SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXXIII - Suite des arts.

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 SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXXIII - Suite des arts.

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SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

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CHAPITRE XXXIII.

 

Suite des arts.

 

 

 

 

 

 

          A l’égard des arts qui ne dépendent pas uniquement de l’esprit, comme la musique, la peinture, la sculpture, l’architecture, ils n’avaient fait que de faibles progrès en France, avant le temps qu’on nomme le siècle de Louis XIV (1). La musique était au berceau : quelques chansons languissantes, quelques airs de violon, de guitare, et de téorbe, la plupart même composés en Espagne, étaient tout ce qu’on connaissait. Lulli étonna par son goût et par sa science. Il fut le premier en France qui fit des basses, des milieux, et des fugues. On avait d’abord quelque peine à exécuter ses compositions, qui paraissent aujourd’hui si simples et si aisées. Il y a de nos jours mille personnes qui savent la musique, pour une qui la savait du temps de Louis XIII ; et l’art s’est perfectionné dans cette progression. Il n’y a point de grande ville qui n’ait des concerts publics ; et Paris même alors n’en avait pas : vingt-quatre volons du roi étaient toute la musique de la France.

 

          Les connaissances qui appartiennent à la musique et aux arts qui en dépendent ont fait tant de progrès que, sur la fin du règne de Louis XIV, on a inventé l’art de noter la danse ; de sorte qu’aujourd’hui il est vrai de dire qu’on danse à livre ouvert.

 

Nous avions eu de très grands architectes du temps de la régence de Marie de Médicis. Elle fit élever le palais du Luxembourg dans le goût toscan, pour honorer sa patrie et pour embellir la nôtre. Le même de Brosse, dont nous avons le portail de Saint-Gervais, bâtit le palais de cette reine, qui n’en jouit jamais. Il s’en fallut beaucoup que le cardinal de Richelieu, avec autant de grandeur dans l’esprit, eût autant de goût qu’elle. Le palais Cardinal, qui est aujourd’hui le Palais-Royal, en est la preuve. Nous conçûmes les plus grandes espérances quand nous vîmes élever cette belle façade du Louvre qui fait tant désirer l’achèvement de ce palais. Beaucoup de citoyens ont construit des édifices magnifiques, mais plus recherchés pour l’intérieur que recommandables par des dehors dans le grand goût, et qui satisfont le luxe des particuliers encore plus qu’ils n’embellissent la ville.

 

          Colbert, le Mécène de tous les arts, forma une académie d’architecture en 1671. C’est peu d’avoir des Vitruves, il faut que les Augustes les emploient.

 

          Il faut aussi que les magistrats municipaux soient animés par le zèle et éclairés par le goût. S’il y avait eu deux ou trois prévôts des marchands comme le président Turgot (2), on ne reprocherait pas à la ville de Paris cet hôtel-de-ville mal construit et mal situé ; cette place si petite et si irrégulière, qui n’est célèbre que par des gibets et de petits feux de joie ; ces rues étroites dans les quartiers les plus fréquentés, et enfin un reste de barbarie, au milieu de la grandeur et dans le sein de tous les arts (3).

 

          La peinture commença sous Louis XIII avec le Poussin. Il ne faut point compter les peintres médiocres qui l’ont précédé. Nous avons eu toujours depuis lui de grands peintres ; non pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l’Italie : mais sans nous arrêter à un Lesueur qui n’eut d’autre maître que lui-même ; à un Lebrun qui égala les Italiens dans le dessin et dans la composition, nous avons eu plus de trente peintres qui ont laissé des morceaux très dignes de recherche. Les étrangers commencent à nous les enlever. J’ai vu chez un grand roi (4). Des galeries et des appartements qui ne sont ornés que de nos tableaux, dont peut-être nous ne voulions pas connaître assez le mérite. J’ai vu en France refuser douze mille livres d’un tableau de Santerre. Il n’y a guère dans l’Europe de plus vaste ouvrage de peinture que le plafond de Lemoine, à Versailles (5) ; et je ne sais s’il y en a de plus beaux. Nous avons eu depuis Vanloo, qui, chez les étrangers mêmes, passait pour le premier de son temps.

 

          Non-seulement Colbert donna à l’Académie de peinture la forme qu’elle a aujourd’hui, mais, en 1667, il engagea Louis XIV à en établir une à Rome. On acheta dans cette métropole un palais, où loge le directeur. On y envoie les élèves qui ont remporté des prix à l’Académie de Paris. Ils y sont conduits et entretenus aux frais du roi : ils y dessinent les antiques ; ils étudient Raphaël et Michel-Ange. C’est un noble hommage que rendit à Rome ancienne et nouvelle le désir de l’imiter ; et on n’a pas même cessé de rendre cet hommage, depuis que les immenses collections de tableaux d’Italie amassées par le roi et par le duc d’Orléans, et les chefs-d’œuvre de sculpture que la France a produits, nous ont mis en état de ne point chercher ailleurs des maîtres.

 

          C’est principalement dans la sculpture que nous avons excellé, et dans l’art de jeter en fonte d’un seul jet des figures équestres colossales.

 

          Si l’on trouvait un jour, sous des ruines, des morceaux tels que les bains d’Apollon, exposés aux injures de l’air dans les bosquets de Versailles ; le tombeau du cardinal de Richelieu, trop peu montré au public, dans la chapelle de Sorbonne ; la statue équestre de Louis XIV, faite à Paris pour décorer Bordeaux ; le Mercure dont Louis XV, faite à Paris pour décorer Bordeaux ; le Mercure dont Louis XV a fait présent au roi de Prusse, et tant d’autres ouvrages égaux à ceux que je cite ; il est à croire que ces productions de nos jours seraient mises à côté de la plus belle antiquité grecque.

 

          Nous avons égalé les anciens dans les médailles Warin fut le premier qui tira cet art de la médiocrité sur la fin du règne de Louis XIII. C’est maintenant une chose admirable que ces poinçons et ces carrés qu’on voit rangés par ordre historique dans l’endroit de la galerie du Louvre occupé par les artistes. Il y en a pour deux millions, et la plupart sont des chefs-d’œuvre.

 

          On n’a pas moins réussi dans l’art de graver les pierres précieuses. Celui de multiplier les tableaux, de les éterniser par le moyen des planches en cuivre, de transmettre facilement à la postérité toutes les représentations de la nature et de l’art, était encore très informe en France avant ce siècle. C’est un des arts les plus agréables et les plus utiles. On le doit aux Florentins qui l’inventèrent vers le milieu du quinzième siècle ; et il a été poussé plus loin en France que dans le lieu même de sa naissance, parce qu’on y a fait un plus grand nombre d’ouvrages en ce genre. Les recueils des estampes du roi ont été souvent un des plus magnifiques présents qu’il ait faits aux ambassadeurs. La ciselure en or et en argent, qui dépend du dessin et du goût, a été portée à la plus grande perfection dont la main de l’homme soit capable.

 

          Après avoir ainsi parcouru tous ces arts, qui contribuent aux délices des particuliers et à la gloire de l’Etat, ne passons pas sous silence le plus utile de tous les arts, dans lequel les Français surpassent toutes les nations du monde : je veux parler de la chirurgie, dont les progrès furent si rapides et si célèbres dans ce siècle, qu’on venait à Paris des bouts de l’Europe pour toutes les cures et pour toutes les opérations qui demandaient une dextérité non commune. Non-seulement il n’y avait guère d’excellents chirurgiens qu’en France, mais c’était dans ce seul pays qu’on fabriquait parfaitement les instruments nécessaires ; il en fournissait tous ses voisins, et je tiens du célèbre Cheselden, le plus grand chirurgien de Londres, en 1715, les instruments de son art. La médecine, qui servait à perfectionner la chirurgie, ne s’éleva pas en France au-dessus de ce qu’elle était en Angleterre et sous le fameux Bourhave (6) en Hollande ; mais il arriva à la médecine comme à la philosophie d’atteindre à la perfection dont elle est capable, en profitant des lumières de nos voisins.

 

          Voilà en général un tableau fidèle des progrès de l’esprit humain chez les Français dans ce siècle, qui commença au temps du cardinal de Richelieu, et qui finit de nos jours. Il sera difficile qu’il soit surpassé ; et s’ils l’est en quelques genres, il restera le modèle des âges encore plus fortunés, qu’il aura fait naître.

 

 

 

 

1 – Voltaire met en oubli la Renaissance. (G.A.)

2 – Père du célèbre Turgot. (G.A.)

3 – Toutes ces critiques ne seraient plus justes aujourd’hui. (G.A.)

4 – Frédéric II. (G.A.)

5 – Salon d’Hercule. (G.A.)

6 – Chez les Hollandais, la diphtongue œ se prononce comme ou. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

 

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