxenstiern peut faire une paix avantageuse avec l’Allemagne, et nous abandonner. De grands troubles se préparent en Angleterre, dont il me semble que nous pouvons profiter.

 

        Quel avantage tirerons-nous de la révolte de la Catalogne contre le roi d’Espagne, et de la prise de Turin par le comte de Harcourt de Lorraine ?

 

        Quels négociateurs emploierons-nous pour attacher le landgrave de Hesse aux intérêts de la France ? Avons-nous assez d’argent pour lui payer des subsides.

 

        Quels secours pouvons-nous donner au Portugal ?

 

       Par quel moyen pourrons-nous dissiper les conspirations qui se trament en secret en France ?

 

       Quelles propositions faudra-t-il faire au duc de Bouillon, pour l’engager à céder sa principauté de Sédan, et à n’avoir désormais d’autre intérêt que celui de me servir ?

 

     Que dois-je faire surtout pour écarter de mon frère les conseillers pernicieux qui sont prêts de l’engager à prendre les armes ?

 

      Parlez-moi de tant d’intérêts importants de qui dépend le destin de l’Europe et de la France : ces seuls objets sont dignes de vous et de moi ; laissez là vos viandes servies sans sauce, et vos sept paragraphes des devoirs d’un conseiller d’Etat. Je veux bien que l’abbé de Bourzeys, et Sirmond, et Salomon, etc….., aient le brevet de conseiller Etat, pour faire votre panégyrique, mais je ne veux pas qu’ils m’ennuient.

 

       Votre abbé de Bourzeys m’a déjà fait perdre mon temps à lire une Narration succincte et erronée de ce qui s’est passé publiquement depuis quelques années et de ce que je savais mieux que lui. Tâchez donc de me procurer un mémoire succinct de ce que je dois faire ; que l’un soit la suite de l’autre ; et si Bourzeys n’est pas capable d’un tel ouvrage, donnez-le à faire à Colletet ou à Chapelain. »

 

         Je demande à M. de Foncemagne, et à tous les lecteurs, si un tel discours dans la bouche de Louis XIII n’aurait pas été d’autant plus raisonnable, que le testateur politique emploie une section entière à prouver qu’il faut être gouverné par la raison.

 

 

 

1 – L’abbé de Bourzeys avait le titre de conseiller d’Etat. (Voltaire.)

2 – Dans la Conversation rapportée par Saint-Evremond. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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